C’est officiel : la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA) ne signera pas l’Accord d’Alger du 25 février 2015, paraphé le 1er mars par le gouvernement malien et certains groupes armés. Et pour cause : « après de larges consultations, le document ne prend pas en compte les aspirations des populations de l’Azawad ». Les chefs rebelles en ont informé la Médiation, et semblent avoir obtenu (imposé) que de nouvelles négociations soient ouvertes sur la base de plusieurs amendements qu’ils ont apportés à l’Accord paraphé. Point culminant de leurs revendications : la reconnaissance officielle de l’Azawad comme une entité géographique, politique et juridique. Jusqu’où s’arrêteront, dans leur chantage, les tout-puissants rebelles qui mettent à genou aussi bien le gouvernement malien et l’ensemble de la communauté internationale.
Le dimanche 1er mars 2015, l' «Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger » a été paraphé par le gouvernement malien et les groupes armés de la Plateforme. Mais la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA), qui regroupe le Mouvement national de libération de l'Azawad (Mnla), le Haut conseil pour l'unité de l'Azawad (Hcua), le Mouvement arabe de l'Azawad (Maa), la Coalition du peuple pour l'Azawad (Cpa) et la Cmfpr2, s’était abstenu d’approuver ce texte, issu de sept mois de négociations censées mettre fin aux tensions dans le nord du Mali.
Fuite en avant à Kidal
Dans une déclaration en huit points, la CMA avait avancé comme raison principale le besoin de temps et de moyens logistiques pour « partager de bonne foi le projet d'accord avec les populations de l'Azawad dans un délai raisonnable avant tout paraphe ».
Le porte-parole des réfractaires à Alger, Mohamed Ousmane, avait promis ceci: « Nous ne rejetons pas l’accord ; cette cause ne constitue pas un facteur de blocage, mais c’est dans un souci de mieux expliquer. Nous devons retourner vers nos bases pour expliquer ces documents et puis revenir avec beaucoup plus de sérénité. Nous avons dit que l’accord qui nous a été proposé est un des meilleurs accords que nous avons connus par rapport à ce conflit ».
L’équipe de Médiation avait naïvement cru en la sincérité de ces propos. En effet, Pierre Buyoya, le Haut Représentant de l’Union africaine pour le Mali, avait lancé aux délégués de la CMA : « Nous vous faisons confiance ; nous savons que vous êtes pour la paix. Je n'ai pas de doute. Dans quelques jours, vous viendrez apposer votre paraphe ».
Mais, les délégués avaient-ils à peine quitté Alger que le ton change du tic au tac, découvrant le vrai visage des rebelles. Les responsables de la CMA multiplient les déclarations incendiaires sur les antennes de radios étrangères, les plateaux de télévisions, les sites en ligne et les colonnes de journaux. Mais, le ton avait été donné par des mouvements de protestation contre le texte, à Kidal, où des groupes membres de la CMA réclament plus de fédéralisme.
Le niet des « Azawadiens »
Pour en revenir aux sorties virulentes des leaders rebelles, Bilal Ag Acherif, le secrétaire général du Mnla, a lâché, au cours de la rencontre avec le gouvernement nigérien, en prélude à la réunion de Kidal (pour déterminer la réponse finale de la CMA) : « Nous ne signerons absolument rien du tout et pour rien au monde si ce n’est notre statut particulier». A son avis, le plan de paix d’Alger est offensant et ne prévoit pas la paix : « Il ne s’agit pas à travers ce document de faire la paix, mais plutôt de sauver un mandat ou j’allais dire une feuille de route bidon. Ce qui nous intrigue dans ce document, c’est qu’il traduit tout nettement un sentiment de provocation des autorités maliennes ».
Le secrétaire général du Mnla va plus loin : «Nous n’avons aucune crainte des menaces, ni de la communauté internationale, ni de qui que ce soit. Nous sommes appelés à mourir, autant mourir pour une cause noble. Et même si nous mourons, cette flamme restera allumée», vomit-il, en réaction aux pressions de la communauté internationale, qui enjoignait les séparatistes de parapher l’Accord.
A la suite de Bilal Ag Acherif, Moussa Ag Assarid, qui porte le titre pompeux de Représentant du Mnla auprès de l’Union européenne, enfonce le clou : «Un accord imposé qui ne respecte pas la volonté des Azawadiens n’est pas un accord». Avant même les concertations, il porte un jugement de rejet sur l’Accord : « il ne prend pas en compte les aspirations des populations de l’Azawad. Il n’y a pas d’évolution significative par rapport à l’accord de Tamanrasset de 1991, au Pacte national de 1992 et à l’Accord d’Alger de 2006.
