L’occupation des grandes zones productrices de bétail a eu un impact sérieux sur l’approvisionnement de la capitale.Dans dix jours, la communauté musulmane célébrera l’Aïd El Kébir communément appelée chez nous la fête de la Tabaski ou encore « la Grande fête ». Le jour de l’Aïd el Kébir, conformément aux prescriptions divines, tout musulman majeur, jouissant de ses facultés mentales et ayant les moyens financiers de le faire, doit sacrifier soit un mouton, un bœuf, une chèvre ou un chameau.
Mais de tous ces animaux, c’est le mouton qui est particulièrement recommandé. De fait, l’Aïd el Kébir est devenue « la fête du mouton ». Comme chaque année à la veille de la fête, la course aux moutons est lancée. Et comme d’habitude, les chefs de famille ont renoué avec l’angoisse de se doter d’un bon bélier. Une angoisse qui peut se transformer facilement en hantise.
Depuis quelques semaines, les marchés aux de la capitale ont commencé à s’animer. Des vendeurs ambulants encombrent les rues avec de petits troupeaux de bêtes. Un peu partout, se multiplient les scènes de marchandages entre vendeurs de moutons et acheteurs.
Mais un petit tour d’horizon dans les différents « garbals » (marchés à bétail) de Bamako permet de constater que les marchés sont déprimés. En effet, ils ne sont pas aussi approvisionnés que les autres années et les prix sont jugés très élevés.
De Niamana à Lafiabougou en passant par Faladié, Niamakoro, Badalabougou et jusqu’aux quartiers « Sans fil » et Boulkassoumbougou, le mouton n’est pas donné. La fourchette des prix va de 35 000 à 250 000 Fcfa selon la taille du bélier.
Les moutons proposés entre 35 000 et 50 000 Fcfa sont de petite taille. « Ce sont des agneaux ! », se plaint un chef de famille. Pour avoir un bon bélier, il faut débourser jusqu’à 100 000 Fcfa.
Samba Sall, le chef du collectif des commerçants de moutons au marché de Lafiabougou, se montre catégorique : le marché n’est pas du tout bien approvisionné. Il explique que d’habitude, ce sont essentiellement les zones de Douentza, Léré, Gossi, Hombori, Koin, Kimparana, Fagasso, Nara et du Sahel occidental qui approvisionnent Bamako. Avec l’occupation, les échanges avec le Nord ont ralenti. « Les commerçants de bétail ont peur d’aller dans ces zones occupées, notamment Douentza, Gossi, Hombori et Boni », indique notre interlocuteur.
Cependant certains audacieux ont décidé de se rendre dans ces localités où il n’y a aucune garantie de sécurité. C’est le cas de Kola Ouane, commerçant de bétail au marché de Lafiabougou-Koda. « J’ai quitté Douentza dimanche passé après avoir sillonné les foires de Boni et Hombori où j’ai acheté près de 200 têtes. Je peux vous l’assurer : il y a assez de bétail dans ces zones pour approvisionner le pays », assure l’homme en faisant cependant remarquer que les bergers de ces zones qui amenaient le bétail à Mopti (essentiellement des personnes de peau blanche) ont aujourd’hui peur de s’y rendre.
Autre difficulté notée par le vendeur de mouton : les tracasseries policières, militaires, douanières et même de la gendarmerie, de l’entrée de Mopti jusqu’à Bamako. « Je vous jure que de Gossi à Douentza, je n’ai pas versé un sou. Mais de Konna à Bamako, j’ai dû débourser 300 000 Fcfa. Aux postes de police, à ceux de la gendarmerie, de la douane. A Konna, même les militaires te somment de mettre la main à la poche. On n’a pas d’autre choix. C’est surtout cette situation qui a découragé beaucoup de commerçants de moutons aller au nord», assure notre vendeur, en énumérant d’autres frais comme le coût de la location du véhicule pour le transport des animaux (entre 500 000 à 700 000 Fcfa).
Au grand « garbal » de Niamana, les commerçants le reconnaissent : Il n’y a pas assez de moutons et les ventes sont inhabituellement lentes. Minamba Traoré, un revendeur se veut réaliste. « Je suis moi-même chef de famille. Je sais que le mouton n’est pas vraiment abordable cette année. C’est trop cher. Les rares cargaisons qui nous arrivent sont insignifiantes par rapport aux besoins du marché. Beaucoup de bergers qui venaient des régions du Sahel via Diabaly refusent aujourd’hui d’emprunter ce trajet peut être à cause des incidents survenus dans cette localité (Ndlr : la mort le 8 septembre dernier de 17 membres d’une secte islamique) », explique Minamba Traoré.
Toujours selon lui, certains opérateurs du secteur ont décidé de se tourner vers le Sénégal où les autorités auraient promis des facilités aux commerçants de mouton.
Cheick Traoré, un chef de famille, rencontré au quartier « Sans fil », se dit très inquiet. Après un long marchandage sans succès autour d’un bélier, il a fini par rentrer à la maison en se promettant de revenir un autre jour. « Les prix des moutons qu’on m’a proposés sont trop élevés. Est-ce que ces gens-là savent dans quelle situation se trouve le pays ? Nous faisons déjà tant de gymnastiques pour joindre les deux bouts. Regardez ce petit mouton qu’on veut me vendre à 75 000 Fcfa. En temps normal je ne donnerai même pas 30 000 Fcfa pour cette bête. C’est vraiment sérieux », s’insurge Traoré.
Dans les différents marchés visités, le bélier s’écoulait au compte-goutte. Beaucoup d’acheteurs disent préférer attendre les jours à venir en espérant que les prix vont baisser. Mais ce pari est toujours risqué comme cela s’est vérifié dans le passé quand certaines années une pénurie de moutons a sévi la veille de la fête. Dans les jours à venir, on verra dans quel sens évolue le marché du mouton en touchant déjà du bois pour que la tendance actuelle ne se maintienne pas.