Avec la crise vient l’opportunité. Pourvu que les forces vives dont la survie est en cause puissent s’octroyer les moyens de leur libération. Pourvu que notre crise nous procure l’occasion d’engager politiquement l’élite et les maliens en général, d’une façon que n’ont jamais pu faire les partis politiques de notre ère démocratique, tout à leur jeu favori de la mystification et de la corruption. Gageons que le drame national actuel les réveillera à leur rôle d’éducation et de formation politique et morale des citoyens. En tout cas, la gravité de l’heure nous impose d’aider cette espérance en proposant la présente discussion aux maliens.
Auparavant, une parenthèse semble opportune pour remercier tous pour les nombreux courriels et appels suite à mon article de presse du mois dernier, et rappeler la leçon de notre histoire que, devant la crise, le roi a puisé dans le peuple les ressorts de son courage pour la bataille et le peuple a déposé ses angoisses dans le roi et a ainsi pu armer sa révolte. Ainsi sera-t-il pour le Mali lorsque ses dirigeants auront eu le courage de se concerter avec leur peuple. Il sera évoqué ici un itinéraire jadis tracé par les pères fondateurs de notre pays, désenclaver par le Gouina, au sens propre de débouché maritime comme à la métaphore de s’affranchir de l’encerclement, afin d’éclairer nos perspectives actuelles sur l’état de siège virtuel que nous subissons par certaines de nos forces politiques, de nos voisins et amis.
De la crise naît l’opportunité. L’éclatement de la fédération d’avec le Sénégal a créé l’incitation malienne des entités régionales pour sortir de sa continentalité. Les pères de l’indépendance en ont fait le centre de leur programme économique dont un exemple est l’Oers devenue Omvs. Il s’agissait de bâtir concrètement la souveraineté du pays en le désenclavant, pour le cas cité, par la navigation de péniches de Saint-Louis à Gouina. Cette vision, en reculade à l’ère militaire, à l’exception notable de la route Sévaré-Gao, le meilleur effort depuis, fut largement perdue à l’ère démocratique avec le cap mis sur les investissements » actions de leur auteur » pour la rhétorique d’inflation personnelle. Notre drame, un demi-siècle plus tard, montre la sagesse de cette vision. Quel meilleur goulot d’étranglement qu’une route ou un port, un serveur ou une antenne ou un câble, » étranger » ? Test amer, l’armement malien est bloqué sous de fallacieux prétextes, supposant que c’est la libération du pays par les militaires maliens qui n’est pas souhaitée…
La crise de l’occupation actuelle du pays par des groupes criminels et islamistes a, cependant, comme le nuage proverbial, sa lueur d’espoir, qui est l’unanimité populaire autour de la laïcité et de l’indivisibilité du pays. Quelle meilleure raison d’espoir que de voir deux députés du nord, une sédentaire et un nomade, installés par l’ancien régime, défendre au parlement européen avec efficacité, l’inanité des prétentions Mnla? Mêmes notes d’espoir chez des cadres touarègues, dont, tel coordinateur des Mfua au langage exempt d’ambigüité ou tel chef d’unité combattante clamant à travers vicissitudes sa loyauté malienne. Mais se pose toujours la question nationale dans son essence : allons-nous nous borner à fleurir les champs déjà cultivés par les autres sans nous soucier de l’effet dissolvant et corrupteur de cette posture de moindre effort ? Notre hymne national nous exhorte pourtant au bonheur par le labeur ! Allons-nous embellir nos villes avec ses routes, en laissant de côté la question majeure de quelle activité économique nourrir et entretenir dignement ces villes et donner emplois laborieux à leurs habitants ? Par quelle volonté propre garantir notre cadre de vie si l’artifice de faire miroiter la démocratie a imposé le geste idéologique de torpiller l’armée ?
L’ère démocratique aurait pu s’ennoblir par la correction des torts de l’ère militaire comme la lui ont enjoints les deux slogans du 26 mars 1991 : la fin de la corruption (Kokadjè) et le renouvellement des élites (An te korolen fe fo kura) ! Mais les démocrates ont préféré s’en tenir à tirer avantage des plans mitterrandistes de la Baule. Et, ce qui n’est pas enraciné dans le pays et dans le peuple, est ainsi bien follet ! Témoins dérisoires, les prisons onusiennes pour rwandais et autres fioritures » d’interpellations démocratiques » pour un label facile et factice, alors que les droits démocratiques essentiels tels l’éducation, la santé, l’alimentation, le logement, la justice, sont non seulement laissés en friche, mais effectivement ravalés par la corruption.
Un pays ne peut défendre son existence, à plus forte raison sa grandeur, qu’à l’aide d’un sacrifice volontaire de l’intérêt particulier à l’intérêt général. Si les régimes récents n’ont pu le susciter, il faut dire que leur opposition propose non pas une » gouvernance alternative » mais est surtout soucieuse de chasser les autres pour prendre leur place et s’enrichir à son tour. Comment faire notre démocratie renforcer notre société et nous donner plus à manger ? Sera-t-elle l’alibi qui nous permettra d’être plus pauvres en n’accusant personne d’autre que nous-mêmes ? Il revient aux démocrates maliens et africains de tirer les leçons de nos plus que cinquante ans. Ils ont souvent été laissés au bord de la route, les uns dans les consolations futiles et dérisoires, les autres émigrant et laissant, écœurés, leur pays aux arrivistes et aux affairistes. Les injonctions occidentales ne serviront à rien tant que les vrais » réformateurs » ne se dresseront pas au Mali.
