Dans cette circonscription à la position géographique particulière car entourant la capitale, les terres sont convoitées avec une rare frénésie.
Le ministre des Domaines de l’Etat, des Affaires foncières et du Patrimoine, Mohamed Ali Bathily, poursuit la croisade contre la spéculation foncière qu’il avait engagée quand il occupait le département de la Justice. Il était jeudi dernier à Sirakoro Niaré, Kati Koko-Plateau, Kambila et Toubana, quatre localités situées dans le cercle de Kati.
Quatre localités confrontées à des conflits fonciers opposant les villageois à des sociétés immobilières.
Le cercle de Kati est l’un des plus vastes et des plus peuplés du Mali. Il couvre une superficie de 16 897 km2 avec 39 communes. Mais ce n’est pas tant son importante superficie qui en fait une circonscription exceptionnelle. C’est plutôt sa situation géographique. En effet, Kati entoure Bamako, et constitue, en quelque sorte, la réserve foncière de la capitale que les spéculateurs ont transformé en garde-manger.
C’est par Toubana que le ministre a entamé sa visite. Ici, des sociétés immobilières se sont accaparées de 1300 hectares de terres agricoles. Le chef de village se nomme Christophe Coulibaly. Il est aujourd’hui âgé de 99 ans. Du moins officiellement. Malgré son âge très avancé, le doyen reste très lucide. Il a dénoncé avec force les agissements des sociétés immobilières.
« Elles se sont présentées avec des titres fonciers. Certaines ont même prétendu que c’était moi qui leur avait vendu les terres. Dieu les voit et les entend. Il leur fera payer», a dit Christophe Coulibaly. Mais en attendant le jugement divin, la justice des hommes est saisie du dossier. Elle se prononcera dans un premier temps le 26 février prochain.
Sans attendre ce verdict, Christophe Coulibaly souhaite que les plaques plantées par les sociétés immobilières pour matérialiser ce qu’il considère comme leurs domaines, soient enlevées. Le chef de village a, au nom de la population, supplié le ministre Bathily d’aider les villageois à récupérer les terres qu’ils cultivent pour nourrir leurs familles.
Le chef de bureau des Domaines et du Cadastre de Kati, Ibrahim Simpara, a reconnu que la marchandisation de la terre et la spéculation foncière ont atteint des proportions très inquiétantes même en milieu rural. Cette tendance réduit les superficies des terres de culture comme une peau de chagrin.
Il a ensuite évoqué les conditions précaires dans lesquelles le bureau des Domaines et du Cadastre de Kati travaille : manque de local et d’équipements logistiques, récurrence de faux documents fonciers, et non rattachement d’environ 19 000 titres fonciers tous exposés au risque de double emploi ou de chevauchement aux conséquences parfois fâcheuses, insuffisance de sessions de formation, notamment dans le domaine du régime foncier, non maîtrise de l’assiette fiscale due à l’absence de cadastre et chevauchement de compétences avec d’autres services de l’Etat.
S’exprimant en langue nationale bambara, le ministre a expliqué les conditions d’attribution et des terres et les personnes habilitées à faire ce travail (le chef de village, le sous-préfet, le préfet et le gouverneur de Région). Mais une fois que la superficie dépasse les 50 hectares, le dossier doit être approuvé par le Conseil des ministres.
A Sirakoro-Niaré, du nom d’une petite localité située entre Bamako et Kati, une affaire défraie la chronique. Le litige foncier porte sur un espace d’environ 700 hectares dont un particulier, sous la bannière d’une agence immobilière, s’est accaparé avec la complicité d’agents des domaines de l’Etat. L’affaire serait passée sous silence si les choses s’étaient déroulées comme convenu entre les différentes parties.
L’histoire a viré à l’aigre entre l’acquéreur et les vendeurs lorsque le premier décida de morceler l’espace. C’est à ce moment que les populations de Sirakoro-Niaré se mirent en branle, saisissant le département de la Justice pour dénoncer ce qu’elles appellent une bombe à retardement qui risque de faire exploser la petite localité. Le nouveau propriétaire s’était alors plaint à ses partenaires qui, pour le soulager, lui désignèrent un autre espace de 120 hectares.
Mais le nouvel emplacement était occupé par un autre titre foncier. Une partie du site serait même réservée pour la construction d’une mosquée, tandis qu’une autre partie se situe dans le domaine militaire de Kati. L’acquéreur se sentant floué s’est transporté au ministère de la Justice, muni de tous les documents, pour tout déballer. En son temps, le ministre Bathily alors garde des sceaux avait animée une conférence de presse exclusivement consacrée au dossier.
« Ce qui s’est passé à Sirakoro Niaré est inadmissible et c’est la preuve flagrante des spéculations foncières tous azimuts impliquant plusieurs niveaux de complicité. J’ai donné des instructions pour annuler les attributions de titres et pour faire le point sur les malversations foncières dans un délai d’une dizaine de jours», a annoncé le ministre Bathily. C’est en 2007 que la société immobilière était venue acquérir des parcelles à usage agricole. Mais elle les aménagea par la suite pour les vendre sous forme de parcelles d’habitation.
« Des morcellements de parcelles de 20/20 sont vendus à des millions Fcfa aux acquéreurs alors que la société elle-même n’a acquis le terrain qu’à des prix dérisoires. Et pire, toutes les autorités administratives, communales et coutumières assurent n’avoir pas été au courant de ces attributions de terres. Pourtant, ces sociétés immobilières ont pu acquérir des titres fonciers », a dénoncé le ministre Bathily, invitant partout les populations à porter plainte contre les sociétés qui les grugeraient.
Mohamed Ali Bathily a remis au bureau des Domaines et du Cadastre de Kati des matériels de bureaux et a demandé au bureau de transférer toutes les archives vers le ministère. Ces équipements composés de fauteuils, de chaises, de photocopieuses, de fax, d’ordinateurs de bureau avec accessoires, d’imprimantes, de scanners et de GPS portables sont destinés aux bureaux des Domaines à Koulikoro, Banamba, Fana, Kati, Kolokani et Kangaba.
Signalons que les bureaux des Domaines et du Cadastre ont aussi une mission de recouvrement des recettes domaniales et des droits et taxes afférents aux transactions foncières. En 2014, le bureau de Kati a réalisé 5 milliards de Fcfa de recettes pour une prévision de 3,7 milliards de Fcfa, soit un taux de réalisation de 134,18%. Ce volume de recouvrement dépasse largement celui de 2013 qui s’était établi à 3,7 milliards de Fcfa.
A. TOURE