Basé à Paris pour des raisons professionnelles, mais toujours présent au Mali, le comédien humoriste, Habib Dembélé dit Guimba national a bien voulu répondre à nos questions. Avec lui, il a été question de la crise au nord du Mali, la situation politique, la médiation ouest-africaine et l’intervention des troupes étrangères. Ses activités professionnelles, ses projets et créations n’ont pas été oubliées.
Bamako Hebdo : Depuis le coup d’État du 22 mars 2012, quelle analyse faites- vous de la situation que connaît notre pays ?
Guimba : J’ai trouvé dans les nombreuses réflexions du professeur Issa Ndiaye, un des plus grands démocrates du Mali, une citation du président ATT, quand il est arrivé au pouvoir. Cette citation m’a beaucoup amusé.
L’ancien président disait que le coup d’Etat est la conséquence de la faillite des politiques. Savait-il que cela pouvait lui être appliqué un jour ? En effet, comme le poursuit le professeur, le bilan de la gestion du pouvoir a été une calamité pour le Mali: mauvaise gouvernance, gestion patrimoniale du pouvoir, gabegie, corruption généralisée, impunité, discrédit général de l’Etat, affairisme politique, faillite morale. Bref, la mauvaise gestion du pouvoir est à la base de tout ce qui nous arrive aujourd’hui, et ceux là qui en sont les responsables, ne sont pas ceux qui en souffrent le plus.
L’heure est grave. Les 2/3 de notre pays sont occupés; plus d’un million et demi de nos compatriotes sont pris en otage par des groupes armés qui leur imposent toutes sortes de souffrance. Certains groupes souhaitent l’indépendance ou l’autonomie et ne sont motivés en réalité que par de simples calculs politiques et économiques. Ils se sont livrés aux pires atrocités et crimes de guerre jamais survenus depuis le moyen âge.
Le second type de groupe souhaite imposer sa vision de l’islam sur l’ensemble du territoire national et partout dans le monde. Au nom de l’islam, il pratique sur des terres qui n’ont connu que l’islam, des exactions sur nos compatriotes. Nos compatriotes du nord souffrent, le désastre humanitaire est énorme. L’autre tiers de notre pays connaît sa plus grave crise politique où le Mali est devenu la risée du monde. Malgré que nous soyons en temps de guerre, les calculs de positionnement politique, les divisions et les clivages ont pris le dessus sur le sacré. Aucune analyse impartiale des vrais enjeux n’a été posée, mais des solutions proposées uniquement pour espérer contrer le camp adverse ; pendant ce temps le Mali ne cesse de s’enfoncer.
Qu’en est-il des efforts consentis par le gouvernement ces derniers temps ?
Guimba : Dans mes réponses précédentes, je viens de vous livrer une analyse sans complaisance de ce qui se passe dans notre pays.
Que faut-il faire pour sortir de cette crise ?
Avec l’agence internationale pour le nord du Mali, très prochainement, nous allons saisir l’opinion nationale et internationale pour un règlement définitif des crises, je dis bien des crises au Mali.
Que mon peuple soit confiant! Que chaque Malien et chaque Malienne continue d’être fier d’être Malien car il n’y a rien de plus beau et de plus noble. A ce stade, je ne peux vous en dire plus. De façon imminente on en reparlera inchallah.
Et l’intervention militaire?
J’appelle tout le monde au discernement. On dit que « Tout peuple qui n’apprend pas l’histoire est condamné à la revivre douloureusement « .D’abord on ne mène une guerre que si on peut la gagner. Ensuite, toute guerre commence toujours par de vraies et réelles négociations, puis si elles échouent, la guerre devient inévitable et enfin toutes les grandes guerres finissent toujours par des négociations. Ce qui se passe aujourd’hui n’est pas honorable pour le Mali. Nous sommes issus d’une grande civilisation. On ne doit jamais choisir de faire la guerre, mais elle doit plutôt s’imposer à nous. En effet, je crois qu’il faut être sûr que toutes les voies de négociation ont été épuisées avant de laisser des troupes étrangères venir chez nous. Je voudrais tellement être sûr que les dirigeants pour des raisons politiques ou claniques, n’oseront pas prendre la décision d’accepter des troupes étrangères dans notre pays ou d’engager le Mali dans une guerre irréfléchie…Ils seraient responsables durant toute l’éternité de la somalisation du Mali, car je crains, et je crois que l’objectif des agendas cachés ne soit aussi de permettre la venue de troupes étrangères pour neutraliser nos forces et accorder une autonomie à certains pour exploiter nos richesses. Il faut le savoir, il faut le comprendre.
