Dans la géopolitique, les positions d’un Etat par rapport à un fait qui lui intéresse plus ou moins directement, peuvent variés très rapidement. Telle est la règle qui peut justifier ce volteface remarquable de notre grand voisin du nord à l’égard de deux dossiers où il est, aujourd’hui, le pilier central : les crises malienne et libyenne.
L’on se rappelle, avec un sentiment certain d’incompréhension, qu’Alger a toujours été hostile à l’option militaire pour résoudre la crise du septentrion malien. Tout au long de l’occupation jihadiste de notre pays, près d’une année durant, il n’a eu de cesse de multiplier les rencontres et autres réunions à caractère politique dans l’unique but de trouver une solution pacifique à cette crise. Une position que bien sûr, nous maliens trouvions injuste et totalement incohérente. Car, dans leur propre pays, les algériens prônent la manière forte pour combattre le terrorisme. Leur ligne de conduite en la matière est claire : « nous ne négocions pas avec les jihadistes ». Tout le monde se rappelle avec quelle fermeté, les forces spéciales algériennes avaient éliminé les assaillants qui avaient pris en otage le site gazier d’In Amenas. Tous furent tués, y compris les otages. Plus récent encore, la neutralisation courant le mois de décembre de l’Emir local de l’Etat Islamique et de plusieurs de ses combattants. Il s’agit de celui-là même qui a décapité de sang-froid le guide de montagne, Hervé Gourdel.
Pourquoi alors l’Algérie prône le contraire dans un pays voisin qui partage avec elle plus de 1300 kms de frontières ? La réponse se trouve, sans doute, dans l’histoire récente de ce pays.
Les « années de braise »
Au début des années 1990, l’Algérie a connu une guerre civile. Les historiens ont qualifié cette triste épisode de la « décennie noire » ou en encore les « années de braise ». Plusieurs groupes islamistes nés du parti politique, Front Islamique du Salut ont semé l’horreur et la désolation dans tout le pays. Le Mouvement Islamique Armé (MIA), le Groupe Islamique Armé (GIA) et l’Armée Islamique du Salut (AIS) ont livré une guerre totale au gouvernement. Un conflit qui coûta la vie à plus de 60 000 personnes, d’autres sources parlent de 150 000 personnes, avec des milliers de disparus, un million de personnes déplacées, des dizaines de milliers d'exilés et plus de vingt milliards de dollars de dégâts. Finalement, après de longs et âpres combats, l’Etat algérien a obtenu la victoire avec la reddition de principaux chefs jihadistes sauf ceux du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), basé principalement à la périphérie de la Kabylie. Ce dernier fit allégeance à Al Qaida et forma l’ossature d’Aqmi. Malgré la fin de la guerre, les blessures sont toujours aussi vivaces et peinent à cicatriser.
Voilà, pourquoi Alger était hostile à toute intervention militaire dans le nord malien. Il craignait d’assister au retour sur son territoire des vieux démons du passé, plusieurs chefs jihadistes étant d’origine algérienne, tel qu’Abdel Malek Droukdel et Mokhtar Bel Mokhtar. Egalement, la porosité des frontières pouvait accentuer le risque de débordement de l’invasion jihadiste qu’avait connu le septentrion malien.
Qu’à cela ne tienne, les choses ont changé depuis. Après Serval et l’installation d’une très relative stabilité dans le nord malien, Alger reprend pied dans le dossier et pique, même, la place de chef de file de la médiation à Ouagadougou. C’est d’ailleurs grâce à la diplomatie algérienne que des négociations ont pu se tenir entre les représentants du gouvernement malien et les rebelles indépendantistes, touarègues et arabes. Malgré la complexité de la tâche, un important travail a été abattu par tous les protagonistes. Mais le plus dur surviendra après la signature des accords de paix prévus courant le mois de février. La bonne foi des groupes rebelles et l’indulgence de l’Etat malien seront rudement mises à l’épreuve.
Même son de cloche pour le cas libyen
Egalement en Libye, Alger ne voulait pas d’une intervention militaire. Des relations étroites liaient la Grande Jamahiriya et le pays de Bouteflika. Mais la France de Nicolas Sarkozy pressée d’en finir avec le guide de la révolution libyenne qui ne cessait de le dénigrer. Elle mena la guerre avec le soutien de certaines puissances occidentales comme la Grande Bretagne et aussi des Etats Unis. Le Qatar, cette dynastie du golfe qui en avait marre des frasques et des écarts de langage du Guide Kadhafi comme d’ailleurs bon nombre des pays de la région s’était également joint au Bal. A l’époque, l’Algérie avait accueilli sur son territoire la fille chérie du Guide, Aicha et certains précieux archives qui contiendraient, probablement, des informations compromettantes pour elle. Sa réticence pouvait s’expliquer, entre autre, par le fait qu’elle ne voulait pas que le printemps arabe puisse également avoir lieu chez elle. Ceci aurait balayé le régime immobile en place, fragilisé par un Bouteflika vieillissant et malade.
En définitive, paradoxalement, l’Algérie voit son aura sous régional et même international, ragaillardi grâce à ces deux opérations militaires en Libye et au Mali. Désormais, il est difficile d’entreprendre une quelconque action diplomatique et politique dans la sous-région sans solliciter l’appui du pays de Bouteflika.
Ahmed M. Thiam