Abus de confiance aggravé faux et usage de faux, telles sont les accusations portées contre Me Mountaga Tall dans la plainte devant le Procureur général près la cour d’appel de Bamako, chargé de la police des avocats par Me Boubacar Soumaré du Cabinet Soumaré et Fané, agissant au nom de son client, Foutanga Babani Sissoko. Selon le plaignant: «Pour tenter de justifier l’utilisation des fonds à lui confiés (ndlr : 700 millions Fcfa), Me Mountaga Tall a fabriqué des documents qui constatent comme vrais des faits faux, dans lesquels il a tantôt altéré la vérité de l’acte en falsifiant le montant, tantôt imité la signature des auteurs desdits actes ou encore en y écrivant des conventions autres que celles tracées ou dictées par les parties…».
Ces faits qualifiés de crimes par les plaignants sont punis par les articles 282 alinéa 4, 102 et 104 du Code pénal. Une affaire encombrante pour Me Tall au vu de sa dimension d’homme public.
Suite à la vente de l’hôtel Mariétou Palace à 3 milliards Fcfa, Foutanga Babani Sissoko avait mis à la disposition de Me Tall la somme de 700 millions Fcfa pour désintéresser divers créanciers. M. Boubacar Djigué, créancier hypothécaire de Babani, devait être traité en priorité. Mais il se trouve que, justement, ce créancier a initié une procédure d’expulsion de Babani Sissoko. Un des éléments parmi tant d’autres qui ont amené l’avocat de Babani Sissoko à dire que Me Tall n’a donc pas réglé les sommes dues par son client à son créancier hypothécaire, alors que 300 millions Fcfa, sur les 700 millions qui étaient confiés à Me Tall étaient affectés à ce règlement.
Il faut préciser que cette tâche a été confiée par Babani à Me Tall, selon un mandat spécial établi sous forme d’autorisation de paiement datée du 27 novembre 2006 et authentifiée par Me Tidiane Dème, notaire à Bamako. Les 700 millions de Fcfa ont été versés par quatre chèques Bsic en date du 19 janvier 2007 (respectivement 100 millions Fcfa, 200 millions Fcfa, 100 millions Fcfa et 300 millions Fcfa) émis par Me Amadou Diop, notaire instrumentaire de la vente de l’hôtel Mariétou Palace, sur le prix duquel les fonds ont été directement prélevés, comme le confirme la quittance en date du 23 janvier 2007.
Le Bâtonnier de l’ordre des avocats a été saisi aux fins d’une mission de bons offices auprès de Me Tall pour obtenir le compte rendu de la gestion des fonds à lui confiés. En s’exécutant, Me Tall a fait parvenir au Bâtonnier la copie des courriers échangés entre lui et Me Amadou Sow, l’avocat du sieur Djigué, un tableau récapitulatif des paiements qu’il a effectués à divers créanciers de Babani Sissoko, ainsi que la copie des pièces justificatives des paiements effectués et des remboursements de prêts.
Mais, comme le précise l’avocat du plaignant dans sa requête adressée au Procureur général: «La plupart de ces pièces ont, soit une moralité douteuse, soit un caractère frauduleux comme étant attestées ou arguées de faux par Monsieur Foutanga dit Babani Sissoko et son fils Fily qu’il prétend en être les signataires».
Ce qui est surtout cocasse dans cette affaire, ce sont les sommes faramineuses qui se transmettent de main en main avec comme simple preuves, des décharges négligemment rédigées sur des feuilles volantes et ne portant qu’une signature non authentifiée par légalisation et sans cachet. L’une de ces pièces qui est intéressante à signaler, c’est le reçu délivré par un certain D. Berthé, directeur filière clientèle à Edm-sa. Le reçu est fait sur papier simple, sans tampon ni cachet de Edm-sa. Pour le paiement d’une somme de 45 millions Fcfa représentant des impayés de Babani sur un compteur enregistré au nom de Balla Sissoko, Edm-sa pouvait quand même trouver mieux que cela, pour ne pas se retrouver aujourd’hui dans un scandale pareil. Me Tall aussi pouvait bien effectuer un règlement par chèque à la caisse de la société et tout aurait été dans l’ordre.
