Introduction
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
Mesdames et Messieurs les membres du gouvernement,
Mesdames et Messieurs les membres du Parlement,
Mesdames et Messieurs les membres du Corps diplomatique et représentants d’organisations internationales, Mesdames et Messieurs,
Bonjour. Asalamu Alekum!
Je tiens à remercier le Président Moustapha Niasse de son aimable mot d’introduction, ainsi que les membres de l’Assemblée nationale et de l’équipe économique pour la chaleur de leur accueil.
C’est un véritable plaisir d’être au Sénégal, pays de la Teranga et d’ouverture, où les frontières entre cultures et continents se rejoignent, comme le Sine et la Seine le font si souvent dans la poésie de Senghor.
Le Sénégal peut s’enorgueillir de grands succès. Votre démocratie est un modèle pour l’Afrique, comme en témoigne la diversité de ce Parlement. Vous êtes reconnus pour la qualité de votre système éducatif, le dynamisme de votre société civile et la qualité de votre administration publique.
Le Sénégal ne peut pas pour autant se reposer sur ses lauriers. Il se trouve aujourd’hui à un tournant décisif. Les fondations de la croissance ont certes été posées, mais celle-ci n’est ni vigoureuse ni suffisamment bien partagée pour libérer le potentiel du pays, réduire sensiblement la pauvreté et assurer un avenir meilleur aux jeunes Sénégalais.
Heureusement, il existe une feuille de route. La nouvelle stratégie de développement du gouvernement, le Plan Sénégal Émergent, propose une trajectoire ambitieuse mais réaliste au terme de laquelle le Sénégal deviendrait un pays émergent. Cette trajectoire repose sur la nécessité d’accélérer et d’approfondir les réformes requises par ce plan. Cette ambition, le Sénégal le partage avec bon nombre de ses pairs africains.
Ces derniers temps, l’avenir de l’Afrique a été au cœur de l’agenda du FMI. L’année dernière, j’ai participé à une conférence, intitulée «L’essor africain», que nous avons organisée au Mozambique et qui a rassemblé des dirigeants politiques, des chefs d’entreprise et des membres de la société civile de 42 pays africains et d’autres parties du monde.
Cette conférence a souligné la valeur de l’apprentissage entre pairs. Il s’agit de passer de la prescription — Que faire ? — à une question plus pratique — Comment le faire?. Avec ses 188 pays membres, le FMI fournit une source incomparable d’expériences internationales et offre une plate-forme unique pour l’échange des connaissances.
Un proverbe wolof exprime parfaitement cette idée : «Ku la jëkk ci néeg bi moo lay wax ni ngay toogué» — C’est à celui qui te précède dans une pièce de te dire comment t’asseoir.
Aujourd’hui, je souhaiterais donc examiner l’avenir du Sénégal sous l’angle de ce dicton populaire wolof plein de sagesse et en m’appuyant sur le «trésor» de connaissances du FMI.
J’aborderai trois points :
(i) Premièrement, la voie à suivre pour «l’essor africain» et les implications pour le Sénégal;
(ii) Deuxièmement, comment le Sénégal peut s’appuyer sur le succès de ses pairs — les points positifs et les obstacles à surmonter;
(iii) Troisièmement, les mesures clés qui permettront de dynamiser l’économie sénégalaise et d’en faire une économie émergente.
I. La voie à suivre pour «l’essor africain» — Implications pour le Sénégal
Permettez-moi d’abord de revenir sur notre dernière rencontre au Mozambique. Une nouvelle ère s’ouvre en Afrique. Une ère où de nombreux pays vont de l’avant, avec une expansion continue depuis 10 ans ou plus, et prennent graduellement la place qui leur revient dans l’économie mondiale.
Cette conférence a aussi saisi l’essence des enjeux actuels en Afrique subsaharienne. Nous y avons tous convenu qu’il importe d’accélérer la transformation structurelle, de mettre en place des infrastructures qui font cruellement défaut, et de mieux partager les bienfaits de la croissance.
Les priorités sont tout à fait adaptées aux réalités du Sénégal. Pourquoi?
