C’est par un vote de 140 voix pour, 6 contre et zéro abstention que les élus de la Nation ont adopté la Loi portant statut de l’Opposition politique en République du Mali. Ce vote utile intervient dans le souci de renforcer davantage notre système démocratique. Le texte composé de 23 articles répartis en 4 chapitres, a été adopté avec 13 amendements. Ce nouveau texte corrige les insuffisances de loi N° 00-047 du 13 juillet 2000 portant statut des partis politiques de l’Opposition sous AOK.
Le contexte de cette loi fait ressortir que, l’Opposition composante essentielle de la Démocratie, présente un caractère d’utilité publique. Elle est investie d’une véritable mission de service public de par son pouvoir de critique et de contre-proposition. A cet effet, elle doit disposer d’un statut la plaçant dans un cadre normalisé qui garantit l’effectivité et la jouissance de ses droits et devoirs.
Pour rappel, la loi N°00-047 du 13 juillet 2000 portant statut des partis politiques de l’opposition en vigueur au Mali, avait pour objet de conférer à l'Opposition politique un statut juridique dans un cadre démocratique. Mais il consacrait une pluralité des portes étendards de la critique républicaine aux fins de contenir le débat politique dans les limites de la légalité. Elle reconnaissait à l’Opposition une fonction essentielle du jeu démocratique et du multipartisme intégral que la Révolution du 26 Mars 1991 venait d’offrir au Mali.
Mais, dans la mise en œuvre de cette loi, certaines insuffisances ont été constatées notamment l’extension de l’objet de la loi aux partis politiques en général alors qu’il fallait le recentrer autour des seuls partis politiques de l’Opposition, l’absence des règles précises concernant le cadre de consultation de l’Opposition par les autorités sur les préoccupations nationales majeures. On y décelait aussi l’inexistence d’une périodicité pour la production du rapport annuel de l’Opposition sur La mise en œuvre de cette loi, le manque de règles protocolaires et de préséance de représentation officielle de l’Opposition dans ses relations avec le pouvoir et dans la gestion des affaires publiques.
Corriger les insuffisances
C’est en vue de corriger ces insuffisances que la présente loi a été initiée et votée. Ainsi, selon le rapport de la Commission des Lois Constitutionnelles, de la Législation, de la Justice, des Droits de l’Homme et des Institutions de la République de l’Assemblée Nationale, le nouveau texte donne à l’Opposition un véritable statut en institutionnalisant un porte-parole qui se voit conférer le titre de chef de file de l’opposition. Ses privilèges et prérogatives se voient renforcés. Le Chef de file de l’Opposition devra être désormais consulté par le Président de la République et le Premier ministre sur les préoccupations nationales majeures. La loi assimile les avantages du Chef de l’Opposition à ceux d’un Premier vice-président de l’Assemblée nationale.
Selon la nouvelle loi, est considéré comme Opposition politique tout parti politique ou groupement de partis politiques qui ne participe pas au gouvernement ou ne soutient pas l’action gouvernementale. Elle peut être parlementaire ou extraparlementaire.
Le Président de l’Assemblée nationale communique la liste des partis politiques composant l’opposition parlementaire au Premier ministre. Quant aux partis de l’Opposition extraparlementaire ils adressent une déclaration au Premier ministre.
Droits et devoirs de l’Opposition politique
Selon le texte, le droit à l’Opposition politique est reconnu à tout parti politique ou groupement de partis politiques. Ainsi, Tout parti politique de l’Opposition peut participer au gouvernement ou soutenir l’action gouvernementale. De ce fait, selon l’esprit de la Loi, tout parti politique qui décide de participer au Gouvernement devient un parti de la majorité présidentiel et perd ainsi le droit de militer dans l’Opposition. Les partis politiques de l’opposition peuvent être consultés sur les grandes préoccupations nationales sur lesquelles ils se prononcent. Dans le respect strict de la souveraineté nationale, des lois et règlements, les partis politiques de l’opposition peuvent établir et entretenir des relations de coopération avec des partis politiques étrangers ou associations politiques internationales. L’accès aux médias publics et privés est garanti.
Le devoir des partis politiques de l’opposition est d’agir dans le respect de la Constitution, des lois et des règlements de la République en tous lieux et en toutes circonstances. Dans le sens du renforcement de l’idéal démocratique et du progrès, l’Opposition politique a le devoir de suivre l’action gouvernementale, de la critiquer de façon objective et constructive.
Qu’en est-il du Chef de file de l’Opposition et de ses avantages?
L’Opposition politique est représentée par un porte-parole qui prend le titre de Chef de file de l’opposition politique. Il est issu du parti de l’Opposition ayant obtenu le plus grand nombre de députés à l’Assemblée Nationale au cours des dernières élections législatives. «Dans le schéma où l’Opposition parlementaire n’existe pas, le Chef de file l’Opposition politique est désigné au sein du parti politique déclaré dans l’Opposition et ayant eu le plus grand nombre de conseillers à l’occasion des dernières élections communales» poursuit le même texte.
