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Tombouctou dans une angoissante attente : Des familles réclament les corps des victimes de la reconquête
Publié le mardi 17 mars 2015  |  L’Indicateur Renouveau




Les parents des victimes des crimes imputés aux Forces armées maliennes (FAMa) attendent toujours que justice leur soit faite. Les lenteurs de l’Etat dans la gestion de ce dossier s’apparentent à une couverture de l’impunité. Le non-respect du devoir de vérité par l’Etat, sur ces faits, discrédite le processus de réconciliation nationale, car les victimes sont identifiées et attendent d’être « enterrées« dans les règles humanitaires et islamiques.

Si l’animateur de radio à Tombouctou, Sidi Ahmed El hadj, a préféré mettre son engagement dans l’Association des victimes pour la réconciliation, Mohamed Ould Aly, lui, s’est tourné vers l’humanitaire. Les deux ont la particularité d’avoir perdu chacun son père dans des conditions troubles.

Pour Sidi Ahmed, l’Association des victimes pour la réconciliation a été créée par les victimes. « Il y a plusieurs types de victimes, c’est vrai, mais notre Association regroupe les victimes d’avant, pendant et après l’occupation », explique-t-il. En effet, Sidi a perdu son père le 1er avril 2013, le jour de l’attaque des jihadistes à Tombouctou.

« La veille même du 1er avril, il y a eu une explosion juste à la rentrée de Tombouctou en partance pour Goundam. Au moment où les militaires se préparaient pour aller vers l’explosion, d’autres jihadistes ont pu infiltrer cette zone. Déjà, dans la ville, il y avait des tirs partout. J’étais à l’hôpital régional en tant qu’animateur radio pour m’informer de ce qui se passait et surtout connaître le nombre de blessés et de morts », témoigne-t-il. Sans se douter de quoi que ce soit (il comptait les morts et les blessés avec le directeur de l’hôpital), il reçoit un coup de fil l’informant que son père est blessé sur la route de Goundam dans son jardin.

Foudroyé, le médecin qui était en face de lui, tente de le rassurer. Mais, Sidi appelle le médecin du camp militaire pour lui demander s’il peut trouver une solution afin qu’il aille sauver son père qui serait blessé. Vu la tension, le médecin militaire lui conseille de ne pas s’y rendre, car, même lui, porteur d’uniforme, ne peut pas avoir accès à cette zone, au risque d’y laisser sa peau.

« J’étais une fois de plus étonné que l’ambulance de l’armée ne puisse pas sauver des blessés. Que fallait-il alors faire ? J’ai appelé un collègue, officier de son état, pour lui demander ce qu’il pouvait faire pour sauver mon père qui n’était pas d’ailleurs seul, car ils étaient nombreux ces jardiniers : une trentaine. L’officier m’a conseillé de voir la Croix-Rouge, parce qu’avec son ambulance, peut-être que les militaires vont nous laisser arriver sur les lieux. Quand j’ai appelé le chef de la Croix-Rouge malienne, antenne de Tombouctou, il m’a répondu que c’était très difficile, parce que c’était déjà le champ de bataille ».

C’est en ces termes que Sidi Ahmed raconte son calvaire. Puisque que son père se trouvait à cet endroit avec d’autres, ils sollicitent le maire et le gouverneur, sans succès. Il propose au chef de la Croix-Rouge de lui donner le véhicule et un gilet pour être sur les lieux. Ce dernier sollicite 4 de ses éléments qui sont réticents au départ, mais vu la détresse de Sidi Ahmed, ces volontaires décident de l’accompagner.



Des cadavres jonchent le jardin

Arrivé sur la route de Goundam, il y a eu des tirs de sommation qui ont contraint le véhicule à s’arrêter et le premier à descendre, est le chef d’équipe de la Croix-Rouge malienne. Avant même de sortir du véhicule, les militaires commencent à crier sur lui. Paniqué, ce dernier ne peut pas s’expliquer.

