S’il est devenu infréquentable en Europe et aux États-Unis, le président du Zimbabwe, au pouvoir depuis 1980, reste très populaire sur le continent africain.
Le président zimbabwéen Robert Mugabe, le plus ancien chef d’État africain en exercice, a été désigné vendredi nouveau président en exercice de l’Union africaine (UA). Au pouvoir depuis l’indépendance de son pays en 1980, Robet Mugabe a échangé une poignée de main avec son prédécesseur, le Mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, sous les applaudissements de leurs pairs. Celui qui dirige son pays d’une main de fer depuis qu’il l’a conduit à l’indépendance en 1980, ayant eu raison de toutes les oppositions, assurera donc la présidence tournante de l’UA pour un an.
À 90 ans passés, il a fait mentir toutes les rumeurs sur son état de santé - alors qu’on l’a décrit à maintes reprises au seuil de la mort, lui prêtant notamment un cancer - ou une éventuelle volonté de passer la main. La Constitution zimbabwéenne lui permet théoriquement de rester au pouvoir jusqu’à 99 ans. "Je ne sais pas comment j’ai vécu aussi longtemps. C’est la volonté de Dieu", dit ce catholique pratiquant, le plus vieux chef d’État africain, qui a prévenu depuis longtemps qu’il finirait centenaire.
Adversaire acharné du régime ségrégationniste de Ian Smith, qui tentait de maintenir la minorité blanche au pouvoir en Rhodésie (l’actuel Zimbabwe), Mugabe a d’abord eu un destin comparable à Nelson Mandela dans l’Afrique du Sud voisine. Comme l’icône sud-africaine, ce héros de la libération nationale a été jeté en prison - pendant dix ans - par ses adversaires, et il a prôné la réconciliation après avoir obtenu l’indépendance en 1980.
Les premières années du tout nouveau Zimbabwe furent pour lui la période faste des accolades et des poignées de main avec les dirigeants du monde entier. On a alors encensé ses réussites - réelles -, ses programmes de construction d’écoles, d’établissements de santé et de nouveaux logements pour la majorité noire, auparavant marginalisée. Mais, déjà, l’Occident a préféré ne pas voir que les élections se déroulaient dans un climat d’intimidation, Mugabe ayant menacé de reprendre la guerre civile. Et une brutale répression s’est abattue dès 1982 sur la province du Matabeleland (Ouest), terre des Ndébélés acquise à son adversaire Joshua Nkomo. Le bilan des massacres est de 10 000 à 20 000 morts.
Robert Mugabe a su depuis faire taire toutes les oppositions, que ce soit par des purges au sein de la Zanu-PF, son propre parti, ou en s’arrangeant pour gagner toutes les élections. Après une "réforme agraire" sanglante qui a chassé la plupart des fermiers blancs du pays, les campagnes électorales ont été particulièrement violentes en 2002 et 2008, si bien que les Occidentaux ont multiplié les sanctions contre son entourage.
"Naufrage du Titanic"
Bien qu’il ait ruiné le Zimbabwe en menant une politique économique des plus hasardeuses, Robert Mugabe a été réélu en 2013 pour un nouveau mandat de cinq ans. Ses adversaires, confortés par certains observateurs indépendants, assurent qu’il a triché, notamment en manipulant les listes électorales. Mais s’il est devenu infréquentable en Europe ou aux États-Unis, Mugabe est resté un héros pour la plupart des Africains.
Ne serait-ce que parce qu’il a toujours osé vilipender les Occidentaux : ses tirades anti-impérialistes et ses provocations plaisent. On le compare à Hitler, il s’en moque. On lui reproche sa législation homophobe, il dit des homosexuels qu’ils sont "pires que des chiens ou des cochons", un discours qui ne choque pas forcément sur le continent. Et quand le Premier ministre britannique Gordon Brown ne veut pas le voir à un sommet Europe-Afrique en 2007, le président zambien Levy Mwanawasa, qui pourtant avait comparé la situation au Zimbabwe au "naufrage du Titanic", est le premier à prendre sa défense, menaçant lui-même de boycotter le sommet. Robert Mugabe a en outre su rompre l’isolement en se tournant vers l’Asie, imité par de nombreux dirigeants africains. Ces chefs d’État et de gouvernement africains, le vieux président les connaît tous depuis très longtemps.
Né le 21 février 1924 dans la mission catholique de Kutama (centre), Robert Mugabe a découvert la politique à la fin des années 1940 à l’université de Fort Hare. C’est dans cet établissement, le seul ouvert aux Noirs dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, que ce brillant élève - avec sept diplômes universitaires à son actif - a rencontré nombre des futurs dirigeants de la région. Son premier métier, l’enseignement, l’a fait voyager : en Rhodésie du Nord (la Zambie actuelle) d’abord, puis au Ghana fraîchement indépendant, dont le président panafricaniste Kwame Nkrumah a exercé sur lui une profonde influence.
Pour Aditi Lalbahadur, analyste à l’Institut sud-africain des affaires internationales, l’accession de Robert Mugabe à la tête de l’UA vendredi "est une reconnaissance par les dirigeants africains". "Cela le renforce également en tant que leader, et cela entérine aussi le statu quo politique au Zimbabwe", note-t-elle.