Plusieurs autres pièces qui sont des reçus sur papier libre et ne comportant qu’une simple signature, concernant des transactions financières entre Me Tall et Babani Sissoko ou son fils Fily Sissoko, ont été contestées par ces derniers qui dénoncent une falsification de leur signature. Nous n’affirmons pas tout de suite que c’est la vérité puisque l’accusation vient de Babani qui, tout comme son fils, ne sont pas des enfants de cœur. La Justice en décidera. Mais il faut relever que Me Tall, par son expérience d’avocat, devait en tout cas prendre toutes les dispositions nécessaires, en termes de précautions, pour ne pas en arriver là. Selon nos sources, pour faire la lumière sur cette affaire de signatures, Me Tall a demandé une analyse graphologique pour prouver que les signatures sur les documents incriminés sont bien celles de Babani et son fils Fily. Mais il n’y a pas que cette histoire de signature dans ce dossier encombrant pour lui.
En effet, une autre pièce qui est une pomme de discorde, c’est un reçu daté du 24 janvier 2007 et délivré par un certain C.S. Cissé (le nom complet figure sur le document), en remboursement des sommes avancées pour l’achat d’une maison de Babani Sissoko. Vente qui serait annulée pour un montant de 30 millions Fcfa selon la copie du reçu produite par Me Tall et reportée dans son tableau récapitulatif adressé au Bâtonnier. Mais puisque, comme l’a constaté l’avocat du plaignant, la copie porte une surcharge au niveau de la somme inscrite, comme on en voit souvent sur les cahiers des écoliers qui trichent en calcul, une sommation interpellative à été faite à l’intéressé, C.S.Cissé. Sa réponse a été sans équivoque: «J’ai avancé au total la somme de cinquante millions (50.000.000) à Me Tall qui me les a entièrement remboursés à l’annulation de ladite vente. NB: Je précise avoir délivré un reçu de cinquante millions (50.000.000 FCFA) au lieu de 30.000.000 FCFA (trente millions)».
C’est sans commentaire! Le Procureur général essaiera alors de comprendre comment un reçu de 50 millions Fcfa s’est transformé en celui de 30 millions Fcfa. Mais en attendant, la partie plaignante relève que cela «constitue un faux grotesque qui n’entre pas dans la comptabilité de la somme de 700 000 000 de francs CFA remise par Monsieur Babani Sissoko à Me Tall en vue du désintéressement de ses créanciers puisque C. S. Cissé n’en a jamais été un».
Il y a aussi d’autres faits intéressants dans ce dossier sulfureux, comme le détournement reproché à Me Tall d’une voiture Land Cruiser Prado de couleur champagne, livrée par le vendeur à Me Tall qui n’aurait remis que les deux autres, à savoir celle de couleur blanche et une autre de couleur grise.
En plus, le plaignant dénonce le fait que, sans que cela ne figure dans le mandat spécial établi sous forme d’autorisation de paiement, «Me Tall s’est permis de se faire payer sur cette somme des honoraires d’un montant de 120.000.000 au titre de la vente de l’hôtel Mariétou Palace à laquelle il n’a jamais, ni directement, ni indirectement, procédé ». En effet, l’immeuble a été vendu à la société libyenne Lafico-Mali par Babani Sissoko, suivant acte authentique en date du 12 janvier 2007, passé devant Me Amadou Diop, notaire à la Résidence de Bamako qui a perçu ses frais et émoluments sur l’acquéreur. Pour en apporter la preuve, une sommation interpellative a été faite à M. N’diaye Bah, ex-ministre du Tourisme et de l’Artisanat qui, à ce titre, a eu à faire des interventions pour l’aboutissement de ladite vente. Sa réponse est sans appel: «Je n’ai connaissance d’une quelconque intervention ou diligence de Me Tall, avocat à la Cour, dans cette procédure». Même son de cloche de Bani Kanté, interpellé par sommation d’huissier, en tant que point focal des investissements libyens du Mali. Il a précisé: «J’ai facilité les relations entre Babani et la Libye. A ma connaissance, la vente s’est faite dans les règles devant le notaire et le ministre du Tourisme de l’époque».
Nous vous faisons l’économie des autres griefs sur lesquels nous pourrons certainement revenir avec l’évolution du dossier. Mais l’avocat de Babani Sissoko en arrive à la conclusion suivante: «Ces faits constituent ensemble les crimes d’abus de confiance aggravé, de faux et usage de faux prévus et punis par les articles 282 alinéa 4, 102 et 104 du code pénal ». C’est donc sur cette base qu’il demande au Procureur général de poursuivre Me Tall conformément à la loi.
Pour Daniel Tessougué qui bénéficie de préjugés favorables des justiciables et vient d’être nommé Procureur général, ce dossier constitue un véritable test sérieux. Raison pour laquelle, tout le monde aura les oreilles tendues vers son bureu pour savoir quelle suite sera réservée à ce dossier, dans lequel certainement Me Tall aura à se défendre de toute son énergie car il y va de son honneur et de sa réputation. Affaire à suivre.