La Mission de l’ONU au Mali (Minusma) se trouvait mardi prise entre le marteau et l’enclume, accusée de la mort de trois manifestants partisans de groupes armés progouvernementaux, une semaine après avoir lancé une frappe meurtrière contre les forces rebelles dans le
nord du pays.
Trois personnes ont été tuées mardi à Gao, lors d’une manifestation devant le siège de la Minusma, à laquelle les protestataires reprochent d’avoir conclu un accord ce weekend avec les rebelles qui aboutira selon eux au désarmement ou au retrait des forces loyalistes de la ville. "Nous avons au moins trois manifestants morts, dont certains par balle", a déclaré à l’AFP un responsable de l’hôpital de Gao, citant également "plusieurs blessés graves", un bilan confirmé par un responsable du ministère de la Sécurité.
"La Minusma a tiré sur nous. La Minusma a tué des civils. Nous demandons le départ de la Minusma du Mali", a déclaré à l’AFP Ousmane Dicko, du Collectif des jeunes de Gao, faisant état d’"au moins trois morts et une quinzaine de blessés". Arnaud Akodjènou, le numéro deux de cette force multinationale - déployée depuis juillet 2013 après l’opération Serval initiée par la France pour chasser les jihadistes du nord du Mali - a catégoriquement démenti que ses troupes aient ouvert le feu.
"Nos policiers ont été assiégés ce matin (mardi) par des manifestants, mais je peux vous dire qu’aucune force de la Minusma n’a tiré sur les manifestants. Aucun, absolument aucun ordre n’a été donné de faire usage d’armes. Je suis formel", a-t-il dit à l’AFP. Selon des témoins, les manifestants furieux ont tenté de prendre d’assaut le siège de la Minusma, qu’ils avaient caillassé la veille.
"Des jeunes sont montés sur des véhicules de la Minusma, d’autres ont jeté des cocktails molotov sur les soldats de la Minusma. Ca sentait l’émeute", a indiqué une source indépendante contactée à Gao, précisant avoir entendu les tirs. Les manifestants protestaient contre la conclusion d’un accord sur une "zone temporaire de sécurité" à Tabankort, à mi-chemin entre Kidal, fief de la rébellion et Gao, contrôlée par des groupes armés favorables à Bamako, théâtre depuis plusieurs semaines d’affrontements entre les deux camps qui ont fait de nombreux morts, parmi lesquels beaucoup de civils.
- ’Bouc émissaire commode’ -
"Les populations de Gao ont le sentiment que la Minusma n’est pas à la hauteur de sa mission", a expliqué à l’AFP le politologue malien Mamadou Samaké. "La situation sécuritaire se dégrade à Tabankort, à Kidal, un peu partout. Les populations ont l’impression d’avoir beaucoup plus des touristes que des gens qui viennent défendre le Mali", a-t-il affirmé.
Plus indulgent, Jean-Hervé Jezequel, analyste principal pour le Mali à l’International Crisis Group (ICG), à Dakar, considère que "même si des erreurs ont pu être commises au sein de la Mission - une enquête pourra le confirmer - il faut reconnaître que le travail de la Minusma est compliqué. C’est un bouc émissaire commode".
"Elle est à la fois une force militaire de stabilisation, une force qui aide l’Etat malien à restaurer son autorité et une force de facilitation des négociations entre des parties en conflit, dont ce même Etat malien. Ce mandat multidimensionnel est difficile à concilier", a-t-il expliqué à l’AFP. Le nord du Mali est tombé en 2012 sous la coupe de groupes jihadistes liés à Al-Qaïda, en grande partie chassés par l’opération Serval, à laquelle a succédé en août 2014 l’opération Barkhane, dont le rayon d’action s’étend à l’ensemble de la zone sahélo-saharienne.
Selon M. Jézéquel, ces violences vont "compliquer les négociations de paix qui ont été reportées de janvier à février". Les affrontements à Tabankort mettent en péril le processus de paix, ont estimé vendredi l’Algérie et l’Onu, qui conduisent une médiation entre
gouvernement et rébellion. Le 20 janvier, des hélicoptères de la Minusma avaient détruit un véhicule rebelle près de Tabankort - en "légitime défense", selon l’ONU, en violation de sa neutralité selon la rébellion, qui a fait état de sept tués et 20 blessés dans ses rangs.
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