Bamako - Depuis l’attaque islamiste à Bamako, qui a fait cinq morts près de chez lui, Alou Coulibaly ne dort que d’un oeil. Comme lui, résidents et touristes dans la capitale malienne affirment être sur leurs gardes: les tueurs courent toujours.
M. Coulibaly habite le quartier de L’Hippodrome, à environ 200 mètres du bar-restaurant La Terrasse. Ce haut lieu de la vie nocturne bamakoise fut le théâtre, dans la nuit de vendredi à samedi, d’un attentat à la grenade et à la mitraillette qui a coûté la vie à trois Maliens, un Français et un Belge.
"On est sortis, on a entendu +Tatatatatata+" lorsque le tueur a ouvert le feu, "on a vu des morts blancs et des morts noirs", raconte à l’AFP cet homme au visage rond. "On a passé la nuit sans dormir".
"On est inquiet. Avec les jihadistes, on est en danger (...) On dort mais pas tranquille", ajoute-t-il.
Cet attentat, le premier à frapper des Occidentaux à Bamako, a été revendiqué par le groupe jihadiste Al-Mourabitoune de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, qui a dit vouloir venger le prophète de l’islam "insulté et moqué" par les mécréants.
Appuyées par des policiers de la mission de l’ONU au Mali (Minusma) et des enquêteurs français et belges arrivés en renfort, les investigations ciblent une dizaine de "véritables terroristes organisés", selon des sources proches du dossier.
Parmi eux figurent un binational russo-malien, qui n’a pu être localisé, et le chauffeur présumé, qui serait handicapé, a-t-on précisé.
Pierre et Jocelyne, un couple de retraités français arrivés vendredi pour quelques jours de vacances, maintiennent leurs plans, bien que les Occidentaux soient visés et que les auteurs de l’attentat courent toujours.
"Cette attaque gratuite ne change en rien notre programme. Nous allons dans nos restaurants comme d’habitude", assure Pierre, 65 ans, attablé avec Jocelyne dans un modeste établissement du quartier du Fleuve, qui attire habituellement une forte clientèle cosmopolite.
"Je n’ai pas peur. C’est un peu comme chez nous, avec Charlie Hebdo. On ne doit pas céder à la panique sinon ils (les tueurs) auront gagné", poursuit-il, en référence à la tuerie perpétrée par deux jihadistes le 7 janvier à Paris dans les locaux de l’hebdomadaire satirique français, qui avait publié des caricatures du prophète.
Il juge cependant "normal" de prendre des précautions, comme la fermeture pour deux jours du lycée français, qui accueille plus de 1.200 élèves de plusieurs nationalités.
- ’Ne pas se terrer’ -
Ibrahim Tounkara, le gérant de l’établissement où déjeunent Pierre et Jocelyne, n’a pas enregistré pour l’heure de désaffection, mais redoute que l’attentat vienne "créer la psychose dans tous les restaurants de Bamako".
"Mes clients sont là en ce moment. D’autres viennent par solidarité, pour montrer qu’ils ne cèdent pas à la panique", avance-t-il.
Un expatrié travaillant dans le domaine de la sécurité souligne sous couvert d’anonymat qu’il faut "trouver le juste milieu: ne jamais donner l’impression qu’on a peur, mais rester tout de même très prudent".
"Je ne crois pas une seconde qu’il faille se terrer chez soi parce que des abrutis nous menacent", ajoute-t-il, estimant que "la peur devient plus dangereuse que ces fanatiques".
Après l’émoi de l’attentat, les rues de Bamako ont renoué avec leur circulation habituelle.
Depuis samedi, les autorités - le président Ibrahim Boubacar Keïta en tête
- martèlent que le Mali ne cédera pas à la peur et appellent au calme.
"Inonder Bamako par les forces de sécurité fera le jeu de ceux qui veulent semer la panique dans notre pays", a déclaré lundi le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Choguel Maïga, balayant les critiques sur le manque de visibilité de la police et de l’armée.
Madou Bomou, un Malien, approuve les consignes de sang-froid et n’aurait pour rien au monde renoncé à déguster au restaurant un plat de yassa au poulet (riz blanc à la sauce aux oignons).
"Mais il faut plus de sécurité, au moins aux endroits fréquentés par les blancs", nuance-t-il.
"Je doute vraiment du professionnalisme des agents de sécurité", poursuit-il. "C’est comme si la présence de la Minusma et des autres militaires ne servait pas à protéger les gens".
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