Une délégation gouvernementale dirigée par le chef de la diplomatie malienne, SEM Abdoulaye Diop est depuis mercredi dans la capitale algérienne autour de la table des négociations avec les cadres des mouvements rebelles touareg et arabes (MNLA, HCUA et MAA). Il s’agit de l’ultime phase avant la signature probable d’un accord prévue à Bamako censé mettre fin à la sempiternelle crise du septentrion malien. Cependant, face à la multiplication des affrontements entre groupes d’autodéfenses pro gouvernementaux et les combattants des groupes armés, il est évident que cette phase s’annonce des plus difficiles. Sans oublier, le fait que, malgré toutes les phases franchies dans le sillage de ces pourparlers, les questions essentielles semblent rester en suspens. Des questions qui tournent autour du caractère malien du nord et surtout, de la volonté commune de tout ce beau monde de vivre ensemble et d’avoir un destin en commun. Les cadres des différents groupes armés accepteront-ils un jour de rentrer dans le giron de l’Etat et de se considérer comme des citoyens maliens à part entière?
Cette phase s’annonce des plus délicates. A cause des pertes qu’ils ont subies ces derniers jours, les mouvements rebelles ont boycotté le début de ces négociations. La signature d’un nouvel accord de cessez-le-feu initiée par la MINUSMA pour créer un cadre propice au dialogue a tout simplement échoué. Non seulement, la majorité des cadres des mouvements rebelles n’ont pas fait le déplacement mais ils ont également exigé la restitution des localités de Tessit, Tarkint, Almoustrat, Tabankort, entre autres. Ils ont aussi remis sur la table le très controversé accord qui avait été signé entre eux et la MINUSMA. Des revendications saugrenues qui prouvent que désormais, ils sont en position de faiblesse. Les travaux effectifs devront commencer aujourd’hui lundi.
Ce processus de paix en cours depuis l’élection d’IBK est différent de tous les autres qu’on a pu observer jusqu’ici à travers le monde dans l’Histoire récente dans la résolution des conflits. Des négociations ou encore pourparlers n’ont lieu qu’après une guerre à l’issue de laquelle, une partie prend l’ascendant sur l’autre. Ainsi, la ligne adoptée sera favorable au vainqueur.
Mais dans le cas malien, il semble qu’on veut danser, et des deux mains, et des deux pieds, en même temps. C’est ce dont on assiste actuellement. En même temps que les combattants des groupes armés et les milices pro gouvernementales se font la guerre sur le terrain, dans un cadre mondain, les dirigeants rebelles et la délégation malienne se réunissent pour négocier. Physiquement, l’on discute mais l’esprit est ailleurs, entre Gao et Kidal, à Tabankort plus précisément. Chaque partie essaye de prendre un avantage assez considérable sur le terrain pour pouvoir exiger des choses. Le jeu, c’est d’essayer de se rapprocher le plus possible de la position de force tant convoitée.
Cette situation inédite dans la géopolitique internationale est simplement due au fait que la Communauté Internationale, surtout la France, a imposé que l’on négocie avec ces rebelles qui ont pris les armes contre la République prétextant dénoncer les conditions de vie précaires des populations du nord. Il ne s’agit, ni plus ni moins que d’un acte de terrorisme car si l’on veut vraiment dénoncer, il suffit tout simplement de multiplier les tribunes et de plaider haut et fort la cause, qui à la base, est juste. Seulement voilà, sur un même pied d’égalité, rebelles et représentants gouvernementaux négocient l’avenir immédiat du Mali. Une minorité qui arrive à retenir en haleine tout un pays à cause de cette position paradoxale de la Communauté internationale.
Une autre donnée importante, et il faut avoir le courage de le dire, l’Armée malienne ne peut en l’état actuel de ses moyens techniques, matériels et humains, s’emparer de Kidal, la place forte des rebelles touaregs et arabes. Logistiquement et par un manque de connaissance du terrain par rapport aux rebelles, ce serait trop risqué. De plus, les nouvelles autorités, dans le but de créer un cadre propice au dialogue ont signé un cessez-le-feu avec la partie adverse qu’ils s’interdisent de violer.
Et si l’issue des pourparlers dépendait des affrontements en cours ?
Le médiateur algérien annonçait lors de la première phase des pourparlers qu’un accord serait signé au bout de 100 jours. Inutile de dire que ce délais butoir est passé depuis fort longtemps. Le très grand nombre de protagonistes, la résurgence du terrorisme fanatico-islamiste et surtout la divergence des points de vue entre l’Etat malien et les rebelles ont eu comme conséquence l’enlisement du processus de paix. L’impression désormais ressentie après l’espoir tant affichée, est l’inquiétude.