Le texte donne au chef de file de l’Opposition un cabinet dont la composition, les modalités d’organisation, de fonctionnement et les avantages sont ceux du cabinet du Premier vice-président de l’Assemblée Nationale. Les crédits nécessaires à la prise en charge de ce Chef de file et de son cabinet sont inscrits au budget national.
Selon les termes de la nouvelle loi, le mandat du Chef de file de l’opposition prend fin dans les cas suivants : la fin du mandat, le décès, l’acceptation d’une fonction incompatible, la démission de son poste et l’exclusion ou la démission de son parti.
A retenir aussi que le Chef de file de l’Opposition et les dirigeants des partis politiques de ce mouvement ne peuvent pas faire l’objet de discrimination, de sanction administrative, d’emprisonnement en raison de leurs opinions ou appartenance politiques. Le Chef de l’Opposition adresse au Premier ministre un rapport annuel sur la mise en œuvre des dispositions de la loi portant statut de l’Opposition politique.
Quant à la synthèse des écoutes, et selon le rapport lu par l’honorable Alkaïdi Touré, la quasi-totalité des personnes ressources entendues par la Commission ont salué l’initiative d’organiser les partis politiques de l’Opposition parlementaire et extraparlementaire dans un cadre juridiquement reconnu et protégé afin d’harmoniser les positions de tous ces partis.
Toujours selon cette synthèse, d’autres personnes ressources écoutées, estimant que l’Opposition politique est pluraliste, ont émis des réserves quant à la désignation d’un porte-parole pour tous les partis politiques de l’Opposition.
«La nature des relations entre les dirigeants des partis politiques et les membres des missions diplomatiques, consulaires et des organisations internationales a été au centre des débats pendant les travaux de la Commission» souligne la note de synthèse. Ainsi, beaucoup ont soutenu qu’il y a lieu de laisser la faculté aux partis politiques de l’Opposition de se prononcer sur toutes questions d’intérêt national qui leurs paraissent importantes.
Les avis sont divergents quant à l’alignement du Chef de file de l’Opposition politique au Premier vice-président de l’Assemblée nationale du point de vue des avantages et de l’organisation de son cabinet.
D’autres questions non moins importantes ont été abordées au cours des débats. Il s’agit, entre autres du mandat et des conditions de remplacement du chef de l’Opposition, du principe d’égal accès aux médias d’Etat pour l’ensemble des partis politiques et du ou des destinataires du rapport annuel que doit produire le Chef de file de l’Opposition.
Ainsi, aux termes des séances d’écoute, après une analyse approfondie des propositions, observations et suggestions formulées par les personnes ressources, suite à une analyse comparative des lois régissant l’opposition politique dans certains pays (Bénin, Burkina Faso, Niger, République Démocratique du Congo) et dans le souci de renforcer notre système démocratique, la Commission a jugé nécessaire d’apporter un certain nombre d’amendements au présent projet de loi.
Pour sa part le ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation M. Abdoulaye Idrissa Maïga, il a salué l’esprit de sagesse qui a prévalu au cours de l’élaboration de ce texte. Il a trouvé que le texte est à l’avantage de tous les partis politiques. Car dit-t-il, «aujourd’hui, on est à la majorité, demain on peut être à l’opposition. C’est un bout de temps». Après les débats, souvent très houleux, la loi a été adoptée par une écrasante majorité de 140 voix pour, 6 contre et zéro abstention. Tous les amendements ont été aussi adoptés sauf un. Ce dernier a été rejeté par les députés à 109 contre, 19 pour et 5 abstentions. Un décret pris en Conseil des ministres précisera les avantages spécifiques du chef de fil de l’opposition.
Réagissant à l’adoption de cette loi, le président du groupe parlementaire de l’opposition dénommé "Vigilance républicaine et démocratique (VRD)", l’Honorable Mody N’Diaye, a estimé que "la démocratie malienne est en train de gagner en maturité et cela est un bon signe dans le cadre du dialogue entre l’opposition et la majorité".
Pour Mamadou Diarrassouba, député de la Majorité, la nouvelle loi "est une véritable avancée démocratique".
De son côté, l’Honorable Oumar Mariko du parti SADI, membre aussi de la majorité, a estimé que "cette loi n’a pas innové. L’innovation se trouve uniquement au niveau de la création du chef de file de l’opposition". "Contrairement à beaucoup de mes collègues, je ne penses pas que l’adoption de cette loi soit une avancée. C’est plutôt un recul" dit-il.
Alors, les regards sont désormais tournés vers le Président de la République qui doit promulguer cette loi pour son entrée en vigueur. Car, selon l’article 40 de la Constitution malienne «le Président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement du texte définitivement adopté. Il peut avant l’expiration de ce délai demander à l’Assemblée Nationale une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée et suspend le délai de promulgation. En cas d’urgence, le délai de promulgation peut être ramené à huit jours».
Dieudonné Tembely