« J’ai avancé d’un pas et les militaires ont crié sur moi. On m’a demandé de soulever le boubou, de tourner le dos et un adjudant est venu vers moi. Il s’est arrêté juste à 3 mètres pour me demander pourquoi je suis là. Je lui ai dit d’abord que suis de la Croix-Rouge malienne et que je suis venu pour sauver les blessés qui sont là. Il m’a demandé quels sont ces blessés, qu’ils ne sont pas d’accord que moi je puisse secourir des blessés jihadistes. Je lui ai dit que ce ne sont pas des jihadistes et que mon père même est là, ce sont plutôt des jardiniers. Il a fini par comprendre et il m’a dit d’aller prendre les blessés afin de les emmener pour que lui-même puisse constater. Et s’il y a des jihadistes, il va les achever. Je lui ai dit qu’il n’y a pas de problème. C’est ainsi que je me suis rendu sur le lieu à pied et le véhicule roulait lentement derrière moi », commente Sidi.

Sur les lieux, Sidi Ahmed constate qu’il y avait un groupe de jardiniers qui, par peur, se cachaient dans un bas-fond. « Quand ils m’ont vu arriver, c’est à ce moment qu’ils ont pu se lever pour s’enfuir. Ils n’ont même pas cherché à me montrer là où il y avait des blessés ou des morts, mais chacun a cherché sa tête. Ils craignaient de recevoir des balles. J’ai avancé et soudain, j’ai entendu un bruit. Il y a quelqu’un qui disait : amène-moi de l’eau, amène-moi de l’eau ! Donc, j’ai avancé un peu vers la personne et j’ai constaté que c’est un vieux qui a reçu des balles dans la jambe et qui n’arrivait pas à parler. J’ai regardé à gauche et j’ai vu un autre corps, quelqu’un qui a été touché à la tête. J’ai compris qu’il était vraiment mort et ce n’était pas mon père », se rappelle Sidi.

Le calvaire de Sidi Ahmed est loin de se terminer. « J’ai avancé de l’autre côté. C’est en ce moment que j’ai vu le corps d’un autre vieux. Je me suis approché et j’ai compris qu’il était aussi mort. Donc, j’ai fait appel à l’ambulance pour demander au chauffeur d’avancer parce qu’il y a quelqu’un qui est blessé et qui n’est pas mort : il faut qu’on essaye de le sauver. Le chauffeur avance, mais avant de mettre le blessé dans l’ambulance, les forces Serval sont venues, munies de 2 BRDM. Trois éléments sont sortis avec des armes qu’ils ont pointé sur nous, nous demandant ce que nous sommes venus faire dans cet endroit. Quand j’ai expliqué que je suis venu parce que mon père est là, en leur montrant son corps, ils ont dit que ça, c’est trop dur. Leur réponse m’a paru anodine. Ils m’ont demandé ce que le vieux était venu faire dans la zone. J’ai expliqué que c’est un jardinier et que tous ceux qui y sont, sont des collègues jardiniers à lui, venus travailler leurs plantes. Les forces Serval ont bien regardé le jardin et elles ont pris des corps. Après leur départ, j’ai pris les blessés et je les ai montrés au check-point pour faire comprendre aux militaires que c’est vraiment des civils jardiniers, avant de les amener à l’hôpital », relate Sidi.

Au regard de la gravité de la situation, l’armée a joué à l’apaisement. Car, trois jours après ces tragiques événements qui ont endeuillé la ville de Tombouctou, une délégation de l’armée malienne (autorités régionales et militaires), avec à sa tête le colonel Yarga du Groupement de la gendarmerie, est allée à la maison du défunt père de Sidi Ahmed pour présenter ses condoléances et surtout ses excuses.



Aly Kabady, victime collatérale

Dans le quartier Abaradjou de Tombouctou, l’incompréhension est grande, suite à l’assassinat du vieux d’Aly Mohamed Ould Kabady. Un de ses fils, Mohamed Ould Aly, porte les stigmates de cette douloureuse violation des droits humains à travers la disparition forcée de son père Aly Mohamed Ould Kabady le 14 février 2013. Sur la carte Nina du défunt, il porte le n°4306106027002 H ; prénom : Aly Ould Mohamed ; nom : Kabady ; date de naissance : 31-12-1943 ; lieu de naissance : Salam ; père : Kabady Mohamed Ould ; mère : Ibrahim Moulher Mint ; profession : éleveur ; domicile : Tombouctou. Un indice pour se situer par rapport à celui qui était pourtant l’un des premiers habitants de la ville à accorder l’hospitalité à l’armée.

