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Maouloud Ben Kattra, Secrétaire Général du SNEC : « Tant que la moitié du budget de l’éducation restera liée aux partenaires, nous ne sortirons jamais de l’ornière »
Publié le jeudi 5 mars 2015  |  Le Prétoire




Sa mission à l’intérieur du pays, la gestion des enseignants des collectivités locales, le financement de l’éducation et l’inaction de l’Etat pour jouer pleinement son rôle pour le redressement de l’école malienne. Voilà entre autres sujets abordés par le secrétaire général du Snec, Maouloud Ben Kattra, dans un entretien qu’il a bien voulu nous accorder.
Le Prétoire : M. Ben Kattra, vous venez d’effectuer une mission à l’intérieur du pays, quel était son objet?
Effectivement, nous venons de boucler une mission à l’intérieur du pays. C’est conformément aux recommandations de notre 12ème congrès, il a été décidé que le bureau exécutif du Snec prenne attache avec l’intérieur du pays afin de s’occuper des préoccupations des militants de l’intérieur. Il va sans dire que pendant ces 20 dernières années, tous ceux qui nous ont précédés n’ont pas eu la chance d’aller à l’intérieur du pays pour rendre beaucoup plus visible notre syndicat. Au sortir de notre congrès, nous avons pris notre bâton de pèlerin et l’objectif principal de notre mission est de voir d’abord, aujourd’hui, ce qui se passe sur le terrain par rapport à la gestion des fonctionnaires des collectivités, la gestion des enseignants des écoles communautaires, y compris les médersas, mais aussi d’autres préoccupations locales et régionales que nous ignorions au niveau de Bamako. Voilà ce qui nous a guidés dans 4 régions à savoir : Mopti, Ségou, Kayes et Sikasso. A partir des capitales régionales, nous sommes descendus dans des localités telles Nioro, Diéma, Yélimané, Bandiagara, Koro, Bankass, Djénné, Mopti, Bla, Yangasso, Sofara, Dïoila et nous continuons bientôt dans les autres régions et dans les autres localités. C’est vraiment une tournée très riche. Nous avons beaucoup appris auprès de nos militants. Mais nous avons fait passer le message de notre syndicat par rapport aux préoccupations dont je parlais tantôt.
Vous venez de toucher le véritable problème de l’école malienne, à savoir la gestion des enseignants des collectivités. Quel est la situation dans ce secteur ?
La situation actuelle, elle est préoccupante et elle passe inaperçue. On a comme l’impression que l’Etat qui sait que c’est une préoccupation majeure du système éducatif ne le prend pas au sérieux. Voilà une fonction publique dans laquelle nous retrouvons plusieurs chapeaux d’enseignants. On trouve les enseignants qu’on appelle les fonctionnaires des collectivités, qui sont passés par concours suite à un appel à candidature du ministère de l’éducation nationale, mais aussi du ministère de la décentralisation, immédiatement recrutés. Mais dans le lot, on trouve des enseignants qui avant ceux-ci ont été recrutés et que l’on appelle les ayants fait fonction. Ils ont été recrutés suite à une formation de 45 jours, que l’on appelle la formation Serpe. Parmi eux, il y en a qui ont le DEF, d’autres le BAC et d’autres qui n’ont ni l’un ni l’autre, mais qui ont suivi une formation pédagogique de 45 jours. Ceux-ci ont une situation stagnante. Tous les autres sont rentrés par voie de concours et du point de vue avancement sont allés avant eux. A côté de ceux-ci, vous avez une catégorie qui a bien passé au concours de la fonction publique, mais qui n’a pas intégré la fonction publique des collectivités. Il y en a parmi eux qui, malgré leur intégration à la fonction publique, peuvent faire deux à trois ans sans avoir les avantages liés à la fonction. Ce sont des avancements liés à la hiérarchisation à l’emploi, tant bien même que l’Etat a installé les organisations paritaires. Mais malheureusement, ces structures paritaires ne tiennent jamais de réunions. Il est dit que chaque deux ans, les enseignants doivent avancer. Mais les structures y afférentes ne se réunissent pas. Si elles ne se réunissent pas, l’enseignant n’avance pas. Il faudrait que le syndicat les pousse à se réunir.
