Exercice incontournable pour obtenir enfin un consensus national sur la sortie de crise au Mali pour les uns, boîte à pandore dangereusement ouverte risquant de conduire le Mali dans l’impasse pour les autres, les concertations nationales constituent le énième sujet qui divise nos compatriotes à ce jour.
Identifiées comme une occasion d’échanges et de débats féconds, ces assises répondent à une attente somme toute logique: permettre aux citoyens fortement divisés et abasourdis par ce qui arrive à leur pays de discuter sur les axes de solution aux problèmes rencontrés dans l’espoir que ce qui sera entendu sera soutenu.
L’unité des cœurs et des esprits est ainsi le leitmotiv de ceux qui estiment que ces rencontres sont le début de la vraie solution pour notre pays. Il est vrai que l’image de division que nous avons donnée pendant ces six derniers mois convainc les observateurs que l’unité est le préalable à toute action de redressement. Et en cela, les assises peuvent se justifier. A contrario, de nombreuses voies s’élèvent pour mettre en garde, contester et redouter l’organisation de discussions maliennes tant les positions des uns et des autres paraissent inconciliables quelques fois et fortement empruntes d’a priori destructif. Organiser des rencontres dans ces conditions serait prendre le risque d’échanges stériles et d’invectives au mieux, de dissensions creusant davantage les clivages entre les composantes de la nation au pire. Cela peut aussi se comprendre. Dans ces conditions, Il devient impérieux de présenter ce qui peut être bénéfique dans l’organisation de ces assises si on décidait de les organiser. Il est tout aussi impérieux d’identifier les dérapages prévisibles afin de faire ressortir les voies et moyens souhaitables pour les contenir et les annihiler afin que l’exercice puisse être entièrement bénéfique pour le pays. Au préalable, une présentation du panorama des demandes d’organisation de ces assises parait nécessaire pour démontrer que, malgré les risques associés, elles sont demandées par tous sous une forme ou une autre et deviennent de fait indispensables.
Les concertations nationales: une arlésienne fortement désirée
Il faut remonter à la première déclaration du Cnrdre datée du 22 mars au matin, pour trouver trace d’un appel à la discussion et à l’entente des forces vives de la nation pour définir de manière consensuelle les axes de la transition. Dès lors, les différents acteurs, à commencer par la Cedeao, ont plus ou moins appuyé la nécessité que les Maliens se parlent et conviennent de l’organisation de la transition, de la feuille de route de celle-ci et mêmes des axes principaux permettant de sortir de la crise au Nord. L’Accord-cadre conclu entre le Cnrdre et la Cedeao en date du 6 avril reprend en son article 6 point D, la nécessité que les forces vives soient consultées par les parties prenantes à l’accord afin de déterminer le cadre et le contenu de la transition. A ce jour, c’est le document officiel reconnu par la communauté internationale qui renvoie le plus explicitement à la nécessité que les Maliens se concertent et définissent ensemble le contenu de la sortie de crise. Il fut imité par l’accord complémentaire conclu entre les mêmes acteurs le 19 mai et dont l’objet principal était de régler la question de la Présidence de la transition.
Entre temps, lors de la première rencontre des forces vives, à l’initiative du médiateur, Son Excellence Blaise Compaore à Ouagadougou le 15 avril, il a été de nouveau question de la nécessité d’un cadre de concertation (point 3 de la déclaration). Au-delà des accords et des comptes-rendus des rencontres internationales, tous les regroupements sociopolitiques constitués après le coup de force du 22 mars 2012 (Csm, Adps, Ibk 2012…) ont à un moment ou à un autre, fait des propositions de sortie de crise. Toutes ces propositions contiennent une allusion explicite à la nécessité d’organisation d’assises nationales pour convenir d’un cadre pour la transition et régler les questions de rébellion, de terrorisme, de trafics…au Nord de notre pays. Les regroupements sociopolitiques sont rejoints en cela par la proposition des confessions religieuses en accord avec les organisations du secteur privé, de la société civile et des intellectuels, présentées le 27 avril 2012 et qui appelaient explicitement à l’organisation de concertations nationales avec à la clé une proposition de termes de références produite par ces acteurs de la société civile.