Le continent africain est un énorme réservoir de main-d’œuvre, de matières premières, mais aussi de clientèles pour alimenter la grandeur impériale de telle ou telle puissance. Ainsi, les pillards qui se mettent sans façon à la place des souverainetés, les prédicateurs frauduleux qui escamotent les mausolées, les détrousseurs de bonnes consciences touarègues, maliennes et occidentales qui vendent à faux poids, tel quand ils négocient les otages pour en garder l’escompte tout en voulant rester les courtiers des intérêts occidentaux. Tout ce monde triche ou vole, quand l’honneur est de conserver et d’administrer à bon escient les entités provisoirement conquises car les propriétaires du sol veillent. Alors que la majorité des nomades s’adaptent comme tous à nos environnements naturel et politique, la mauvaise gouvernance du pays a entretenu l’illusion chez certains qu’ils n’ont pas à s’ajuster, comme les autres populations, aux forces objectives, se vouant à la razzia occasionnelle et à la prébende opportuniste.
Après l’échec du complot Mnla, nous ne devons donner aucune seconde chance à personne d’échafauder de nouveaux plans sur notre dos. Déjà, agissant sur nos espoirs, fut obtenu notre dernier repli tactique de Bamako comme base de la fameuse force d’intervention, malgré des choix plus logiques. Est-ce une coïncidence qu’on parle de 3.300 troupes, le même nombre que la Minuad a déployé au Darfour ? En pratiquant la guerre médiatique par une désinformation sophistiquée, en planifiant un rôle de libération pour nos ennemis déguerpis par les islamistes, voire en conspirant de nouveaux leaders, la main de secours qu’on lève ostensiblement apparaît tant un appât que nous ne la souhaitons pas ennemie. Si tant est que nous ne pouvons nous y soustraire, cette main devrait au moins nous rassurer qu’aucune intention existe d’organiser des élections sur mesure ou des élections sans le nord. Le risque existe tant qu’on continue le petit jeu d’abaisser une victime à terre pour mieux tester son pouvoir et ravaler leur fierté à ces maliens décidemment trop pleins d’histoire ! Voilà l’œuvre des tenants d’une tyrannie dont ils n’ont que la cruauté et non le courage !
En ces lendemains de 22 septembre, les emblèmes de la souveraineté nationale peuvent susciter un instant d’émotion, mais ils ne permettent cependant pas, à eux seuls, de combler les fossés humiliants que nous vivons, creusés par les islamistes et, avant eux, par les démocrates et fonctionnaires milliardaires. Il est temps de n’avoir plus honte de ses propres notions ni peur de ses fières pensées ! Les partis politiques doivent jouer leur rôle d’éducation pour éclairer le choix des dirigeants, et non se borner à les soutenir par langue de bois et panse immense ! La peur de se battre prédispose à toutes les négociations tout comme le manque de prévoyance nous jette dans les bras du premier secoureur. On ne déclenche pas un conflit sans y réfléchir nettement.
Alors que nous aurions dû nous concerter et donner au pays une direction capable de rétablir l’honneur perdu, nous sommes divertis dans des considérations potentiellement fatales. Tel, notre gué à trois puissances : une régionale soucieuse de statu quo, une clamant l’intervention armée, et une exigeant des élections. Laquelle prévaudra ? Si l’aveuglement au réel continue volontiers, c’est aussi parce qu’il bénéficie de la complicité d’une élite n’usant pas de son sens critique. Celui qui aide, par imposition ou par conseil, prend sur lui une part de l’initiative et de l’effort de l’autre …quand il ne lui souffle pas la requête et la réponse à celle-ci.
Le rêve des dirigeants de l’indépendance était non les unions insolites mais celles qui soudent et promeuvent les peuples, non l’union africaine mais l’unité africaine, non celles disant libéraliser et mondialiser pour mieux tenir en pâture, mais celles de bonne foi. Après qu’il fut chassé de Dakar par le coup d’État de la nuit du 19 au 20 août 1960, le futur premier président du Mali a été porté, une année plus tard, de célébrité en prestige par son appel du non-alignement plutôt que non-engagement, et tous les pays à la conférence de Belgrade l’ont dépêché pour aller expliquer le concept au président Kennedy ! Il faut dire que ce n’est pas la force ou la taille du coffre-fort, au demeurant soustrait au peuple, qui fait la gloire dans les pays comme le nôtre !
En attendant de remettre en marche cette vision du Gouina, il nous faut une armée et un mouvement de la reconstruction. Ce qui est un appel moral et politique ne doit pas être réduit juste à une théorie de la guerre qui la détournerait de son sens et de sa raison d’être. Le nœud de la stratégie doit être la mobilisation populaire y compris les groupes d’autodéfense, car aucune guerre ne se gagne dans la désunion. Tant que les maliens voudront les autres à leur place, et ne pas faire le sacrifice ultime, nous serons surpris à la fin par ce que nous n’aimerions pas.
Maliens et africains, osons nous examiner ! Il y a la lutte pour la vie qui est une nécessité fatale. Au nom de la vie de nos congénères, et contre l’abus pur et simple de la force ! Les jeunes maliens et africains savent bien ce qu’il advient de ceux qui ont perdu le nord ! Ne perdons pas le nôtre ! Relèverons-nous le Mali gisant, ou le dépouillerons-nous lâchement lorsqu’il est en déchéance ? À chaque malien et ami du Mali de choisir !