Le Sénégal a accompli des progrès considérables sur le plan de la stabilité macroéconomique. Néanmoins, les retards observés dans la mise en œuvre des réformes ont abouti à une croissance moyenne de 3–4 % par an, un taux inférieur à celui nécessaire pour encourager le secteur privé, créer des emplois et garantir la prospérité des générations futures. Je pense ici aux 45 % de votre population qui ont moins de 14 ans et pour qui il est urgent d’agir.
Pour devenir un pays à revenu intermédiaire comme il y aspire, le Sénégal devra s’employer à dynamiser son économie, à offrir plus d’opportunités aux petites et moyennes entreprises et à attirer l’investissement étranger. Cet objectif demandera plus d’efforts dans un environnement mondial incertain.
Selon nos dernières prévisions, l’activité économique mondiale sera plus faible cette année que nous ne l’avions prévu il y a seulement quelques mois. Et ce, malgré la baisse des prix du pétrole et le raffermissement de l’économie américaine et anglaise. La croissance ralentit dans de nombreux pays avancés et pays émergents, dont la Chine, l’un des principaux partenaires commerciaux de l’Afrique. Cela touchera inévitablement le continent.
En outre, l’économie mondiale est confrontée à plusieurs vents contraires. Tout d’abord, ce que nous appelons les politiques monétaires asynchrones dans les pays avancés: normalisation monétaire aux États-Unis et politique non conventionnelle au Japon et dans la zone euro. Même si le processus est bien géré et bien communiqué, il pourrait y avoir des effets négatifs sur les pays émergents et la stabilité financière à l’échelle mondiale. Les pays africains pourraient être touchés aussi.
Ensuite, il y a le risque d’une baisse persistante des prix du pétrole. Pour les pays exportateurs de pétrole, y compris africains, le secteur extérieur et les finances publiques seront probablement soumis à des pressions accrues. Cependant, pour les pays importateurs de pétrole, un recul des prix du pétrole offre l’occasion de réformer des subventions énergétiques coûteuses et inefficientes.
Bien entendu, la persistance des tensions géopolitiques — en Ukraine, au Moyen-Orient et même dans certaines parties de l’Afrique (Nigéria et Mali) — accentue ces vents contraires.
Ces perspectives ont des implications pour une Afrique qui est aujourd’hui plus intégrée dans l’économie mondiale. Les prévisions de croissance pour l’Afrique subsaharienne ont été révisées en baisse à cause du recul des prix du pétrole et des matières premières. Néanmoins, les perspectives globales africaines restent prometteuses et, avec un taux de croissance proche de 5 %, la région devrait afficher le deuxième taux le plus élevé du monde en 2015, après les pays émergents d’Asie.
Le Sénégal peut redynamiser son économie et de contribuer à placer la région sur la voie d’une croissance solidaire qui permette une réduction de la pauvreté.
Pour cela, il faut mettre fin à ces résultats décevants de l’économie sénégalaise au cours des 30 dernières années, avec une croissance moyenne d’environ 3,5 %. Le moment est venu pour le Sénégal d’accélérer sa croissance — d’atteindre les 7 ou 8 % envisagés dans le Plan Sénégal Émergent et enregistrés par les tigres asiatiques et les pays africains à croissance rapide.
En un mot, le moment est venu pour le « Lion rouge de rugir ». Mais comment accélérer la croissance?
II. S’appuyer sur le succès des pairs — Quels enseignements pour le Sénégal?
Cela m’amène à mon deuxième point : quels enseignements le Sénégal peut-il tirer de l’expérience de ces pays qui ont réussi à pérenniser leur décollage économique?
Globalement, l’expérience internationale nous offre deux conclusions.
Le premier : L’ambition de devenir un pays émergent dans un délai de 20 ans est réalisable. Les réformes nécessaires sont difficiles, mais possibles.
Le second : Tous les pays ne réussissent pas toutes leurs réformes systématiquement. Chaque pays a ses particularités.
Le Sénégal a défini la voie à suivre. Le programme de développement annoncé par le gouvernement inclut bien tous les éléments majeurs qui ont permis aux autres pays de réussir. Cependant, les obstacles peuvent aussi être considérables. Le Sénégal a trébuché sur ces obstacles par le passé. Le Ministre Ba l’a bien résumé lors de la réunion du Groupe consultatif pour le Sénégal qui s’est tenue l’an dernier : «Des plans stratégiques, nous en avons eu par le passé, mais nous avons souvent péché dans la mise en œuvre».