La Cedeao, lors de son sommet extraordinaire des chefs d’Etat au mois de mai à Dakar (point 9 du communiqué final) a souhaité que les forces vives de la nation se retrouvent autour de la feuille de route et des autorités de la transition pour faire avancer le Mali. Ce sommet a marqué un tournant vu qu’il donnait pour une fois un rôle prépondérant aux forces vives et à leur implication dans la conduite de la transition vers la résolution de toutes les crises maliennes.
Au plan interne, certaines organisations comme la Copam, devant ce qu’elles considéraient comme une inertie des autorités, ont cru devoir passer outre l’implication de celles-ci dans l’organisation des travaux, en invitant les acteurs des forces vives à «leur » concertation nationale le 21 mai. Cette initiative, aussi malheureuse qu’elle puisse apparaître, notamment avec l’agression perpétrée contre le Président de la République par intérim qu’elle a entraînée, n’en constitue pas moins une illustration de la volonté des acteurs de la crise à se réunir pour définir ensemble comment faire avancer le pays.
Les autres regroupements n’ont pas franchi, comme la Copam, le rubicond de la manœuvre solitaire d’organisation. Néanmoins, elles ont toutes, individuellement ou en association avec d’autres, initié des actions allant dans le sens de l’organisation des assises nationales. Il en est ainsi du mémorandum Fdr/Adps conclu le 25 juin qui a demandé explicitement l’organisation d’une «conférence nationale extraordinaire du peuple ». Il en est également de la rencontre de réflexion initiée par le groupe Ibk 2012 à la même date qui demandait explicitement l’organisation d’assises nationales autour de la transition.
Les propositions faites par le Président Dioncounda Traore lors de son discours à la nation du 29 juillet 2012 ont rendu inéluctables les concertations entre les parties prenantes à la crise. A cette occasion, le Président a sollicité que les parties maliennes échangent sur les nombreuses propositions institutionnelles, organisationnelles et de gestion de la crise au nord qu’il formula ce jour-là. Cette position a été confortée par l’organisation le 5 Août d’une rencontre solennelle de tous les responsables, de tous les regroupements sociopolitiques avec les chefs de quartier de Bamako et les familles fondatrices sous l’égide des femmes des organisations musulmanes et des parties politiques, où chacun s’est publiquement engagé à participer à ces assises et à y s’employer de sorte que les solutions de sortie de crise puissent être consensuelles et emporter ainsi l’adhésion de tous.
A partir de cette étape, la question n’était plus de savoir si les concertations devaient se tenir mais quand ? Dans la foulée, le Premier ministre installa un Comité technique chargé d’élaborer les termes de références de la rencontre. Ce comité remit ainsi la première mouture du document, actuellement en discussion au niveau des différents acteurs des crises. Il est des lors possible de lancer la dernière étape vers l’organisation matérielle de la rencontre qui doit pouvoir se tenir en principe à très court terme. C’est ce à quoi le président de la République a fait allusion lors de son discours à la nation à l’occasion de la fête de l’indépendance, le 21 septembre dernier.
Assises nationales: Pourquoi faire ? Avec quels risques ?
Les termes de références provisoires des prochaines assises, finalisés le 12 septembre dernier, fixent à l’exercice, l’objectif de doter le pays d’organes capables de recouvrer l’intégralité du territoire national afin d’assurer le retour et le fonctionnement régulier de l’Administration publique et d’organiser des élections démocratiques, transparentes et crédibles sur l’ensemble du territoire. De manière spécifique, il est indiqué que les assises devraient fixer d’une part, la feuille de route de la transition (durée, chronogramme, organes, moyens de libération du nord, organisation des elections, révision du fichier, reprise des relations avec les partenaires, communication) et d’autre part définir les attributions des différents organes avec une indication des relations entre elles (organes, rôle des militaires et restructuration de l’armée).
Les projets de termes de références donnent une indication sur les modalités d’organisation des assises et surtout font un très long développement des participants à la rencontre (près de 500 membres). Il est notamment prévu un bureau comprenant un Président, deux vices présidents, quatre rapporteurs et un rapporteur général. Les travaux sont programmés pour durer deux jours avec une indication sommaire du déroulement des activités sur chaque journée de débats.
A l’état actuel de la préparation des assises, certaines insuffisances perceptibles doivent être corrigées. De même que certains risques sont prévisibles pouvant entacher l’activité et diminuer ses portées.