Le Mali n’a pas de leçon de démocratie à recevoir de quelque pays que ce soit en Afrique. Nous sommes les pionniers de la démocratie sur ce continent bien que notre démocratie selon les normes internationales, reste encore une démocratie de forme. Nous ne refusons aucune main tendue et nous ne la refuserons jamais, mais soyons vigilant, il s’agit de l’existence du Mali. Il faut à mon avis chasser très vite Blaise Compaoré de la médiation, et très vite, aussitôt, engager une négociation sérieuse et préparer la guerre et la faire si elle s’impose à nous. Il faut savoir tout de même que ce serait une guerre d’au moins 15 ans.
Revenons à vous-mêmes, maintenant qu’est ce que vous êtes en train de préparer ?
Je joue de façon simultanée trois pièces de théâtre, The Island, Le Papaladji (des créations de la compagnie d’Hassane Kouyaté), et A vous la nuit. Après la plupart de pays francophones de l’Afrique, l’île de la Réunion et le Brésil, il me reste encore quelques villes en France, en Guyane française et en Suisse.
ATT m’a reçu le 14 février dernier sur ma demande. J’ai demandé à le voir afin qu’il m’attribue un des anciens cinémas de Bamako pour que j’en fasse un théâtre, pour pouvoir contribuer à l’épanouissement du théâtre chez nous. Sa réponse n’était pas défavorable, même s’il aurait pu le faire tout de suite, mais l’Etat étant une continuité, je poursuivrai ma demande en contactant les nouvelles autorités. C’est beaucoup plus pour le Mali que pour ma propre personne. C’est pour être un complément des structures existantes, partager en un lieu approprié, ma petite expérience avec la jeune génération de comédiens. La relève est assurée, mais il faut que mon fils Seydou (Doussey pour ses copains) et tous mes autres enfants, les Guimbas Juniors qui font aujourd’hui le bonheur des Maliens à l’intérieur comme à l’extérieur comprennent réellement ce qu’ils ont entre les mains. Le tout premier Guima junior est animateur de radio à Dioro. Les autres sont beaucoup plus jeunes que lui.
Le Cinquantenaire de Guimba était prévu pour Avril passé, il est question de le faire avant la fin de l’année, évidemment que ça va dépendre de l’évolution de la situation du pays. Je suis en discussion avec quelques compagnies pour des créations différentes, Yvonne, princesse de Bourguignon de Gonbrovitch, Damien Ricour pour mai-juillet, l’œil du Loup de Daniel Pénac avec mon amie Clara Bauer pour septembre 2013. Parole de terre, une adaptation de Philippe Dormoy pour l’automne 2014 .J’ai aussi parlé avec l’actuel ministre de la communication et l’actuel Directeur Général de l’Ortm qui sont tous favorables pour que très vite on fasse la suite des Aventures de Seko. C’est la toute première série de la télévision malienne que j’ai créée avec mes amis. Il a à mon avis fait l’unanimité. Nous n’avons pas le droit de la laisser mourir.
J’espère que je pourrai m’organiser pour finir mon prochain livre. Bref, je ne suis pas riche, mais je n’ai jamais arrêté de travailler depuis que j’ai commencé à travailler. Ce que j’ai gagné jusque là ne m’a pas permis de m’occuper de mes obligations sociales et de finir de construire l’unique maison que j’ai. Mais ça m’a permis jusque là de pouvoir manger la tête haute. Papa Seydou Badian qui a dit- » je préfère mourir de faim à coté d’un plat que je dois manger la tête basse ». Je ne suis pas du genre lucratif, mais plutôt militant. On ne peut pas vouloir une chose et son contraire. J’ai honte de manger l’argent que j’achète, l’argent que je n’ai pas légalement mérité.
Vous devriez jouer à Ségou avec » A vous la nuit » ce spectacle parle de quoi ?