L’administration scolaire a les oreilles sourdes, l’administration des collectivités tarde à le faire. Parfois, c’est le syndicat qui les pousse à tenir ces réunions au niveau des organismes paritaires. Une fois qu’ils se réunissent, il faut attendre deux à trois ans pour avoir les arrêtés d’avancement. Une fois que nous avons les arrêtés d’avancement, il faut attendre deux à trois ans pour voir les avantages liés à cet avancement. Nous disons que cela ne doit pas continuer au moment où l’Etat veut avoir une qualité dans le système éducatif, il ne peut pas y avoir dans le même système plusieurs sortes d’enseignants. Voilà, notre syndicat n’est pas contre la fonction publique des collectivités, mais estime que les collectivités territoriales n’ont pas les compétences requises pour gérer les carrières des enseignants. Que les collectivités s’occupent beaucoup plus de la construction de salles de classe, d’achat de manuels scolaires, de tables-bancs. Il faut que les enseignants puissent être gérés par les compétences que l’on retrouve au niveau de la fonction publique de l’Etat. Voilà pourquoi le combat de notre syndicat, c’est l’intégration de tous les enseignants à la fonction publique de l’Etat et non à la fonction publique des collectivités. Ajouter à cela aussi leur problème de formation. Beaucoup d’entre eux sortent pendant 10 à 15 ans sans recevoir aucune formation continue. Et ceux qui sortent des instituts de formation des maitres, une fois sur le terrain, se rendent compte que c’est différent de ce qu’on leur a enseigné.
Aussi, toutes les innovations technologiques noient l’enseignant. Mais également, les enseignants qui ont des classes pléthoriques même à Bamako avec 150, 200 et 250 élèves. A l’intérieur du pays, l’enseignant est escamoté. Croyez-moi, avec 150 copies qu’un enseignant doit corriger, à la 50ème copie le reste ne serait qu’un travail bâclé. Dans ces conditions, l’enseignant qui n’est pas accompagné, qui ne dispose pas de toutes les conditions qu’il faut pour dispenser normalement son cours, c’est extrêmement difficile. Il y a une catégorie d’enseignants que les conseils de cercle, les conseils régionaux ont recruté en fonction de leur budget. Très généralement, ils font deux à trois mois sans avoir leur salaire, parce que les collectivités disent ne pas avoir les moyens. Ils s’en plaignent au niveau de l’Etat. Nous avons analysé, nous avons trouvé que l’enseignant est devenu un ballon qu’on met au centre. Quand vous demandez aux collectivités, elles vous diront qu’elles ont fini leur travail, que les états sont faits et qu’ils sont envoyés au niveau du contrôle général du budget. Quand vous vous rendez chez ce dernier, il vous dira que c’est plein d’erreurs, qu’il a renvoyé le document pour correction. Ce jeu peut prendre un mois et demi, et l’enseignant n’a pas son salaire. Voilà ce qui occasionne les grèves à répétition. Parce que dans le système éducatif malien, il y a des enseignants qui sont payés juste à la fin du mois parce qu’ils émargent sur le budget de l’Etat, et les autres doivent attendre parfois 15 jours après. C’est normal qu’ils partent en grève pour que leur salaire tombe à temps. Le Snec est tout a fait d’accord qu’un enseignant qui n’a pas son salaire à la fin du mois fasse une cessation de travail jusqu’à ce que son salaire soit payé.
Qu’en est-il de ceux des écoles communautaires?
Encore une autre catégorie d’enseignant, il s’agit de ceux des écoles communautaires. A l’époque, le Snec n’était pas pour la création des écoles privées. L’Etat a trouvé comme argument que les écoles de formation étaient fermées et qu’il y avait un besoin d’enseignants, voilà pourquoi, dans le système, on a les vacataires, les volontaires et on a encouragé les communautés à créer des écoles et à y envoyer leurs enfants. Les mêmes communautés qui payent des taxes et des impôts à l’Etat attendent de l’Etat qu’il construise des salles de classe pour leurs enfants.