La volonté de la Communauté internationale de vouloir régler la crise du septentrion malien par la seule voie politique, n’est-elle pas utopique ? Comment deux camps ennemies peuvent aveuglement se faire confiance au point de vouloir, une nouvelle fois, vivre l’un à côté de l’autre ? Et pourquoi donc s’entête-t-elle à octroyer aux groupes rebelles une légitimité et une force politique qu’ils n’ont pas ? Derrière cet état de fait, ne se cache-t-il pas des enjeux géostratégiques ? Autant de questions que le malien lambda est en droit de se poser.
Les récents accrochages de Tabankort entre milices pro gouvernementales, principalement le GATIA, et les rebelles touareg et arabes du MNLA, HCUA et MAA ne sont autres qu’une manière pour les différents protagonistes de se positionner en force. Ultime stratégie avant la signature d’un hypothétique accord de paix.
En réalité, il est plus que probable que l’Etat malien, pour rester en conformité avec l’accord de cessez-le-feu que violent constamment les groupes rebelles, ait « milicisé » une partie de son armée, celle qui maitrise le plus cette partie du pays. Ceux-là qui ont combattu le MNLA et alliés et qui occupent actuellement la localité stratégique de Tabankort ne sont autres que des soldats maliens accomplissant leurs devoirs régaliens. Hors de question pour l’Administration IBK d’être à l’origine d’un quelconque effritement de l’Unité nationale malienne.
Et d’ailleurs, partout où le président de la République s’est rendu, il a salué le rôle hautement patriotique des mouvements armés dite de la Plateforme. Selon ses dires, ces mouvements sont l’émanation légitime du nord malien et œuvrent pour que cette partie de notre pays soit partie intégrante du Mali.
Avec le succès très encourageant de ces mouvements, peut-on prétendre demain prendre Kidal ?
Il est évident que bouter les apatrides du MNLA et compagnie hors d’une région qu’ils pensent leur appartenir serait une chose hautement salutaire pour les pourparlers en cours. L’Accord signé dans ces conditions serait entièrement en faveur de l’Etat malien. Mais, qu’on n’oublie surtout pas que les rebelles peuvent aussi avoir un allié de taille pour combattre les troupes maliennes. Il s’agit des jihadistes à la solde d’un certain Iyad Ag Ghaly. A plusieurs reprises, côte à côte, islamistes et rebelles ont combattu l’Armée malienne. Là, la donne peut changer et tourner très vite au vinaigre pour les nôtres.
Qu’attend la Communauté internationale pour mettre fin à cette crise ?
C’est la Communauté internationale, plus précisément la France qui a voulu que l’on aille aux négociations avec les groupes rebelles. Les maliens se rappellent avec amertume que les troupes Serval avaient refusé l’accès des hommes de Didier Dakouo à Kidal, après que Gao et Tombouctou aient été reconquises. Le MNLA qui, alors, n’existait presque pas car ayant plusieurs fois mordu la poussière contre le MUJAO, a pu se reconstituer aussi rapidement politiquement que militairement. Tout aurait été tellement facile si l’armée française avait permis à nos soldats de rentrer dans la ville de Kidal et de désarmer les combattants rebelles. Il est probable que le président François Hollande se morde les doigts en voyant la tournure que prennent les évènements dans le nord malien. Car en plus de la crise opposant rebelles et loyalistes, il y a le péril jihadiste qui menace considérablement tout le Sahel et au-delà, toute l’Europe. Lors du Forum France-Afrique, la semaine dernière, le président français annonçait que le Mali recouvrerait bientôt son intégrité territoriale. Songeait-il, enfin à changer de ton vis-à-vis des rebelles ? L’avenir nous le dira.
Pour une paix, définitive et durable, il n’y a pas de recettes miracles. Tout simplement, la Communauté internationale qui est à la base de la complexification de la crise malienne doit rectifier l’erreur qu’elle a commise, deux ans plus tôt. Il faut exiger au MNLA, au HCUA et au MAA de désarmer et de se constituer en un mouvement politique en rentrant dans le giron de l’Etat malien. La France et la MINUSMA doivent comprendre qu’il ne peut y avoir deux armées et deux autorités dans un même pays.
L’enjeu principal du nord est purement géostratégique
Néanmoins, si le processus de paix s’enlise, il doit bien y avoir une cause. Et c’est là où, l’on peut donner raison à ceux de nos compatriotes et même à certains analystes qui pensent que l’enjeu principal du nord est purement géostratégique. Toute cette mise en scène, à savoir : la Conférence des donateurs de Bruxelles, les pourparlers de paix d’Alger et même le déploiement d’une mission onusienne au Mali, ne serait qu’un malin prétexte pour se partager les richesses du Sahara commençant depuis Léré jouxtant la frontière mauritanienne en passant par la vallée d’Amétatai jusqu’aux Adrars. Si ce n’est que ça, l’Etat malien est ouvert à toute proposition pourvue qu’une paix véritable soit trouvée. Ce n’est certainement pas avec une infime minorité de gens qui ne se considèrent plus comme maliens que la France ou une quelconque puissance étrangère devrait négocier du partage des ressources d’une région du Mali.
Ahmed M. Thiam