Si on prend le seul exemple de l’élection du président de l’Assemblée régionale, le seul changement est qu’on passe du suffrage universel indirect au suffrage universel direct et qu’on lui confère des pouvoirs importants. Ce sont des termes trop imprécis pour s’en satisfaire. Ce projet d’accord est flou. Il y a trop d’ambiguïtés. Il y a beaucoup d’exemples de ce type dans le projet. Si les députés ne votent pas, si la Constitution n’est pas changée, rien de nouveau ne sera possible », a confié Moussa Ag Assarid à notre confrère Le Reporter.
Avec de tels propos, on se demande comment les responsables rebelles allaient défendre l’Accord devant leurs militants. Et fort logiquement, ils ont « échoué » ; des individus manipulés ont rejeté en bloc cet accord, en lequel les populations « azawadiennes » disent ne pas se reconnaître. La CMA officialise sa décision de ne pas parapher l’Accord du 25 février. Le déplacement d’une forte délégation de la Médiation à Kidal pour convaincre les rebelles de s’engager n’y fit rien. Le niet est catégorique, et les rebelles lient leur paraphe à la prise en compte intégrale de plusieurs amendements introduits dans le projet d’accord produit par la Médiation.
Nouvelles revendications des rebelles
Avec leurs nouvelles revendications, les groupes membres de la CMA remettent en cause tout le document d’Alger paraphé le 1er mars par le gouvernement malien. Les points essentiels introduits par la CMA touchent aussi bien les aspects politico-institutionnels, de défense et de sécurité que ceux liés au développement et aux mécanismes de mise en œuvre. Mais, le tout tourne, ni plus, ni moins, autour de la reconnaissance officielle de l’Azawad comme une entité géographique, politique et juridique.
Cette revendication constitue d’ailleurs le premier point du chapelet de doléances égrenées par les Indépendantistes. Les autres points sont tout aussi inacceptables. Entre autres : créer une assemblée interrégionale regroupant les régions de Gao, Tombouctou, Kidal, Ménaka et Taoudéni, dont les prérogatives relèvent des domaines spécifiques à l’Azawad ; surseoir à l’organisation de toute élection jusqu’au retour des réfugiés et jusqu’à la mise en œuvre du nouveau découpage; prévoir et déterminer le quota qui sera affecté à l’Azawad pour les Départements de souveraineté, les grands services de l’Etat, les représentations diplomatiques et les organisations internationales.
Au titre des aspects de défense et de sécurité, le Mnla et alliés veulent que les forces de défense et de sécurité à l’intérieur de l’Azawad soient composées à 80% de ressortissants de l’Azawad, ainsi qu’au niveau des postes de commandement; que la CMA définisse elle-même la liste des combattants et détermine leurs grades ; que les zones de défense et de sécurité soient sous le commandement d’un ressortissant de l’Azawad ; que la création et l’utilisation de milices soient considérées comme un acte criminel, etc.
Par rapport au développement, la CMA apporte deux amendements majeurs : l’affectation d’un fonds spécial pour l’Azawad sur le budget de l’Etat à hauteur de 40% sur une période de 20 ans en vue de résorber un retard de plus de 50 ans; et l’exploitation des ressources minières et énergétiques de l’Azawad soumise à l’autorisation préalable de l’Assemblée interrégionale après avis de l’Assemblée régionale. Un quota de 20 % de la production sera affecté à l’Azawad, avec priorité à la Région concernée.
Deux propositions nouvelles concernent aussi les mécanismes de mise en œuvre : la parité entre les deux parties belligérantes dans toutes les commissions et structures prévues dans l’accord ; et la mise en place d’une commission conjointe (Gouvernement du Mali-CMA-Médiation) chargée de la préparation des textes législatifs et réglementaires prévus dans l’accord; la composition de cette commission sera à part égale entre les parties belligérantes.
Tout porte à conclure que c’est le blocage total qui se dessine. Car, ni le gouvernement, ni les groupes armés de la Plateforme, ne signeront un accord qui prendrait en compte ces points qui consacrent la partition du pays. D’ailleurs, si elle est honnête dans sa conviction que l' «Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger » est réellement bon, l’équipe de Médiation ne devrait pas accéder à la réquête des rebelles. Or, il semblerait qu’elle ait déjà entrevu de rouvrir les pourparlers. Le gouvernement malien acceptera-t-il de retourner à Alger pour entamer de nouvelles discussions ? C’est là toute la question.
Sékou Tamboura
Source: L'Aube