La réforme de l’armée doit d’abord admettre que la désobéissance est la première motivation du métier de militaire en Côte d’Ivoire, contrairement à l’esprit d’une armée moderne qui se fonde sur l’autorité, la hiérarchie, la discipline et le respect de la légalité. Peut-on réformer l’armée ivoirienne actuelle, fruit de cette sédimentation de mutins et d’indiscipline ? Ouattara peut-il réformer le secteur de la sécurité en ne prenant pas en compte cet aspect intangible d’indiscipline ?
La démobilisation se fait avec les armes conservées par les démobilisés, qui se convertissent pour beaucoup en coupeurs de route et en brigands de grands chemins, attaquant et pillant les villages sans que leurs anciens compagnons d’armes devenus des institutionnels n’arrivent à les stopper. La réinsertion ? Elle ne se fait pas dans les milieux civils et non fonctionnarisés. On retrouve l’armée de réserve de Ouattara au cœur de la garde des douanes et des frontières, de la garde des prisons, de la préservation des eaux et forêts. Ces hommes armés peuvent être à tout moment remobilisés pour la cause des forces répressives de Côte d’Ivoire. Ils sont maintenus par les privilèges que Ouattara leur offre et prennent en otage l’Etat. Nous retrouverons, dans ces corps paramilitaires, les mêmes phénomènes de promotion et de gestion de carrière que pour la génération recrutée au même moment avec les mêmes profils. Pour avoir été chef du gouvernement en 1991, le président ivoirien veut la correction de cette indiscipline militaire, qui, aujourd’hui ne relève pas de la volonté des techniciens de la défense ou de l’armée, mais de celle des décideurs politiques législateurs et exécutifs. On pourrait comprendre que les gendarmes et les policiers puissent aller à 55 ans à la retraite, mais cela ne doit pas s’appliquer aux militaires, qui obéissent à d’autres contraintes d’emploi des forces, selon les réponses stratégiques et tactiques à apporter aux menaces et risques qui pèseraient sur le pays et l’adéquation des moyens qui y seraient consacrés. Mais pour cela, encore faudrait-il que l’on dispose d’un concept d’emploi des forces.
La première chose qui s’impose au président est de comprendre qu’il doit être mis un terme définitif aux nombreuses années d’instrumentalisation de l’armée, de la police et de la gendarmerie par les hommes politiques à des fins par tisanes. Les métiers de militaire, de gendarme et de policier ne peuvent pas être des emplois justes bons pour prendre les armes. Les hommes et les femmes qui sont dans ces métiers ont certes des armes, mais ils n’ont pas pour vocation d’utiliser ces armes pour tuer leurs concitoyens non armés, les populations civiles ou de faire des coups d’état. Nous n’avons besoin ni d’une armée pléthorique, ni d’une armée bureaucratique, ni d’une armée de revanchards, de frustrés, de justiciers ethniques et encore moins d’une armée de vandales indisciplinés. Dans l’armée, les gens doivent être bien formés. La Cote d’Ivoire comme le Mali a besoin d’ingénieurs militaires, de juristes militaires, de médecins militaires, de chimistes militaires, d’architectes militaires, de plombiers, de maçons, de menuisiers militaires… ils peuvent construire une telle armée. Ils doivent construire cette armée, pour le bien, la sécurité et le bonheur de leur Nation respective.
Pour cela, Ouattara d’abord définir une «doctrine» de défense et de sécurité qui ne soit pas un chapelet de déclamations et de vœux pieux. La défense et la sécurité nationales pour quoi faire ? Une armée de conscription ou une armée professionnelle ? Avoir recours à des appelés ou bien doit-on se contenter des seuls engagés ? Quels doivent être les proportions entre les appelés et les engagés ? Pour quelles durées les uns et les autres seraient mis au service de l’armée ? Pour quelles missions et dans quel cadre ?
Abdoulaye A. Traoré,
Doctorant en sociologie