Devant une chambre de l’hôpital de la ville de Gao, dans le nord-est du Mali, deux djihadistes armés montent la garde. A l’intérieur, cinq hommes amputés d’une main et d’un pied au nom de la charia vivent prostrés, sans savoir quand les islamistes leur permettront de sortir.
Devant une chambre de l’hôpital de la ville de Gao, dans le nord-est du Mali, deux djihadistes armés montent la garde. A l’intérieur, cinq hommes amputés d’une main et d’un pied au nom de la charia vivent prostrés, sans savoir quand les islamistes leur permettront de sortir.
Des bandages protègent leurs membres amputés. Une lumière blafarde éclaire la pièce.
"Moi je reconnais avoir attaqué un car de voyageurs", dit Ardo (les prénoms ont été modifiés, ndlr) à un journaliste de l’AFP qui a pu, discrètement, s’introduire dans la chambre. "Mais ce n’est pas pour ça qu’on devait me couper une main et un pied".
Une bande de coupeurs de route, composée de quatre Peuls et d’un Touareg, avait attaqué le mois dernier un autobus sur l’axe qui relie Gao à la frontière nigérienne. Les passagers avaient été dépouillés d’une forte somme d’argent.
Quelques jours plus tard, l’équipe de sécurité des djihadistes de Gao arrêtaient des jeunes accusés du braquage. Puis, imposant leur interprétation de la charia (loi islamique), ils programmaient les cinq amputations publiques.
Le jour de l’application de la sentence, le 10 septembre, "j’ai eu tellement mal que je voulais me tuer moi-même", explique Yoro, dont les propos en langue peule sont traduits par un habitant de Gao. "Comment on peut couper une main comme ça ? Ma nouvelle vie, c’est aujourd’hui à l’hôpital. C’est triste pour moi", dit-il, âgé comme les autres d’environ 18 ans.
Un de ses voisins de chambre assure, lui, n’avoir "rien senti" quand on lui a coupé main et pied avec un couteau. "On m’a donné des comprimés à prendre avant. Je n’ai rien senti. C’est sûr que j’ai été drogué", dit-il, emmitouflé dans un boubou, sans pantalon, montrant son moignon.
Les djihadistes leur assurent deux repas par jour mais ne les autorisent pas, "pour le moment", à quitter l’hôpital.
Un des amputés confie : "Je m’appelle Cheikh. J’ai accompagné les autres qui ont volé. Mais je n’avais pas d’arme. Et je ne savais pas qu’on allait me couper une main et un pied". Sur une petite table à son chevet, des comprimés d’aspirine pour calmer des céphalées.
"ma vie est terminée"
Les lits sont vétustes, les matelas sans drap, les soins rudimentaires. Et les cinq garçons semblent plus en résidence surveillée que dans une chambre d’hopitalisation.
"C’est fini, je n’aurai plus jamais du travail", dit l’un. Un autre : "je serai obligé de me cacher pour vivre", "ma vie est terminée comme ça".
"Ils récupèrent quand même plutôt bien", commente le docteur Moulaye Djité, médecin à l’hôpital de Gao. "Pour le moment on ne peut pas dire qu’ils souffrent. Il n’y a pas d’infection, il n’y a rien. Je pense que ça va", ajoute-t-il.
Plutôt intimidé par la présence de djihadistes armés dans l’enceinte même de l’hôpital, le médecin n’en dit pas beaucoup plus : "Il y a une situation de fait, ici, que vous connaissez bien... Nous, notre rôle est de soigner les malades. C’est ce que nous faisons. Avec les moyens du bord".
L’orthopédiste est absent et il n’y a pas de matériel pour envisager la rééducation des cinq jeunes. Pour leur permettre de se déplacer, des béquilles en bois ont été confectionnées, mais aucun d’entre eux ne peut encore s’en servir.
Dans la foulée du coup d’Etat militaire du 22 mars à Bamako, les trois régions administratives du nord du Mali sont tombées aux mains des groupes islamistes radicaux Ansar Dine et Mujao, alliés de la branche maghrébine d’Al-Qaïda. Ils y appliquent leur interprétation de la charia qu’ils entendent imposer à tout le Mali.
Leur première amputation publique avait eu lieu en août à Ansongo (90 km au sud-est de Gao). L’homme mutilé avait été accusé d’avoir volé du bétail.