Aujourd’hui, le Sénégal peut tirer les enseignements de l’expérience d’autres pays qui ont traduit leurs intentions en actions concrètes avec succès.
Je mentionnerai trois enseignements essentiels qu’il convient de prendre en considération.
Premièrement, mettre l’accent sur une gestion budgétaire prudente et la stabilité macroéconomique.
Qu’ont donc fait les pays qui ont réussi — ces pays qui ont enregistré une progression de 5 % au moins de leur croissance par habitant? Je pense ici à des pays comme l’Inde, la Guyane et le Sri Lanka, mais aussi à des lions africains tels que Maurice, l’Ouganda et la République du Cap-Vert.
Tout d’abord, ces pays ont amélioré la qualité de leurs dépenses publiques, en particulier la gestion de l’investissement public. Cela leur a permis de débloquer l’investissement du secteur privé, y compris l’investissement étranger. Si ces composantes ne sont pas en place, une augmentation des dépenses, y compris de l’apport des bailleurs de fonds, a généralement entraîné une hausse de la dette, sans pour autant améliorer les résultats économiques.
Deuxièmement, accroître les exportations en s’ouvrant à l’investissement direct étranger. Pendant les épisodes de croissance, la plupart des pays ont accru leurs exportations de manière spectaculaire.
Cette expansion était soutenue par une augmentation considérable de l’investissement direct étranger, variant en moyenne de 1 % à 4 % du PIB. Les mesures destinées à améliorer le climat des affaires et faciliter la croissance de petites et moyennes entreprises compétitives à l’échelle mondiale ont également contribue à cette augmentation.
Troisièmement, renforcer les institutions et développer le capital humain. Un taux de croissance ambitieux n’est pas un objectif en soi. Il doit aussi conduire à une augmentation du bien-être de la population — de toute la population.
Il ressort de l’expérience internationale que lorsque cette dimension importante est négligée, les résultats peuvent être catastrophiques. L’absence de perspectives d’emploi et l’investissement limité dans le capital humain peuvent entraîner des déséquilibres croissants des revenus entre les zones rurales et urbaines, les hommes et les femmes, les populations jeunes et âgées. En fin de compte, ils peuvent provoquer des tensions sociales et compromettre les réformes.
III. Sénégal : bâtir l’avenir — Une masse critique de réformes
Ce qui m’amène au dernier point que je souhaite évoquer avec vous. Qu’est-ce que cette sagesse collective implique pour le Sénégal?
La bonne nouvelle, c’est que tous les ingrédients essentiels au succès sont en place. Le gouvernement dispose d’un solide programme de développement et il existe un consensus parmi les parties prenantes sur la nécessité d’opérer des réformes.
La communauté internationale partage la vision des autorités et a déjà promis un financement de plus de 7 milliards de dollars.
Mais il faut avant tout opérer une masse critique de réformes pour rompre résolument avec le passé et accélérer la croissance. Le temps est compté et il est urgent de répondre aux aspirations de la population, à savoir des emplois gratifiants, un niveau de vie amélioré et de meilleurs débouchés.
Sur la base de l’expérience internationale, je vois trois dimensions essentielles pour cette masse critique de réformes qui permettront de dynamiser l’économie sénégalaise.
Premièrement, renforcer la gestion des finances publiques et combler le déficit des infrastructures. Les infrastructures publiques et les dépenses sociales nécessitent des budgets supplémentaires. Toutefois, il ne s’agit pas simplement d’accumuler davantage de dettes. Il faut plutôt créer cet espace budgétaire en augmentant les recettes et en rationalisant les dépenses.
En particulier, les autorités peuvent réorienter les dépenses des postes peu prioritaires vers les postes prioritaires. Il faut orchestrer une réorientation des dépenses en capital mal planifiées et des subventions à l’électricité non ciblées — qui profitent principalement aux riches — vers des infrastructures bien planifiées et des investissements dans le capital humain — qui profitent à tout le monde, mais en particulier aux plus pauvres.
