Victimes de nos prémisses et victimes de notre constitution. Voici ce qui nous est arrivé et qui puise ses racines bien plus loin que dans le putsch du 22 mars dernier et toutes les péripéties qu’il a engendrées. Nos prémisses : nous pensions que c’était fini les prises illégales de pouvoir, nous pensions avoir une démocratie plus solide qu’aux premières années de la 3è République, nous pensions avoir fait suffisamment d’effort d’intégration nationale pour résoudre l’équation du Nord, nous pensions avoir une qualité acceptable de dialogue national, nous pensions enfin que nos mécanismes d’alertes et de prévention de nos propres crises étaient huilés. Au réveil d’un matin douloureux, nous nous frottons les yeux : l’Etat par terre, les crépitements d’armes, l’élite tétanisée, le petit peuple aux nues, la société profondément divisée, le tragique retour de la bête en nous, la peur vidant les rues et pour beaucoup la terrible épreuve de l’exil intérieur non pas toujours par lâcheté mais pour ne pas en rajouter. D’ailleurs, la mobilisation démocratique ne peut pas s’appuyer sur des « entrepreneurs politiques », sur un peuple acheté lors des périodes électorales, une jeunesse réfugiée dans les night-clubs ou la révolte casanière de Facebook. Et puis, après tout la grosse humiliation n’est-ce pas ce qui a rendu possible le recours du pays à une seconde transition en deux décennies ? Car tout le reste découle de cette faillite première. Victimes de notre constitution enfin : c’est ce qu’illustre le surréaliste débat entre intérim et transition qui nous ouvre sous les pieds de la nation ces tranchées d’aujourd’hui. De quoi s’agit-il, en fait ? Préserver la légalité constitutionnelle, pas plus compliqué que ça. Pendant donc vingt et un ans, nous avons vécu sur la prémisse que le double empêchement du président et du dauphin constitutionnel n’est pas possible. Pendant vingt et un ans et alors que partout la question de l’alternance endeuille le continent, jamais une voix audible ou une expertise autorisée n’a cru devoir attirer l’attention du pays à mettre des garde-fous constitutionnels à la mauvaise foi et au cas de force majeur. Y compris le projet de révision constitutionnelle récemment voté par le parlement ? Voire. En tout cas, les débats sur la possibilité pour Att encore en poste de déclencher l’article 50 ou non est symptomatique de cette faiblesse. Puisqu’il aurait dû être clair s’il le pouvait ou ne le pouvait pas, sans recourir à l’exégèse des juges constitutionnels. Laquelle, intolérable dérive latine, ne nous a jamais offert que l’occasion de bluffs et de shows. Quand le défi est celui de la profondeur et de la clarté. Il est vrai que ce dont le Mali a aujourd’hui besoin, c’est moins la radioscopie de ses défaillances que de recettes pour surmonter sa crise d’une gravité particulière qui a tout divisé : la classe politique, l’armée, la société civile. Hélas, une telle recette ne viendra pas des mains ou de la tête d’une seule personne. Surtout que le pays s’est refusé à avoir, au-delà d’un Desmond Tutu, des autorités morales acceptées comme recours. C’est vrai que c’est ensemble que nous vaincrons. Faire semblant pour le Mali ne marchera plus. De même, plus personne n’acceptera ici que les politicailleries ou les jeux de nombril délitent notre nation Car il est certain que nous tomberons un à un, si dans les jours prochains, nous n’avons pas la sagesse de mettre le Mali au dessus de nos appétits individuels et de nos rancœurs personnelles. Le Mali vaut cela et le mérite. Qu’on s’appelle Cheick Modibo Diarra ou Dioncounda Traoré auxquels nous souhaitons de mesurer tous les défis et toutes les urgences. Ou qu’on s’appelle Amadou Haya Sanogo qui peut, d’un dernier geste, lever les questions et les doutes sur le retour du pays à la légalité. Pas pour la Cedeao ou la communauté internationale. Mais pour le Mali, pour l’avenir, pour ses enfants et pour les nôtres. Il nous entend, nous le savons.
Adam Thiam