Les agrumes venus du royaume chérifien séduisent le consommateur. Les producteurs maliens se cherchent encore une riposte.
« Tout ce qui brille n’est pas d’or », affirme le dicton. Mais dans le cas des oranges marocaines, la brillance des fruits contribue fortement l’attractivité de ces derniers et contribue à faire du commerce de ces agrumes un confortable filon dans lequel beaucoup trouvent leur compte. Les oranges venues du royaume chérifien ont désormais envahi la capitale et même de modestes villages. Elles se retrouvent en vente un peu partout, aussi bien dans les alentours des grands carrefours que dans les superettes sans oublier les traditionnels marchés de fruits et légumes. Cette omniprésence traduit éloquemment une demande qui ne cesse de progresser depuis que le produit a été proposé aux consommateurs maliens. Pour s’en convaincre, il suffit de se rendre dans un site d’approvisionnement que ce soit au marché de Médine ou devant le stade omnisports Modibo Keïta.
Là, les commerçants détaillants se bousculent littéralement autour des camions frigorifiques qui déchargent les cageots contenant le fruit fétiche marocain.
Le transport est assuré par des convoyeurs marocains, mais la vente se trouve exclusivement entre les mains de commerçants maliens qui passent commande auprès de sociétés chérifiennes. A priori, on devrait se réjouir que la consommation de l’agrume monte en flèche lorsqu’on se réfère aux vertus de l’orange.
Riche en vitamine C, ce fruit est un antioxydant très puissant qui favorise la cicatrisation et stimule l’immunité. La dite vitamine ne compte cependant que pour 15 à 20% du total des antioxydants présents dans ce fruit. Les oranges recèlent d’autres substances complexes possédant un pouvoir antioxydant jusqu’à six fois supérieur à celui de la vitamine C. La richesse en substances complexes fait donc de ce fruit un allié de choix dans la prévention des maladies cardiovasculaires, des inflammations, et même dans la lutte contre le cancer.
Les oranges marocaines écoulées sur les marchés maliens et dont le nom scientifique est la « mandarine valencia » sont communément appelées « clémentines ». Elles proviennent en majorité de la région entourant la ville d’Agadir, celle-ci étant connu comme la plus importante productrice d’oranges au monde après Jaffa, en Israël. Les prix de vente de ces oranges évoluent en fonction de leur qualité et de leur calibre (grosses, moyennes et petites). Au début de la présente saison, les prix sont en hausse. Selon un importateur, cette augmentation est due aux nombreuses tracasseries que subissent nos transporteurs au niveau des postes douaniers. Mme Coulibaly Fanta, qui est dans le négoce, est persuadée que ces difficultés ne sont pas fortuites. Selon elle, les gabelous figurent parmi les propriétaires de plantations d’orangers locaux. Ils ne faciliteront donc pas la vie aux importateurs du fruit marocain, dont l’arrivée entraîne une mévente de leur propre production.
DES EFFORTS AU-DESSUS DES POSSIBILITÉS.
A en croire notre interlocutrice, tout est fait pour décourager les opérateurs économiques qui ont choisi ce secteur d’activité. Selon elle, un camion chargé d’oranges marocaines est dédouané à 4 millions de Fcfa contre 2 millions de Fcfa l’année dernière. Malgré tout, Mme Coulibaly Fanta assure avec fierté qu’elle arrive à écouler la cargaison d’un véhicule en deux jours.
Cette année, à cause de la révision des tarifs douaniers, les casiers des « gros » calibres sont cédés à 13 000 Fcfa contre 10 000 Fcfa auparavant. Les cageots des petites oranges sont vendus à 11 000 Fcfa contre 5 000 Fcfa. Chez les vendeuses, le client débourse 1 000 Fcfa pour un kilogramme de grosses oranges et 750 Fcfa pour le même poids de petites. Malgré cette hausse, les professionnels du domaine ne se plaignent pas. Ils parviennent en effet à tirer leur épingle du jeu. « Chaque jour, j’épuise deux casiers de grosses oranges et je tire un bénéfice de 3 000 Fcfa sur chaque casier », explique Fatoumata Guindo, vendeuse au grand marché de Médine.
Revers logique de la médaille, l’engouement autour des oranges marocaines se fait au détriment de la production locale. On entend un concert de plaintes s’élever de plus en plus fort des rangs des producteurs d’oranges maliennes, confrontés à de sérieuses difficultés dans l’écoulement de leurs produits. « Nos oranges sont négligées autant par les détaillants que par les consommateurs. Tous se ruent sur les marocaines. Avant, je pouvais écouler facilement en une semaine la cargaison livrée à Bamako. Mais aujourd’hui, j’arrive à vendre péniblement deux paniers dans le même laps de temps », se lamente un producteur local.
Nous avons pourtant rencontré un homme qui affirme résister victorieusement au raz de marée maghrébin. Diakaridia Traoré, producteur et vendeur au marché des bananes à Bozola, se dit satisfait de l’écoulement de sa production. « L’invasion des oranges marocaines n’a pas affecté les bénéfices que je tire de la vente de mes produits. Je vis assez bien de mes revenus », assure-t-il. Cependant Traoré estime que c’est aux producteurs de développer la seule riposte possible : mettre l’accent sur les techniques de culturales pour améliorer la qualité des oranges maliennes. Il reconnaît toutefois que les efforts à faire dans ce sens sont très souvent au-dessus des possibilités du producteur lambda.
L’écrasante majorité de ses collègues producteurs le rejoignent dans ce constat et pointent du doigt le manque d’intérêt des autorités pour la préservation du secteur. « Nos responsables doivent prendre des dispositions pour protéger la production locale. Si nous ne consommons pas ce que nous produisons, l’avenir sera sombre », s’inquiète Kadidia, une commerçante détaillante. Les craintes de Kadidia sont partagées par toutes les vendeuses de fruits locaux.
Pour ces dernières, les bananes, les oranges, les raisins, les pommes et les légumes importés inondent complètement nos marchés au détriment de la production locale. « Comment voulez-vous lutter contre la pauvreté si nos produits locaux doivent pourrir dans nos champs à cause de la mévente ? », lâche Djénébou Diarra à Bozola. Elle reconnaît cependant que la vraie bataille doit être livrée au niveau de l’amélioration de la saveur des produits maliens.
« Que les autorités accompagnent nos producteurs pour améliorer le goût et la qualité de nos fruits », suggère cette vendeuse.
Djénebou met indiscutablement le doigt sur la plaie. L’acheteur ira toujours vers ce qui est de consommation aisée et de saveur supérieure. Alimatou Diarra, mère de famille, a tranché depuis longtemps sous la pression de ses enfants. Ces derniers lui réclament régulièrement des fruits marocains. « Leur préférence s’explique facilement, commente Mme Diarra. L’écorce se pèle facilement, la pulpe est sucrée, parfumée et délicate.
Les oranges marocaines sont moins acidulées que nos fruits locaux ». Un diagnostic que la production locale n’est pas en mesure d’inverser rapidement. Mais on ne la voit pas encore jouer à fond son principal atout. Qui est de proposer des fruits frais, souvent plus juteux et dont la qualité n’a pas été altérée par un long voyage. Ces avantages devraient permettre aux consommateurs de mieux accepter les petits désagréments que sont un épluchage plus laborieux et la présence de pépins. Déguster une orange malienne se mérite. Et un plaisir différent peut en être tirée.
Anne-Marie KÉITA