Un rapport publié en fin 2014 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) classant le Mali comme troisième consommateur mondial d'alcool sur 194 pays, avec une moyenne de 29 litres, est accueilli avec surprise pour un pays à plus de 95% musulmans.
Malgré les tentatives de relativisation des autorités et des explications des experts, ce classement fait encore débat dans les prêches de vendredi dans les mosquées et aussi sur les ondes des radios privées de proximité. Lors de la présentation des voeux du Nouvel An au président de la République, les leaders religieux ont interpelé le pouvoir par rapport à ce "classement peu flatteur ".
"Il ne fait plus l'ombre d'un doute que la moralité chute considérablement au Mali. Le pays sombre dans une déchéance totale. La consommation d'alcool augmente", s'était offusqué le président du Haut conseil islamique (HCI), Mahmoud Dicko.
Mais, une analyse approfondie du rapport de l'OMS montre que la consommation d'alcool du Mali n'a quasiment pas évolué depuis 1961.
Dans la période étudiée (2008-2010) par l'OMS, la consommation moyenne au Mali est de 2,2 litres par personne, alors que la moyenne est de 6 litres en Afrique. Le Mali se classe ainsi parmi les derniers au niveau africain et mondial.
En réalité, la moyenne de 29 litres indiqué dans le rapport de l'OMS, représente la consommation par personne qui déclare prendre de l'alcool. Par contre, c'est seulement 0,1% de la population malienne qui consomme de l'alcool.
C'est cette même position qu'a défendue l'ex-Premier ministre Moussa Mara face aux religieux musulmans.Et un diplomate explique : "une grande partie de la population malienne ne consomme pas d'alcool pour des raisons religieuses ou simplement des raisons de santé. Mais, lorsqu'ils boivent, les Maliens comme les Africains sont de vrais trous".
Pour Amara Touré, professeur à l'Ecole nationale des sciences géographiques, "il n'est pas exact de dire que le Mali est le 3e consommateur d'alcool. C'est le consommateur malien d'alcool qui occupe ce rang".
"Ce rapport pose surtout le problème de la surconsommation d'où la nécessité d'une campagne forte de sensibilisation sur les dangers de l'alcoolisme", pense Mohamed Sanogo de la Faculté des Sciences juridiques et économiques de l'Université de Bamako (FSJE) .
En matière de surconsommation, ceux qui contestent le rapport sont toujours loin de la réalité. La nuit de Maouloud ( anniversaire de la naissance du prophète Mohamed, le 3 janvier 2015), coïncidant avec un week-end, un journaliste de Xinhua a constaté que les bar-restaurants et autres night-clubs pouvaient rivaliser avec les mosquées et autres espaces accueillant les fidèles musulmans en termes de présence. Et l'alcool coulait à flot (..) et les buveurs portent très majoritairement des noms musulmans.
Les restaurants et buvettes des différents campus universitaires sont devenus de vrais débits d'alcool. "Je n'y mets presque plus le pied parce que les étudiants viennent s'y saouler et se mettent à se lancer des insanités indignes d'un jeune musulman", s'offusque Oumar Ly, un jeune étudiant.
Plus surprenant, "l'alcoolisme se féminise au Mali depuis quelques années", selon Rokiatou Coulibaly, une jeune sociologue et responsable d'un cercle de réflexion sur la démocratie et le genre.
"Les jeunes filles disent que cela rend la peau lisse et donne un teint éclatant", explique-t-elle. "Il ne s'agit pas forcément de se faire remarquer ou d'être plus séduisante, mais plutôt d'être intégrée dans un groupe", explique Tetou Gologo, artisane créatrice de bijoux.
Mais, pour Mariam Maïga, 23 ans et assistante médicale, "les filles maliennes sont seulement complexées. Elles pensent que, en prenant l'alcool elles auront toujours de la compagnie".
Ce n'est pas pourtant faux. "Je fais ce métier par nécessité. Au départ, j'ai tout fait pour m'éloigner de l'alcool et du tabac. Mais, j'ai vite remarqué que celles qui buvaient s'en sortaient mieux que moi parce qu'elles attiraient les clients. Certains même leur donnaient de l'argent sans contrepartie sexuelle", confesse Fifi, une prostituée.
Sur la montée de l'alcoolisme, plusieurs personnes interrogées incriminent la prolifération des bars et autres lieux de débauche. "D'après ma propre expérience il s'agit d'un cocktail composé de désoeuvrement, de découragement et de disponibilité d'alcool. L'effet de bande joue pour beaucoup", explique Tetou.
En plus de ce "cocktail", certains indexent le relâchement dans l'éducation familiale et les effets des médias à travers des séries dans lesquels l'alcool coule à flot.
En tout cas, pour Tetou Gologo comme pour de nombreux sociologues et médecins, "l'alcoolisme est déjà un problème de santé publique au Mali".