Le premier risque majeur est la composition du bureau tel que prévue dans les termes de références. Quelque soit le contenu des propositions faites, si on ne balise pas la mise en place du bureau de la convention, on risque de faire deux jours sur cette tâche avec, à la clé, des dissensions, voire des départs de participants.
L’ouverture laissée dans les termes de références au sujet des organes de transition constitue également un risque. Il est probable que les discussions portent sur la légitimité de chaque organe, y compris les institutions laborieusement mises en place ces derniers mois avec la remise en question du Président, du Premier ministre, du Gouvernement, de l’Assemblée Nationale….cette éventualité risque d’entraîner les débats sur des pentes glissantes et dangereuses pour le pays et sa crédibilité vis-à-vis des partenaires.
En précisant que le délai de la transition est un sujet de débat, on ouvre clairement la perspective d’un conflit avec la Cedeao. Cela créera des tensions inutiles en ce moment où on devrait les éviter avec les perspectives d’engagement de la communauté à nos côtés pour faire face aux défis militaires du nord.
Les termes de références sont trop ambitieux en indiquant que les assises doivent préciser les tâches opérationnelles à accomplir par chaque organe. Cela peut difficilement ressortir de quelques heures de débats entre plusieurs centaines de personnes. A contrario, on risque là également de passer plusieurs jours à définir ces tâches.
Les voies et moyens de la libération du Nord, autre objectif majeur, doivent clairement relever du secret. La conférence doit se borner à donner des indications aux négociateurs (ce qu’il faut négocier et ce qu’il ne faut pas), fixer une limite en termes de temps à la négociation et ne pas aborder les questions militaires. L’écrasante majorité des participants sont des profanes en matière militaire. Ils ne peuvent évidement se hasarder à traiter de questions de ce genre. Il faut savoir que l’essentiel de ces questions, au moins sur le plan militaire, est déjà convenu entre la Cedeao et l’état-major de l’armée malienne.
Il en est de même de la Loi de programmation militaire et ou encore du Comité de réforme des forces armées. Les textes sont en cours ou déjà pris. On serait sage de ne pas revenir dessus et de dévoiler des indications secrètes de l’Etat.
En ce qui concerne les participants, les 32 membres du Gouvernement seront de trop. On devrait s’arrêter au Département en charge des relations avec les Institutions et à ceux ayant un rapport avec les sujets discutés (Administration du territoire, Défense, Justice, Communication, Affaires étrangères) ainsi que la Primature. 30 participants pour les forces armées, cela sera également exagéré et sans doute inopportun. Cet exercice ne devra qu’effleurer les questions militaires. La présence de l’état-major général et de quelques services (Commissariat, Direction du matériel, Communication) devrait suffire. Le quota alloué à la Commission d’organisation est clairement disproportionné et accrédite la thèse du déséquilibre dans la conduite des travaux au profit des organisateurs. C’est inexplicable et cela doit être corrigé. Enfin avec près de 500 participants, il existe clairement le risque d’une conférence nationale qui ne dirait pas son nom. Plus les participants sont nombreux, plus le risque de débats interminables, de discussions aussi stériles qu’inopportunes, est grand avec à la clé un dépassement des délais et finalement la crainte d’une issue non productive des assises.
Plus que jamais, nous devons baliser l’organisation et la conduite de cette étape cruciale de la transition si on veut qu’elle remplisse nos attentes.
Une bonne convention des forces vives: quand la coulisse devient plus importante que la scène!
Les autorités nationales doivent préparer activement les travaux des assises afin qu’ils puissent déboucher sur des propositions constructives, allant dans le sens de l’intérêt national et qui pourront être acceptés par tous les amis du Mali à l’extérieur. En cela, elles doivent être proactives et ne pas attendre le déroulement des événements pour constater ensuite les dégâts. Le président de la République, le Premier ministre et toutes les autorités doivent travailler à intervenir en amont des travaux pour diminuer au maximum les enjeux belligènes, obtenir la pleine participation constructive de l’essentiel des acteurs des crises que traverse notre pays. Une véritable stratégie de diplomatie dans les coulisses est à concevoir et à mettre en œuvre pour ce faire.