A vous la nuit est l’adaptation théâtrale d’un de mes livres du même nom (préfacé pour mon bonheur, par mon ami, le professeur Issa Ndiaye), qui a eu le prix du meilleur spectacle vivant avec RFI en 1999.Il parle d’une profonde amitié entre deux personnes. Une amitié profondément sincère qui malheureusement va être poignardée dans le dos par la cupidité des enfants de l’un d’eux après la mort de l’autre. » C’est dans le malheur qu’on connaît ses vrais amis, c’est par de dures épreuves que Dieu teste la foi des hommes… ». Le spectacle est en français et est brodé tout au long par des paroles de sagesse Dafin( je suis un Dafin) qui adouciront les cœurs en ces moments si difficiles pour nous tous. Rendez-vous à Ségou.
Il y a un nouveau ministre de la culture, est ce à dire que l’art et la culture joueront un rôle important comme par le passé ?
Je dois dire que je ne connais pas le nouveau ministre de la culture. Mais j’ai lu l’interview de koro Michel, et j’approuve totalement tout ce qu’il a dit, lui qui a la grande sagesse de ne pas ouvrir très souvent sa bouche.
Lors de la dernière guerre qui a opposé le Mali au Burkina Faso, les gens savaient qu’il y avait un vrai conflit à la frontière. Mais le jour où le Général Baba Diarra a pris publiquement la parole, c’était une des rares fois, c’est ce jour là que les Maliens ont mesuré la vraie gravité de ce qui se passait. Un homme d’un certain âge à dit ce jour là » le muet a parlé! « .
Ha, celui là, il n’ouvre la bouche que pour dire ce qui vaut la peine d’être dit! » .Hé bien, c’est exactement à cela que j’ai pensé quand Michel a osé accorder cette interview. Un terrain que Michel, à la sueur de son front, a acheté (ce n’est pas le genre qui te promet un pourcentage pour te permettre de lui promettre quelque chose) lui a été volé par un riche commerçant de la place et quand il a compris qu’il ne pouvait en aucune manière le récupérer légalement, il a renoncé tout simplement. Oui, Cèba, je veux dire Michel a raison, n’importe qui ne doit pas être ministre de la culture d’un pays qui se dit grand, qui se veut grand. La culture, c’est elle qui nous enracine. Un arbre sans racine ne tient pas debout. La culture, c’est elle l’odeur des fleurs que donne l’arbre que nous sommes. Sans odeur, aucune abeille ne viendra chercher des ingrédients dans une fleur pour en faire du miel. La culture, c’est le début et la fin de tout.
Est-ce que vous pensez que le théâtre peut jouer son rôle d’antan, avec des pièces comme Wari, Férékegnagamibougou ?
Rendons à César ce qui appartient à César. Ousmane Sow a écrit et mis en scène Wari avant le premier journal privé du Mali, avant la première radio libre du Mali, avant la marche audacieuse de Moussa Keita, avant les premiers mouvements pour la démocratie, avant le mouvement des élèves et étudiants du Mali et j’en passe. Certains diront « Nous étions dans la clandestinité… ». Ousmane Sow en présence des élus, du gouvernement, des responsables de l’administration et du président de la république de l’époque à fait Wari.
Ousmane Sow et ses comédiens (Lassine Coulibaly, paix à son âme, Michel Sangaré, encore lui, Moussa Fofana, Fanta Berté, Cathérine Koné, Magma Gabriel Konaté…) ont plus de mérite que la plupart des bavards. Mais c’est un grand homme, efficace et discret, je dirai modeste, il ne coura jamais derrière un poste ministériel.
Le théâtre est l’arme la moins violente et la plus efficace qu’on puisse avoir pour soigner notre pays des maux dont il ne cesse de souffrir. Mon appellation « Guimba », c’est à Ousmane Sow que je la dois. Parmi mes nombreux défauts, l’ingratitude n’existe pas.
Avez-vous un mot de la fin ?
J’appelle le peuple malien au discernement, à la mobilisation et à l’écoute. Nous irons bientôt dans les jours qui suivent vers les dirigeants maliens, l’armée malienne, et vers le peuple malien pour un dénouement définitif des crises. Dans le Coran, Dieu le tout puissant dit: « …… dans la succession du jour et de la nuit, il y ‘a des signes pour les doués d’intelligence…. »