Pour certains, la multiplication des cliniques privées a appauvri les prestations des services publics en matière de couverture sanitaire du fait de l’affairisme de certains médecins. D’autres, en revanche, estiment que l’ouverture du secteur au privé a consacré un ouf de soulagement pour de nombreux patients, à cause des longues files d’attente et l’absence notoire (très souvent) de plateaux techniques appropriés pour certaines consultations dans les services de l’Etat. Notre enquête.
En cette matinée d’un jour du mois de septembre, le service gynécologique du Centre de santé de référence (CCRF) de la Commune I, est bondé de patients. Le spécialiste en question a rendez-vous avec plus d’une cinquantaine de visiteurs. Pour ceux qui ne sont arrivés très tôt le matin, il faut consacrer toute la journée.
Daouda, qui venait avec sa femme pour des consultations suite à des complications de grossesse, se lasse et décide prendre rendez-vous avec son médecin traitant dans une clinique. Lorsqu’on lui demande pourquoi il préfère les services privés ? Sa réponse est on ne peut plus claire : « la prestation dans les cliniques est certes couteuse. Mais là-bas le médecin a plus de temps à consacrer à un patient qu’ici, où il est débordé. Ici, un seul médecin s’occupe de cinquante à soixante personnes par jour. La précipitation est évidente et pour attendre le rang, il faut s’armer de patience ». En clair, Daouda est convaincu que l’application en matière de consultation dans les services privés de santé est plus remarquable que chez l’Etat.
Se soigner à tout prix !
Comme Daouda, des milliers de Maliens, ayant un revenu relativement élevé, préfèrent s’offrir les services des cliniques. M. Sogoba ne fait pas exception à cette règle. En août dernier, lorsque son père devait être opéré de la prostate à Sikasso, le médecin lui a donné rendez-vous un mois plus tard après sa consultation. Pourtant, nous confie-t-il, son malade souffrait énormément, il ne pouvait attendre cette date. Son médecin traitant lui donne ainsi rendez-vous dans sa clinique. Et deux jours après, l’opération est effective. « J’ai compris qu’à l’Hôpital de Sikasso, le plateau technique est insuffisant pour les nombreux patients. Et les longues files d’attente font que le malade ne peut voir son médecin dans un bref », conclue M. Sogoba, qui estime que les cliniques privées jouent un rôle de complémentarité aux structures publiques de santé. Mieux, analyse notre interlocuteur, pour certaines échographies et opérations délicates, la vétusté du plateau technique et l’indisponibilité des médecins poussent certains patients à se rabattre sur les cliniques privées.
L’argument est loin de convaincre beaucoup d’observateurs, qui crient à l’affairisme des médecins. Car, arguent-ils, dans la plus part des cas, les médecins des services publics sont les mêmes qui servent dans les structures privées. Certains sont d’ailleurs promoteurs. Cet ancien patient en témoigne : « quand ils (les médecins) te recommandent des consultations comme l’écographie, ou autres opérations urgentes, c’est pour bénéficier des bonus dans ces cliniques ». Pour notre interlocuteur (ancien malade de nerf à l’Hôpital Gabriel Touré), il n’y a de doute, la santé malienne est gangrénée par l’affairisme. Et, exige-t-il, il faut que l’Etat sévisse en mettant des garde-fous.
Veiller au respect des normes
Notre interlocuteur dénonce l’existence d’une médecine pour deux couches sociales : celle réservée aux pauvres, qui n’ont de choix que dans les structures de santé publiques, avec son corollaire de corruption et de négligence sur le patient, et la médecine des riches, où les foyers de revenus élevés sont mieux soignés grâce aux cliniques. Pour beaucoup de personnes interrogées, la responsabilité incombe à l’Etat, qui doit garantir l’accès aux soins de santé pour tous.
Mais si des patients reconnaissent que les cliniques donnent plus de satisfaction, d’autres au contraire pensent qu’elles sont reprochables d’amateurisme. Car certaines cliniques de Bamako, comme à l’intérieur du pays, sont loin de répondre aux normes exigées par le secteur. Manque de matériels techniques appropriés, insuffisance de personnel, et souvent mauvais niveau des médecins, etc., des cliniques offrent, selon certains, un spectacle révoltant. Moussa dit avoir vécu l’expérience. A l’accouchement de sa femme dans une clinique privée (dont nous taisons le nom), l’enfant souffrait d’un problème respiratoire aigu. Pour faire survivre l’enfant, il devait être mis dans une case à oxygène. Malheureusement, ladite clinique n’offrait aucune condition de ce genre. « Nous étions obligés, témoigne-t-il, de nous rabattre sur un hôpital public de la place ». En clair, estime notre interlocuteur, si les cliniques jouent un rôle de complémentarité au public, l’Etat a le devoir de veiller au respect des normes en la matière.
Les médecins interrogés sur le sujet se refusent à tout commentaire. Leur silence cache-t-il une culpabilité ?