Deuxièmement, améliorer le climat des affaires de manière à accélérer la transformation structurelle. Le processus ardu d’amélioration du dispositif réglementaire du Sénégal a commencé. Le Sénégal fait partie des pays qui ont fait le plus de réformes en 2014 selon les indicateurs « Doing Business » de la Banque mondiale.
Néanmoins, le Sénégal reste en bas du classement par rapport à ses pairs africains pour ce qui est du climat des affaires. Et les conséquences sont énormes. Par exemple, ces dernières années, l’investissement direct étranger au Sénégal a avoisiné 2 % du PIB. C’est bien moins que les 7 % du PIB enregistrés dans beaucoup de pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire d’Afrique subsaharienne.
Il serait important d’élargir la portée des réformes réglementaires qui ont débuté afin d’attirer un investissement étranger indispensable. Il convient aussi de soutenir la création des petites et moyennes entreprises afin que les jeunes puissent obtenir des emplois productifs dans le secteur formel. C’est un pilier essentiel des aspirations des jeunes dans le monde entier.
Troisièmement, mieux partager les bienfaits de la croissance. Il n’est pas suffisant de réaliser un taux de croissance élevé. Il est nécessaire de mettre en œuvre une politique sociale préventive afin de développer le capital humain et de veiller à ce que la croissance profite au plus grand nombre.
Cette stratégie doit s’attacher à créer des opportunités pour une population jeune en croissance rapide et pour les femmes. Il est crucial de combler ce que Ousmane Sembene, l’un des plus grands écrivains africains, appelle «le terrible fossé entre les aspirations des jeunes et leurs réalisations».
Le Sénégal a pris des mesures importantes pour améliorer le statut des femmes dans les institutions politiques. La mixité d’institutions telles que ce Parlement résulte de dispositions légales qui exigent que les hommes et les femmes soient représentés de manière égale dans les listes des postes électifs.
Néanmoins, il reste beaucoup à faire pour que l’égalité des sexes soit une réalité. Le Sénégal se classe en 77e position sur 142 pays dans le classement 2014 du Forum économique mondial pour la discrimination entre les sexes, loin derrière des pairs tels que la République du Cap-Vert et le Rwanda. Bien des problèmes sont souvent liés à la structure patriarcale de la société, qui exacerbe l’accès limité des femmes à la justice, au pouvoir décisionnel, à l’autonomie économique et à la sécurité.
Il convient de surmonter ces obstacles, à l’aide de mesures délibérées, mais aussi en changeant les attitudes. Et comme de plus en plus d’études le démontrent, l’accès des femmes au marché du travail est une bonne chose pour la croissance économique.
Conclusion
En conclusion, le Sénégal se trouve effectivement à un tournant. Les rencontres que j’ai eues ici sont porteuses d’optimisme et d’espoir.
Les objectifs du gouvernement sont ambitieux mais réalistes. Les risques sont considérables, mais gérables, et les opportunités sont vastes. Le moment est venu d’aller plus loin, d’œuvrer ensemble pour réaliser une croissance partagée, riche en emplois et durable. C’est le bon moment pour renforcer l’émancipation économique des jeunes, des femmes et des plus démunis.
Je tiens à vous assurer que le FMI sera aux côtés du Sénégal. Le Sénégal est l’un des plus grands utilisateurs de notre assistance technique et de nos services de renforcement des capacités, et nous sommes fiers de continuer à le soutenir, que ce soit au moyen de conseils réguliers, d’un apprentissage entre pairs ou d’un nouveau programme, si évidemment tel est le souhait des autorités.
Le thème de notre conférence au Mozambique était l’essor de l’Afrique. L’essor du Sénégal, qui lui permettrait de devenir un pays émergent, constituerait un jalon important dans cette direction. Le voyage sera peut-être long et difficile. Ce n’est toutefois que si nous voyageons ensemble sur cette belle pirogue «Sunugal», que nous pourrons tenir la promesse du développement économique profitable pour tous auquel ce pays est destiné.
Comme l’a si bien dit Léopold Sédar Senghor, ‘le but que nous devons nous assigner ne peut être que le développement par la croissance économique. Je dis le développement. J'entends par-là la valorisation de chaque Africain et de tous les Africains ensemble. Il s'agit de l'Homme.”
Jereujef! Merci.