Une mesure de promotion exceptionnelle de certains fonctionnaires de police à des grades supérieurs a provoqué une vive tension au sein même du corps
Les mouvements d’hommes en armes sèment toujours la panique dans la population. Les nerfs des Bamakois ont à nouveau été mis à rude épreuve hier tôt le matin quand des coups de feu ont été entendu dans certaines parties de la capitale. A l’origine du mouvement, des policiers contestant la promotion dont ont bénéficié ces derniers jours certains de leurs collègues.
Hier matin, la tension était très vive au Groupement mobile de sécurité de sécurité (GMS). Dans la cour, des hommes, arme en bandoulière et même en main, allaient et venaient. Certains lançaient des invectives comme ce sergent en tenue civile, mais arborant bien en vue un pistolet automatique : « Ceux-là sont des égoïstes, ils ne veulent pas que la police avance ». « Nous allons massacrer ces gars là qui sont manipulés s’ils ne reviennent pas à de meilleurs sentiments », vocifère un autre.
Alors que ce policier faisait des va-et-vient, un autre s’approche de lui et lui souffle quelques mots à l’oreille puis disparaît pour rejoindre un groupe d’agents sous un arbre près du siège de la Section syndicale de la police nationale (SPN) tendance Siméon Keita. Là, ils étaient une vingtaine armés de PM et de PA et visiblement prêts à en faire usage.
En face du siège du même syndicat, un policier avait placé une mitrailleuse sur un vieux véhicule abandonné à la fourrière depuis plusieurs années.
Comme nous le mentionnions plus haut, à l’origine de cette montée d’adrénaline dans la police, un nouveau décret officialisant des avancements exceptionnels au niveau du corps.
Par ce décret, en effet, des sous-officiers ont été nommés à des grades supérieurs. Certains auraient même changé de corps. Il faut savoir à ce propos que la police comprend trois corps : les agents (de sergent à adjudant-chef-major), les inspecteurs (de l’inspecteur simple à l’inspecteur de classe exceptionnelle) et les commissaires.
Cette promotion exceptionnelle n’a pas du tout été appréciée par certains au sein de la corporation. Ainsi, hier très tôt le matin, des policiers du Groupement mobile de sécurité (GMS) mécontents de ne pas faire partie de la liste des bénéficiaires de la mesure exceptionnelle se sont emparés des armes et ont tiré des coups de feu dans la cour.
La réaction des éléments qui ont une autre position sur la question (la tendance Siméon Keita) ne s’est pas fait attendre. Certains d’entre eux ont réagi et tiré en direction de ceux qu’ils considèrent comme des assaillants.
Puis ce fut le branle-bas de combat dans les deux camps. Chaque groupe rassembla ses éléments dans un coin de la cour s’apprêtant visiblement à l’affrontement qui paraissait inévitable.
Le tout nouveau commissaire Siméon Keita, secrétaire général de la section syndicale, explique : « le ministre de la Sécurité intérieure en se fondant sur la l’article 21 de la loi 10-034 a procédé à des nominations à titre exceptionnel. Certains fonctionnaires de police qui n’ont pas bénéficié de cette nomination exceptionnelle ont tenté de nous déloger de nos locaux. Nos militants ont réagi ». Puis l’homme installé dans son bureau au milieu des siens tous surexcités accuse : « ce sont les enfants de certains vieux cadres relevés de leurs fonctions qui tentent de se venger. Ils s’y préparaient depuis longtemps. Cette promotion exceptionnelle n’est qu’un alibi. A 6 heures du matin, ils sont arrivés armés de quatre PM et ont tiré dans notre direction. Nos éléments ont riposté et les assaillants se sont retranchés dans un coin de la cour du GMS. Mais rassurez-vous, tout ira bien.»
Dans le camp adverse, on ne cachait pas sa colère. En plus de deux sergents chefs, un inspecteur principal fait office de répondant au nom du groupe des protestataires. L’inspecteur Seydou Diakité défend la position de ses camarades protestataires. « La police est un corps d’intellectuels qui travaillent sur l’homme dans ce qu’il a de plus grand, sa dignité. Faire passer un agent de sous-officier à officier ne paraît pas juste. Est-ce que ces sous-officiers qu’on vient de bombarder au grade de commissaire peuvent même établir même un PV d’audition ? Comment pouvez-vous comprendre qu’un sous-officier, un agent puisse sauter le corps des inspecteurs pour se retrouver dans celui des commissaires ? Ce serait une mauvaise jurisprudence dans le corps. C’est contre ça que nous protestons.»
« Les vieux » mis en cause par la Section syndicale de la police nationale (SPN tendance Siméon Kéïta) se défendent. Le contrôleur général Kassim Sininta accusé d’avoir incité ses enfants et ceux du contrôleur général Falaye Keita à « déloger Siméon et ses hommes s’ils veulent de la renommée et de l’argent » réfute catégoriquement cette accusation. « Dieu m’est témoin. J’ai certes deux filles à la police mais je n’ai jamais dit à l’une d’elles de faire quoi que ce soit. Ce n’est pas à la veille de mon départ à la retraite que je vais faire du n’importe quoi dans un corps qui m’a tout donné. Ce sont des accusations gratuites.»
L’incident d’hier a paralysé la plupart des services de police de la rive gauche. Dans presque toutes les unités de cette partie de la capitale, les agents étaient en tenue civile et les différents responsables étaient absents au passage de notre équipe de reportage vers le milieu de la journée.
Certains ont tenté de justifier ces absences par une rumeur qui prétendait que des policiers servant dans certaines localités de l’intérieur avaient quitté leur base pour rejoindre la capitale. « Nous avons eu des renseignements comme quoi les policiers vont arriver des régions pour soutenir l’un ou l’autre camp. Et qu’ils vont patrouiller et s’en prendre à beaucoup d’anciens responsables de la police. Nous préférons donc rester à la maison en attendant la fin de la tempête », confiait un contrôleur général de police joint au téléphone et qui a voulu garder l’anonymat.
Hier en fin d’après-midi, l’on apprenait que la situation était revenue à la normale. Selon une source, ce sont les militaires de Kati qui seraient intervenus en engageant une mission de bons offices. Les représentants des deux camps seraient montés à Kati où ils auraient accepté d’enterrer la hache de guerre.
Il faut dire que le pays n’a pas besoin de querelles sanglantes entre les hommes en charge de la sécurité au moment où la priorité des priorités est la libération des 2/3 du territoire national occupés par les islamistes armés. Et où ceux qui s’écharpent pour des barrettes, sont appelés à se porter en première ligne pour y faire la preuve de leur vraie valeur.