Au préalable, il est impératif de rassurer les uns et les autres sur les conditions d’organisation, prendre en compte leurs avis, supprimer certaines propositions qui accréditent le déséquilibre de la participation (exemple: 50 membres rien que pour l’organisation). Il faut aller à la rencontre des organisations participantes, notamment celles qui émettent des critiques dans la presse pour les rassurer et prendre en compte leurs observations. Il faut accepter rapidement toutes les demandes d’audience dans ce sens et intégrer les propositions pertinentes recueillies. Le profilage préalable des participants peut être fait pour travailler sur les uns et les autres, si nécessaire individuellement, afin que les conclusions les plus pertinentes puissent obtenir leur adhésion, ne serait-ce que dans les grandes lignes.
La constitution du bureau est une des tâches prioritaires à organiser au préalable. Il nous faut élargir le bureau aux acteurs consensuels de la société civile (chefs de quartier, leaders traditionnels, leaders religieux…) comme les médiateurs et autres modérateurs pour chaque atelier et pour la plénière. Un bureau de quinze membres pourrait être satisfaisant. Les autorités doivent approfondir la préparation jusqu’à définir les profils des candidats appropriés voir à proposer des noms aux participants. Noms qui pourraient leur être suggérés pour orienter leur réflexion et obtenir leur adhésion au démarrage des travaux.
Un second sujet majeur à organiser avant les travaux de la convention est d’obtenir de toutes les parties l’accord sur les autorités actuelles constitutionnelles. On pourrait se baser notamment sur l’avis 2012-003/CC du 31 mai 2012 de la Cour constitutionnelle qui indique que le Président reste jusqu’à l’entrée en fonction d’un Président élu. On pourrait aussi mettre à profit l’Accord-cadre en ce qui concerne le Premier ministre, l’Assemblée nationale et le Gouvernement qui sont maintenant acceptés par l’essentiel des acteurs y compris la Communauté internationale. Nous devons faire en sorte qu’avant les assises, l’essentiel des participants valide ces acquis significatifs.
En poursuivant les actions de préparation et de persuasion des acteurs, il est souhaitable de fixer les grandes lignes de l’organisation, des modalités pratiques de fonctionnement de chaque structure à mettre en place en accord avec l’architecture constitutionnelle existence (dans la mesure du possible éviter de sortir de la Constitution) plutôt que de se prononcer sur les aspects opérationnels de chacune. Eviter d’entrer dans les détails doit être le leitmotiv des préparateurs de la rencontre afin de mettre dans les carcans les organes éventuellement créés. Dans la même veine, il faut éviter d’aborder la question du délai de la transition en se contentant de fixer le chronogramme, les étapes importantes, les liens entre les unes et les autres…
Si les organisateurs arrivent à préciser pour chacun des axes majeurs des assises des indications pertinentes, en amont des travaux, et à partager celles-ci avec les acteurs, une grande partie des objectifs sera atteinte à coup sur. En la matière, Il faut prendre pour modèle les travaux de la Conférence nationale de 1991 qui ont été presque totalement balisés en amont (préparation de projets de textes indépendamment des débats en plénière).
A ce titre, on pourrait imaginer l’élaboration d’un document introductif qui précisera des propositions pour chaque sujet d’importance et les présenter aux parties prenantes à la rencontre afin d’alimenter les débats.
Ce document sera présenté aux uns et aux autres avec les arguments qui appuieront chaque proposition faite pour emporter l’adhésion des participants. Il est indispensable que les organisateurs s’attellent à l’élaboration de ce document et à la préparation des actions vers les participants afin de le leur faire partager.
Une dernière action est à planifier d’ores et déjà pour faciliter l’exécution rapide des résolutions des assises. Cette action consiste à mettre en place, auprès du Président ou du Premier Ministre, une administration de mission qui se chargera dans un délai de un mois de l’élaboration de tous les textes et processus conduisant à la mise en place effective de tous les organes et instances convenus lors des assises. Cette administration doit être composée de toutes les parties prenantes aux assises et ne pas dépasser 15 membres dont son Président, une personnalité consensuelle. Un document doit être conçu sur cette administration et validé pendant les assises.
Les concertations nationales peuvent, comme on l’espère, permettre à notre pays d’entamer véritablement la transition avec l’engagement et le soutien de toutes les composantes de la nation. Cela nécessitera que les autorités les préparent et s’emploient à convaincre tous les acteurs que la sagesse, l’intelligence et le patriotisme doivent être les attributs les mieux utilisés par chacun en ce moment crucial de la vie de notre pays.