L’Etat se décharge sur eux, en leur demandant de créer des écoles et, pire, il leur demande de verser des salaires de 25 000 F. Ce qui est une violation grave de la loi fixant les salaires au Mali, c’est-à-dire le Smig qui est de 28 000 F, aujourd’hui. Pendant notre tournée, on a vu des écoles communautaires où les enseignants font 22 mois sans salaire, et là où ça marche, ils font deux à trois mois sans leurs salaires. Une des revendications du Snec est de demander à l’Etat l’arrêt de création des écoles communautaires, de transformer celles existantes en écoles publiques et d’intégrer les enseignants à la fonction publique. Au niveau du Snec, nous avons pu tenir des formations grâce à nos partenaires, Oxfam Novib et L’international de l’éducation. A côté de ceux-ci, nous avons trouvé au cours de notre tournée que les enseignants souffrent dans les classes où ils dispensent les cours. Ils souffrent beaucoup des effectifs pléthoriques, des manuels scolaires inexistants, des classes souvent obscures, du manque de portes et de fenêtres pour certaines classes, du manque de toilettes et de cours, de bibliothèques, d’infrastructures de sports. Où est-ce que l’on va ? Alors que de fora, que d’ateliers nous avons tenus, des recommandations fortes formulées. Voilà là où se trouvent notre école et les enseignants. A côté de ceux-ci, nous avons remarqué à Djenné par exemple des écoles mobiles, où les enseignants dédiés pour ces écoles accompagnent les parents bozos pour dispenser les cours dans les pinasses. Ces enseignants qui font tout ce sacrifice Les avantages leurs sont accordés théoriquement, mais la réalité du terrain est tout autre. Nous avons fini notre tournée, nous sommes en train de préparer notre rapport et nous allons tenir une conférence de presse le 16 mars prochain pour alerter l’opinion nationale et internationale par rapport à la situation des enseignants, qui reste un métier noble, un métier sacerdotal.
Vue cette situation alarmante on peut dire que l’Etat ne joue pas son rôle ?
L’Etat ne joue pas du tout son rôle. L’Etat n’a pas les moyens pour jouer son rôle. L’Etat a tous les papiers qu’il faut pour ça. L’Etat a une bonne vision pour notre école, le Prodec est là, la loi sur l’orientation de l’école est là, mais la plupart des moyens financiers qu’il a ce sont les partenaires techniques et financiers qui les donnent. Tant que la moitié du budget national de l’éducation est liée aux partenaires, ils feront tout pour recruter beaucoup d’enseignants. Ils feront tout pour construire beaucoup de salles de classe. C’est pour cela que nous envisageons de préparer une table ronde pour interpeller les Maliens afin que nous puissions avoir une autonomie financière pour notre école. Le budget pour l’éducation est de 33% dont la moitié est donnée par les partenaires, tant que cela dure, nous ne sortirions jamais de l’ornière. Donc, l’Etat a toute une littérature par rapport à son école. Mais l’école qu’elle veut est financée par les partenaires, et les partenaires, vous le savez bien, l’argent qu’ils donnent, ils ne le donnent pas gratuitement. Si un partenaire vous donne 10 milliards, il le reprend avec 15 milliards, parce que l’argent à la banque, les intérêts augmentent. Ces recettes sont comprises dans les intérêts que nous avons soit dans la vente de l’or ou du coton. C’est malheureux pour notre pays.
Quelles sont aujourd’hui les perspectives, les réclamations et les revendications du Snec ?
Les perspectives du Snec, c’est d’abord pour l’enseignant, parce que le Snec est un syndicat pour l’éducation et la culture. Le Snec veut mettre l’homme de la culture au cœur des actions du développement, en le mettant dans les conditions requises. Les préoccupations du Snec, c’est surtout de faire en sorte qu’il y ait une véritable décision politique, comme pour les coupes d’Afrique des Nations, nos Etats doivent prendre leurs responsabilités en prenant au sérieux le système éducatif, parce que le développement passe par là. C’est aussi de faire des propositions concrètes à l’Etat, et que ces propositions soient prises en compte par l’Etat, et l’ouvrir à la société civile. Mais notre principale préoccupation est que le financement de l’éducation revienne à la souveraineté entière de l’Etat. Les Maliens peuvent le faire si on aide l’Etat, mais tant qu’on dépend de l’extérieur, on n’ira pas de l’avant.
Votre mot de la fin ?
C’est d’inviter tous les Maliens de quelque bord syndical que ce soit pour qu’on sorte le système éducatif et les enseignants du Mali de cette situation. Il faut une véritable synergie d’action entre l’ensemble des organisations syndicales d’enseignants. Mais si chaque syndicat se bat de son côté, ça ne résoudra jamais les problèmes des enseignants. Au delà des syndicats, je demande aux ONG et autres acteurs intervenant dans le secteur de l’éducation de se donner la main pour trouver la solution aux problèmes qui minent l’éducation.

Entretien réalisé par Nouhoum Dicko
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