Malgré la mobilisation exceptionnelle de la quasi-totalité de la communauté internationale auprès du Mali ces dernières semaines, certains pays, qui, jusque-là étaient censés avoir une communauté de destin avec le nôtre sur les questions sécuritaires, sont subitement devenus les plus hostiles à une intervention militaire.
En tête de ce peloton se trouve l’Algérie, considérée « puissance régionale ». Le Niger, dont le président Mahamadou Issoufou, ne portait pas de gants il y a encore quelques jours pour fustiger « l’attentisme » et « l’absence de solidarité » de la communauté internationale face à la gravité de situation au nord du Mali et pour laquelle il appelait de tous ses vœux « une action militaire urgente », s’est lui aussi subitement rebiffé comme par enchantement. Dans la même mouvance se situe la Mauritanie du Général Abdoul Aziz, qui, dans un passé très récent, se permettait « des poursuites de djihadistes » et des frappes aériennes « chirurgicales » contre des « éléments d’Aqmi » sur le territoire malien et qui de surcroît a abrité, organisé et aidé le Mouvement nationale de libération de l’Azawad (MNLA) à entrer en « guerre pour l’indépendance » contre le gouvernement légitime que le peuple malien s’est donné, cette Mauritanie « très active » dans la lutte contre « le terrorisme et le narcotrafic » au Sahel, est elle aussi devenue subitement plus amorphe comme jamais.
Le Mali, que tous présentait il n’y a pas si longtemps comme « le ventre mou » du combat contre le terrorisme, se retrouve aujourd’hui « seul » n’eut été le soutien sans faille de la Cédéao, de l’Union africaine (UA), de la France de François Hollande et du Maroc du Roi Mohamed VI.
Que s’est-il passé en si peu de temps pour que « nos partenaires naturels » dans cette guerre « importée » chez nous sur tous les plans, « abandonnent » ainsi le Mali à ce qui peut être considéré à juste titre comme « un triste sort » ?
« C’est en période de souffrance que l’on reconnaît ses vrais amis », selon un adage populaire de chez nous. Le Mali fait face depuis janvier 2012 à la plus grave crise de sa jeune histoire vieille de 52 ans avec l’occupation/annexion des 2/3 de son territoire par des extrémistes de tous poils. La situation s’est davantage aggravée avec la crise institutionnelle qui découla du coup d’état du 22 mars 2012. Depuis lors, le pays se bat comme un beau diable pour trouver une issue, quelle qu’elle soit, à sa survie en tant que nation. C’est justement en ce moment précis que les pays qui devraient être les plus enclins à être solidaires avec le Mali, font preuve de réticences.
Cette situation « d’ambigüité » appelle de notre part, à plusieurs interrogations.
D’abord, en ce qui concerne notre pays, le Mali, doit-on se réjouir de « cette clarification » ou en pleurer ?
A l’analyse, excepté le Niger, les deux autres pays du champ, notamment l’Algérie et la Mauritanie ont chacun une part de responsabilité, ne serait-ce que morale, dans la crise qui secoue aujourd’hui le Mali. La Mauritanie pour avoir « naïvement » cru qu’en créant les conditions d’une partition du Mali, elle contribuerait à résoudre efficacement ses propres problèmes de sécurité et du terrorisme dans le Sahel. Quant à l’Algérie, il est notoirement reconnu, que les bandits et autres extrémistes qui écument aujourd’hui cette vaste zone, ont d’abord eu comme mentors les éléments salafistes algériens. Chassés du nord de l’Algérie sous les coups de boutoirs des forces armées et de sécurité du pays, ils se sont « repliés » vers le sud qui constitue en même temps le nord du Mali.
Qu’il s’agisse de l’Algérie, de la Mauritanie et dans une moindre mesure du Niger, qu’ils se le tiennent pour dit, le Mali se donnera les moyens, avec le soutien et l’appui des pays qui voudront bien y l’accompagner, pour bouter également « ces gens » hors de son territoire. Cela prendra le temps qu’il faudra, mais nous y parviendrons. Evidemment, l’idéal aurait été que le Mali bénéficie comme par le passé de l’accompagnement de ces pays, qui, faut-il le répéter, sont et demeurent ses partenaires naturels dans ce combat pour une région sahélo-saharienne stable, sécurisée, en paix avec elle-même et avec le reste du monde. Toute autre attitude serait difficilement défendable et surtout raisonnablement compréhensible aussi bien pour le peuple malien qu’aux yeux du reste de la communauté internationale.