« J’étais en mission pour le CICR à Gao. J’ai appelé mon père durant tout ce temps, qui m’encourageait. J’avais appris qu’il a donné un terreau à l’armée malienne. Mon père n’était jamais sorti de sa maison avant l’arrivée de l’armée malienne. Et il a fêté avec cette armée et tous ses frères et sœurs qui étaient restés à Tombouctou. Malheureusement, je ne sais pas par quel moyen, ils se sont retrouvés en difficulté entre les mains de ceux qui sont censés les sécuriser. C’était le moment le plus difficile de ma vie. Mais, Dieu merci, j’ai eu des soutiens de mes cousins et parents bambaras, sonrhaï, bozo, touareg, arabe, entre autres. Tout le monde m’a soutenu depuis que je suis à Bamako jusqu’à ce que j’ai pu connaître où se trouvait le corps de mon père », explique Mohamed Aly Kabady.

Et de poursuivre : « Je remercie toutes les communautés pour le soutien moral et l’accompagnement lors de la recherche du corps de mon père. Je suis vraiment très satisfait par cette cohésion qui existe. Nous attendons tous, sans exception, la justice et des funérailles vraiment dignes de mon père ».

Depuis novembre 2013, Mohamed Aly vit avec sa famille à Tombouctou et se réjouit du fait que leurs biens, notamment plus de 50 maisons, n’ont pas été touchés. A la question de savoir s’il confirme que ce sont des militaires qui sont venus chercher son défunt le jour de sa disparition forcée, Mohamed Aly Kabady préfère se focaliser sur des témoignages.

« Ce sont des gens qui les ont vus. Ils ont témoigné à visage découvert sur France-24 et sur TV-5 pour dire que ce sont des véhicules militaires qui sont venus commettre ces actes ignobles. Et par la suite, nous avons demandé aux autorités militaires et chaque fois que je demande, on me dit que les enquêtes sont en cours. Et puis rien. C’est suite au reportage de Washington Post qu’on a découvert le corps de mon père. Et celui du Songhay Maouloud Fassokoye avec leurs habits et leurs chaussures. C’est là que j’ai compris vraiment qu’ils sont morts », nous confie-t-il.

Maintenant, la nouvelle paire de manches est qu’on ne peut pas enterrer, ni déterrer le corps, sans l’aval du juge. « Je suis un citoyen, je ne veux pas me singulariser. Comme mon père m’a toujours conseillé de ne jamais quitter mon pays pour quoi que ce soit, je suis resté. Nous n’appartenons à aucun groupe armé. Nous condamnons tous les groupes armés. Nous condamnons même ceux qui se disent militaires maliens et qui commettent ces genres d’actes », déclare Mohamed Aly Kabady.

De ce fait, il s’interroge sur ce que fait la justice. Mais, révèle que ce sont les organisations des droits de l’Homme, notamment Human Rights Watch des Etats-Unis qui ont beaucoup accompagné la famille de son défunt père.

A la gendarmerie et dans les milieux militaires, même si en privée on reconnaît qu’il y a eu des bavures, on préfère les mettre au compte de la nature de la situation qui prévalait. Il nous est revenu que des militaires suspectés, comme auteurs de ces crimes, sont connus. Un responsable d’une organisation nous a confirmé la véracité de ces crimes et d’ailleurs, s’active pour que les parents des victimes puissent être aidés par l’Etat.

Réunis au sein de l’Association des victimes pour la réconciliation, les parents et proches de ces personnes portées disparues réclament justice. Dans la région de Tombouctou, le nombre de personnes disparues ou tuées reste méconnu et les crimes imputés à des éléments jugés incontrôlés des Forces armées maliennes (FAMa) demeurent sous silence ou sont presque dans l’oubli.

Ce, au grand dam des parents des victimes qui attendent désespérément des consignes de l’Etat, soit pour préparer un enterrement digne, soit pour connaître les causes réelles qui ont conduit à ces drames. Ici, la nature des bavures nous amène sur deux cas types : des personnes qui ont trouvé la mort par les balles de l’armée malienne confondues à des terroristes ; celles enlevées et portées disparues qui hantent toujours les esprits dans la ville sainte.

Alpha Mahamane Cissé

Envoyé spécial à Tombouctou
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