Deux ans après le début de l'intervention Serval au Mali, le 11 janvier 2013, qui a permis à des troupes françaises de remonter jusqu'au nord du Mali devenu le bastion de plusieurs cellules islamistes. Du coup, l’on se demande où sont passés les membres de ces différents groupuscules? Aussi, c’est la menace terroriste qui plane sur les pays du sahel qui alimente les débats.
Interrogé sur France Inter récemment, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a affirmé que les Jihadistes avaient « subis de lourdes pertes » et s’étaient « dispersés, parce que certains étaient venus là pour vivre un moment d’aventure militaire et sont rentrés chez eux. Ou alors, ils essayent de passer les frontières, ce qui leur sera de plus en plus difficile ». Difficile, peut-être, mais certainement pas impossible vu l’étendue des frontières en question qui sont difficiles à surveiller. De ce fait, l’intervention au Mali a un impact sur toute la région. La première qui vient à l’esprit est la prise d’otages sur le site gazier d’In Amenas en Algérie. Les autres pays limitrophes du Mali craignent d’ailleurs des infiltrations sur leurs territoires et montrent des signes d’inquiétude. « Il y aura un avant et un après Mali », explique Kader Abderrahim, maître de conférences à Science Po Paris. « Aujourd’hui, plus aucun État de la région ne peut dire qu’il est à l’abri ».
ALGÉRIE
L’État algérien est le premier à avoir fait les frais des conséquences régionales de la guerre au Mali. Le 16 janvier dernier, un groupe de terroristes armés venus de Libye, a pris en otages les travailleurs algériens et occidentaux du site gazier d’In Amenas. L’attaque a été revendiquée par Moktar Belmoktar, ancien membre d’Aqmi, qui avait également demandé la fin des bombardements au Mali.
Les événements d’In Amenas ont eu lieu justement au moment où Alger se voyait reprocher une attitude ambiguë vis-à-vis du conflit malien. Notamment parce que le pays préconisait un dénouement politique et diplomatique au conflit. Une position mal acceptée par la communauté internationale qui se demandait pourquoi un pays qui a les moyens militaires et financiers d’intervenir ne le fait pas.
Des accusations de « double jeu » infondées selon Kader Abderrahim. « Depuis la guerre en Libye, l’Algérie n’a cessé de mettre en garde les occidentaux des conséquences d’interventions militaires sur la région. Et la conséquence directe de la chute de Kadhafi a été l’éparpillement de groupes d’hommes bien entraînés et surarmés. »
Toutefois, depuis la tragédie d’In Amenas, la position de l’Algérie a évolué puisqu’elle a été impliquée de fait dans ce conflit. Si elle a clairement affiché son mode d’action, c’est-à-dire aucune négociation avec les terroristes, Kader Abderrahim estime que « d’un point de vue sécuritaire, cette guerre contraint surtout les Algériens à resserrer les rangs pour tenter de rendre leurs frontières moins poreuses. »
Toutefois, même si l’Algérie en a les moyens, « elle n’a certainement pas vocation à devenir le gendarme de la région », notamment afin de préserver la stabilité de son propre régime.
NIGER
La position du Niger est délicate. Le pays est en effet bordé par trois frontières problématiques : le sud de la Libye, le Mali et le nord du Nigeria. Ce qui en fait le pays « incontestablement le plus fragilisé », selon Mathieu Pellerin, gérant du CISCA (Centre d’Intelligence Stratégique sur le Continent Africain) et chercheur à l’IFRI. Si des troupes françaises et américaines sont venues soutenir les militaires nigériens à la frontière malienne, « en dépit de toutes ces précautions, la frontière demeure incontrôlable », ce qui rend « les infiltrations inéluctables ». Le risque principal est que « le nord du Niger et le sud libyen soient des destinations refuges pour les groupes terroristes basés au nord Mali ».
Et au-delà de ses frontières fragiles, le Niger devra également être attentif à ses enjeux nationaux. « Le Niger doit veiller à préserver le fragile équilibre interne qui prévaut dans ses régions au nord, avec des ex-rebelles Touareg très attentifs à l’évolution de la situation au Mali et qui voient d’un mauvais œil la remontée de l’armée malienne et le déploiement de la Cédéao », analyse Mathieu Pellerin qui explique qu’il existe « des continuités familiales, tribales et idéologiques entre le nord du Mali et le nord du Niger ».