Être une puissance régionale appelle à des responsabilités lourdes et historiques. De tous les temps, les peuples algérien et malien ont entretenu des liens de fraternité et de solidarité exemplaires. Nul besoin de rappeler à ce sujet que la ville de Gao, aujourd’hui sous occupation, abritait la plus importante base arrière du Front de libération nationale (FLN) en dehors du territoire algérien, dans sa guerre contre le colonisateur pour l’indépendance du pays. Curiosité de l’histoire, le Commandant en chef des forces du FLN qui opéraient à partir de cette base, est aujourd’hui le Chef de l’Etat algérien, Abdoul Aziz Bouteflika. Quelles que soient les raisons ou les motivations de « la prudence » algérienne vis-à-vis d’une intervention militaire étrangère pour libérer le Nord du Mali, le peuple malien ne peut raisonnablement pas comprendre cette attitude du frère algérien. Pour éviter que cela ne soit, il aurait suffi pour l’Algérie, la Mauritanie et la Niger de souscrire et de s’engager pleinement à l’idée émise et prônée pendant longtemps (depuis 2009 si je ne m’abuse) pour une gestion commune concertée des questions sécuritaires liées au terrorisme et au narcotrafic dans la bande sahélo-saharienne par le défunt régime d’Amadou Toumani Touré (ATT). Ce qui n’a pas été le cas. Entre temps, la crise libyenne est survenue avec tout ce qu’elle a eu comme conséquences pour la stabilité et la paix de la région. El là encore, le Mali ne partageant aucune frontière avec la Libye, les autres pays ont « volontairement » laissé transiter par leurs territoires des hordes de combattants lourdement armés vers le Mali, sachant bien que ce pays n’était pas du tout préparé à « accueillir » une telle cohorte de résidus.
S’il est vrai que les autorités maliennes de l’époque ont une très grande part de responsabilité dans ce qui s’est passé (manque d’anticipation, absence de réaction appropriée, mauvaise gestion, naïveté extrême, entre autres), ces pays « frères » auraient pu se dire également qu’ils contribuaient ainsi à faire de ce vaste territoire du nord malien « une poudrière » pour toute la région et un sanctuaire pour les extrémistes de tous bords.
A ce sujet, voilà ce que dit le ministre français de la défense Jean Yve-le-Driandans une interview accordée au confrère ‘’20 Minutes’’ « Défendre l’intégrité territoriale du Mali, c’est défendre la sécurité de l’Europe. Depuis plusieurs mois, des groupes de djihadistes - Mujao, Ansar Eddine, Aqmi, Boko Haram – profitent d’une forme de déshérence de l’Etat malien pour progresser vers le Sud. Et pour établir une zone qui est en train de devenir un sanctuaire terroriste. Cette situation ne peut plus durer. Il faut agir vite: chaque semaine perdue fait le jeu des terroristes », et de renchérir « La grande différence avec l’Afghanistan, c’est que le Sahel se trouve à 1.200 km du Sud de l’Europe. Quand nous sommes intervenus en Afghanistan en 2001, c’était au lendemain des attaques du 11 septembre. N’attendons pas qu’un tel drame se reproduise pour agir ».
Répondant à une question relative à « une réticence » algérienne par rapport à une intervention militaire des troupes africaines sous mandat des Nations unies, la réponse du ministre français est on ne peut plus claire à ce sujet : « Il n’y a pas, à ma connaissance à ce jour, de position officielle de l’Algérie sur la situation. Si l’Algérie veut accompagner d’une manière ou d’une autre la France et le Mali dans cette volonté de pacification de l’ensemble de la zone, elle sera la bienvenue. Le gouvernement malien a sollicité la France, les Nations unies, l’Europe. Les Nations unies ont déjà répondu par une première résolution, la 2056, qui valide la nécessité d’une intervention. Il y a urgence, il faut agir. Les conditions du rétablissement du caractère démocratique du régime malien passent par l’intégrité territoriale malienne ».
Ces propos, ajoutés à ceux tenus la semaine dernière par le président français, François Hollande, devant l’Assemblée générale des Nations Unies et au Sommet sur la paix et la sécurité au Sahel qui s’est tenu dans la foulée, devraient convaincre tous ceux qui ont encore « quelque doute » sur la détermination du monde civilisé à mettre fin urgemment et de façon définitive à la barbarie qui sévit dans le Nord du Mali et les menaces qui en découlent pour la sécurité du monde entier. L’Algérie aurait dû porter le leadership de ce combat et de la manière la plus adéquate possible. Maintenant, accepterait-elle de se mettre en « marge » de la communauté internationale et aller contre une résolution des Nations unies visant à secourir un pays « frère » ? Je suis de ceux qui refusent de le croire. Mais les prochains jours et semaines nous édifieront quant à l’attitude définitive que les uns et les autres adopteront par rapport à la question.
Aucune autre alternative à une action militaire ne semble aujourd’hui être réaliste en vue d’une libération rapide et sans conditions des régions occupées. Toute autre démarche contribuerait à faire durer davantage et inutilement les souffrances des populations et d’aggraver le drame humanitaire qui en découle.
L’histoire retiendra les actes que chacun aura posés en pareilles circonstances.