Notre pays est au centre d’une intense lutte d’influence entre les « grands » pays qui, à la faveur du règlement du conflit, entendent faire prévaloir leur approche
Le dossier Mali suscite-t-il un affrontement entre partisans d’une solution négociée et soutiens d’une intervention militaire ? Entre la France qui pousse pour obtenir une résolution de l’ONU ouvrant la voie à un déploiement des troupes internationales et le négociateur de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), le président Blaise Compaoré qui, de son côté, pèse vers la négociation, il y a-t-il une compétition ?
De prime abord l’on est tenté de répondre par l’affirmative. Fidèle à sa ligne de conduite consistant à nouer les fils du dialogue entre les autorités maliennes et les groupes armés qui occupent le Nord du pays, le président du Faso vient de poser un acte qui, à première vue, s’inscrit à contre courant des efforts déployés depuis quelques semaines par Paris.
En recevant dimanche, une délégation du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), venue à sa demande lui remettre une plateforme de revendications politiques, Blaise Compaoré pose les jalons d’un plan de dialogue. Il envoie la balle dans le camp du gouvernement de Transition en appelant notre pays à créer les conditions de l’entame des pourparlers de paix avec le MNLA. Son appel devrait trouver un écho favorable du côté de Bamako puisque le président par intérim, Dioncounda Traoré, avait insisté sur la voie du dialogue lors de son discours à la nation du 22 septembre dernier. Sauf que le plan de dialogue du négociateur de la Cédéao arrive comme une bouée de sauvetage lancée à un groupe irrédentiste cherchant à maintenir sa tête hors de l’eau. Le MNLA l’a bien compris qui pour montrer sa bonne disposition au dialogue, jette aux orties ses velléités sécessionnistes pour parler « d’auto-détermination ». Mais avait-il le choix ?
Jonction. Et c’est là que les actions du président burkinabé font la jonction avec celles de la France. Le plan burkinabé semble être le prolongement du projet de résolution du Conseil de sécurité, annoncé jeudi dernier, par Paris en vue de préparer le terrain pour un feu vert ultérieur de l’ONU à une intervention militaire. Le projet conciliera «une réponse politique et militaire» en appelant «à l’ouverture d’un dialogue» entre Bamako et les islamistes qui contrôlent le Nord et en prévoyant l’entraînement sur place de l’armée malienne. Le texte comportera également «un appel aux groupes armés à se dissocier du terrorisme» et une demande au gouvernement «d’ouvrir un dialogue avec le Nord».
La France maintient ainsi le pied sur l’accélérateur dans le dossier Mali sur la scène internationale. Elle a même réussi à éclipser la voix de notre pays lors de la 67è session de l’assemblée générale de l’ONU en marge de laquelle une réunion spéciale a été organisée, le 26 septembre dernier, sur la crise dans le septentrion. A telle enseigne que le « oui » du gouvernement à un déploiement des forces de la Cédéao est apparu comme un simple facteur facilitant le plan de reconquête du Nord sous la houlette de l’Hexagone. De même que la demande de la Cédéao pour obtenir l’autorisation de l’ONU.
Le président François Hollande en martelant que l’occupation du Nord Mali étant une situation « inacceptable », a réussi à prendre une longueur d’avance dans la lutte d’influence dont le Mali est désormais le centre à son corps défendant. Du fait principalement de la France, mais aussi des Etats-Unis, et dans une moindre mesure, de l’Algérie, le Mali n’a plus quitté le devant de la scène onusienne depuis la mi-septembre. Le Conseil de sécurité de l’ONU a ainsi entamé, jeudi dernier, des discussions préliminaires pour affiner sa réponse à la demande de la Cédéao.
Le président français François Hollande est sûr que « nul ne fera obstacle » au projet de résolution annoncé par son pays au niveau du Conseil de sécurité. Et pas plus tard que le week-end dernier, il a multiplié les contacts lors du sommet 5+5 réunissant à Malte cinq pays européens et leurs cinq voisins du Maghreb, pour faire avancer le projet d’une intervention miliaire au Nord de notre pays. Il a tenté surtout de rallier à sa cause le Premier ministre Abdelmalek Sellal dont le pays ne cache pas son scepticisme quant au projet d’intervention militaire.
Sans doute pour confronter les points de vue, une délégation algérienne effectue actuellement une tournée dans les pays du champ dont le nôtre. Le pays du président Bouteflika semble avoir réussi un rapprochement de vues avec les Américains sur le dossier. En tout cas, la déclaration faite à Alger, la semaine dernière, par le général Carter F. Ham, patron d’Africom, était parfaitement en phase avec la thèse algérienne : «la situation dans le nord du Mali ne peut être réglée que de manière diplomatique ou politique». Même si le sous-secrétaire d’Etat aux Affaires africaines Johnnie Carson, précisait par la suite que Washington est prête à soutenir «une intervention armée bien préparée, bien organisée, bien pourvue, bien pensée».
La bonne préparation d’une éventuelle intervention militaire est primordiale. C’est à cela que s’attèlera sans doute la réunion prévue à Bamako le 19 octobre prochain et devant rassembler la Cédéao, l’Union africaine et l’Union européenne notamment. Cette rencontre ouvrira peut-être la voie à une autorisation de déploiement d’une force militaire africaine appuyée au plan de la logistique principalement par les Etats-Unis et la France.
La machine de l’intervention militaire est lancée. Même si des grains de sable peuvent encore se glisser dans la mécanique. Comme les éventuelles frictions que pourrait engendrer le dernier rapport de l’ONU faisant état de collusion (dont on attend les preuves) entre des groupes pro-Gbagbo et l’ex-junte et même les islamistes d’Ançar Dine pour entraver l’action de la Cédéao dans notre pays.
On pourra compter sur l’expérience de Romano Prodi, l’ex-Premier ministre italien, ou de Ibn Chambas, l’ancien patron de la Commission de la CEDEAO, pressentis au poste de représentant du secrétaire général de l’ONU au Sahel, pour apaiser les tensions et concilier les différentes positions. Pour le plus grand bien de notre pays.
B. TOURE