MAURITANIE
On parle très peu de ce pays, mais pour Mathieu Pellerin, également auteur de La gestion des menaces criminelles en entreprises (1), la Mauritanie « a un rôle primordial à jouer mais risque gros. Les mises en garde de l’opposition comme des islamistes réunis au sein du parti Tawassoul sont suffisamment fréquentes pour dissuader le président Mohamed Ould Abdel Aziz de se mettre en danger en s’impliquant directement dans le règlement du conflit malien. »
Une frilosité qui peut s’expliquer aussi par le fait qu’une « des katibas – groupes de combattants – d’Aqmi compte de nombreux mauritaniens qui constituent toujours une menace de première importance pour la Mauritanie ».
Cependant, le chercheur souligne que si le régime mauritanien reste en retrait, il est « un ‘bon élève’ de la région en matière de lutte contre le terrorisme. Les frontières sont contrôlées et les forces de sécurité parviennent à contrôler l’ensemble du territoire ».
NIGERIA
Les combattants de Boko Haram, la secte islamiste qui ensanglante le nord du Nigeria depuis de nombreux mois, ont-ils établi des liens avec les jihadistes qui opéraient au Nord-Mali? Dans ce contexte régional agité, la question se pose.
« Cela fait déjà de nombreux mois que l’on sait que des membres de Boko Haram sont en contact avec différents groupes présents au Nord du Mali notamment le Mujao et Aqmi », répond Laurent de Castelli, diplômé en Défense, sécurité et gestion de crise d’IRIS Sup. « Plusieurs mois avant l’intervention française, les membres de la secte nigériane auraient suivi un entrainement auprès du Mujao dans le nord du Mali », poursuit-il.
Et plusieurs sources le confirment : « Selon un rapport du conseil de sécurité des Nations Unies de janvier 2012, des combattants ont été arrêtés au Niger en essayant de rejoindre le Mali. Ils étaient en possession, de noms et de coordonnées de membres d’Aqmi qu’ils projetaient, semble-t-il, de rencontrer. Par ailleurs, selon le Général Carter Ham, Commandant américain de l’Africom [le Commandement des États-Unis pour l’Afrique, Ndlr), Boko Haram aurait reçu un soutien financier, probablement un entraînement ainsi que des explosifs venant d’AQMI, au cours de l’année 2012″.
Par ailleurs, selon Laurent de Castelli « Boko Haram a principalement un objectif national. Mais cela peut changer suivant l’évolution de l’intervention au Mali. » Ce qui n’est pas le cas d’Ansaru, un groupe dissident. « Ansaru affiche un objectif plus international et antioccidental. Dans un communiqué du 23 décembre 2012 revendiquant l’enlèvement d’un ressortissant français, le groupe déclare avoir choisi de cibler la France en raison de son ‘rôle majeur’ dans la préparation de l’intervention ‘contre l’État islamique dans le Nord du Mali’, ainsi que ‘la position du gouvernement français et des Français vis-à-vis de l’Islam et des musulmans' ».
Enfin, le risque de scission nord-sud au Nigeria, comme cela s’est passé au Mali est peu probable. « Je ne pense pas que Boko Haram souhaite une scission du Nigeria car les richesses du pays, le pétrole, se trouvent dans le sud. À la création de Boko Haram il y a une dizaine d’années, l’un des objectifs de Mohammed Yusuf, le fondateur du mouvement, était de lutter contre la corruption des élites, ainsi que d’obtenir un meilleur partage des ressources du pays. Boko Haram n’a pas vraiment intérêt à vouloir une division du Nigeria », détaille Laurent de Castelli qui estime qu’il est encore trop tôt pour connaître l’incidence de l’intervention au Mali sur la stabilité du Nigeria.
Les incursions des terroristes dans la zone de Nampala, les attentats récurrents contre les soldats onusiens dans le nord et les tensions en Libye prouvent à suffisance la menace qui plane sur les pays du Sahel.
Alpha Mahamane Cissé