Deux ans après l'arrivée des forces françaises, l'attaque perpétrée samedi rappelle la fragilité de la situation sécuritaire dans ce pays.
C'est une première sanglante pour les Occidentaux dans la capitale malienne. Cinq personnes, dont un Français et un Belge, ont été tuées, et neuf autres blessées, samedi 7 mars, dans une attaque contre un restaurant de Bamako. L'attentat a été revendiqué par le groupe jihadiste Al-Mourabitoune, lié à Al-Qaïda, qui a notamment voulu venger l'un de ses chefs, tué en décembre par l'armée française.
Les forces françaises sont présentes au Mali depuis 2013, dans le cadre des opérations Serval et Barkhane, afin de repousser les groupes armés islamistes et sécuriser le pays. Alors, faut-il voir dans l'attaque perpétrée dans le centre de Bamako un signe de l'échec de cette mission française ?
Non, la France a permis d'apaiser la situation
Souvenez-vous, début 2013. A l'époque, le nord du pays, dont les villes de Kidal, Gao et Tombouctou, est occupé par des groupes jihadistes, qui commettent des exactions contre les populations et menacent de poursuivre leur offensive vers le Sud. Le 11 janvier, la France lance l'opération Serval et, rapidement, les jihadistes abandonnent leurs positions. Une élection présidentielle est organisée avec succès en août, avant d'être saluée par François Hollande, qui se félicite d'avoir "gagné cette guerre, chassé les terroristes et sécurisé le Nord".
En août 2014, l'opération Barkhane prend le relais de Serval, à plus petite échelle, avec 3 000 hommes et un rayon d'action étendu (Mali, Tchad, Niger, Mauritanie et Burkina Faso). Il ne s'agit alors plus tant de reconquête territoriale que de "débusquer les groupes terroristes", explique un spécialiste du Mali, Jean-Christophe Notin, à francetv info. Les résultats suivent : en décembre, dans un raid français, le chef jihadiste Ahmed El-Tilemsi, l'un des fondateurs du Mujao (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest) est tué dans la région de Gao. C'est ce même chef qui a été "vengé", samedi, à Bamako.
Dans ce contexte d'apaisement relatif, des discussions s'ouvrent, en juillet 2014, entre le gouvernement malien et les rebelles du Nord. Un premier "accord pour la paix et la réconciliation" est paraphé, le 1er mars 2015, par le gouvernement et des groupes favorables au régime. Il doit désormais être signé par les principaux mouvements rebelles à dominante touareg, qui ont réclamé un délai pour consulter leur base.
Oui, le pays n'est pas encore sécurisé
Malgré l'intervention française, la menace persiste au Mali. "C'est un demi-succès, tranche le chercheur Michel Galy, auteur de La guerre au Mali, interrogé par francetv info. On considère qu'un tiers des combattants des divers mouvements a été tué, un tiers capturé et un tiers dispersé vers le nord du Niger, l'Algérie et la Libye."
Certains chefs jihadistes ou indépendantistes touareg sont de retour dans le nord du pays, où l'instabilité s'est accentuée durant l'automne 2013. "On constate une résurgence de ces forces, qui sont revenues avec de nouvelles armes et se livrent à une forme de harcèlement", indique à francetv info André Bourgeot, directeur de recherche au CNRS. Un exemple parmi d'autres : deux enfants et un Casque bleu tchadien ont été tués, dimanche, par des tirs de roquettes à Kidal.
Le contrôle du Nord et la protection des civils sont principalement assurés par les forces françaises et onusiennes dans les grandes villes comme Tessalit, Kidal, Gao ou Tombouctou. "Les armées restent beaucoup à l'intérieur, et sortent peu en brousse, où des mines ont parfois été placées par les rebelles", explique André Bourgeot, qui insiste aussi sur le rôle des "trafics de drogue dans la région".
Oui, la France n'a pas su fédérer
"L'attentat de Bamako ne révèle pas tant un échec de l'intervention française que les limites de ces opérations, estime le journaliste Antoine Glaser, auteur d'Africafrance, joint par francetv info. La fragilité sécuritaire du Mali a peu reculé, Bamako a été touchée, et la France est extrêmement isolée."
Cette dernière a reçu le soutien, dès juillet 2013, de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma). Cette force compte près de 9 000 Casques bleus, à 80% déployés dans le nord du pays, indique RFI. "Mais ses soldats viennent de 40 pays différents, souvent parmi les plus pauvres du monde, et sont sous-équipés et peu motivés", déplore Antoine Glaser. Pour lui, "la France arrive au bout de ce qu'elle peut faire sans l'aide de ses partenaires européens, qui restent extrêmement silencieux".
La présence française au Mali pourrait même avoir des effets contreproductifs. "Il y a une hostilité grandissante à l'égard de la Minusma et des militaires français, désormais perçus comme une armée d'occupation favorable aux Touareg laïcs du [mouvement indépendantiste] MNLA", estime le chercheur André Bourgeot. "Les interventions étrangères peuvent, par leurs prises de position, contribuer à la prolongation du conflit", redoute Michel Galy.
Par Yann Thompson
Source: Francetv info