A l’abri des caméras, le Haut Conseil des Collectivités, cette obscure boîte d’élus, fait la pluie et le beau temps, ne fournissant, en contrepartie, que des « avis » sans aucune importance pour le salut du pays. Jusqu’à quand durera ce cirque ?
S’il y a une institution dont la République entière oublie jusqu’à l’existence, c’est bien le Haut Conseil des collectivités territoriales. Pour vous rafraîchir un peu la mémoire, ce machin au nom ronflant comme une moto de rallye a pour mission constitutionnelle d’« étudier et de donner un avis motivé sur toute politique de développement local et régional ». Ses membres, pompeusement appelés Conseillers Nationaux, sont élus pour 5 ans au suffrage indirect. Censés représenter les collectivités territoriales, ils sont au nombre de 75 (rien de moins!) : 8 conseillers pour chacune des régions et le district de Bamako et 3 conseillers représentant les Maliens établis à l’extérieur.
D’ores et déjà, le commun des Maliens se demande pourquoi on jette son argent dans cette poubelle bureaucratique. Nul n’a jamais lu le moindre rapport où les Conseillers Nationaux auraient été consultés par le gouvernement et auraient donné un « avis motivé » sur une quelconque politique de développement. Ces fameux avis, s’ils existent, n’ont jamais alimenté le débat national, ce qui laisse entendre que le pays pouvait aisément s’en passer. Au reste, que vaut l’avis de Conseillers Nationaux, souvent analphabètes, sur des projets dûment montés et financés par les experts étatiques et étrangers ? En matière d’« avis motivé », il y a lieu de souligner que déjà, la Constitution donne aussi au Conseil économique, social et culturel (autre structure bidon) la mission de donner des avis sur les politiques du gouvernement. Alors quel est l’avis le plus fiable : celui du Haut Conseil des collectivités ou celui du Conseil économique ? On a comme l’impression qu’il y a là double emploi et que l’on n’a créé ces structures que recaser et pour donner à manger à quelques politiciens ayant raté des places au gouvernement et au parlement.
En fait de festin, le Haut Conseil des collectivités n’a sûrement pas à se plaindre. Chacun de ses 75 membres touche la bagatelle de 650 000 FCFA par mois, ce qui fait une charge mensuelle globale de 48 750 000 FCFA, soit 585 millions par an. Ce chiffre, faramineux en soi, ne tient pas compte des primes de session généreusement distribuées deux fois par an car le Haut Conseil se réunit en deux sessions ordinaires de 30 jours chacune. Il a aussi la possibilité, cérise sur le gâteau, de provoquer une session commune avec les députés à l’Assemblée nationale mais, pour limiter la casse financière, la loi a prévu qu’une telle session ne dépasserait pas 15 jours. La prime de session journalière atteignant 25 000 FCFA par Conseiller, les 60 jours ordinaires de session pour les 75 conseillers coûtent au contribuable malien 112 500 000 FCFA par an. Bien entendu, le Haut Conseil, jusqu’à la chute inattendue du « Vieux Commando », le 22 mars, touchait également des tickets de carburant d’une valeur annuelle de 130 millions de FCFA, histoire de mieux assaisonner la marmite. Notons, en passant, que comme tout Haut Conseil qui se respecte, le nôtre se compose d’un bureau de 13 membres et d’un président, tous dotés de véhicules 4X4, d’ordinateurs, de bureaux lambrissés et de…micros pour raconter des fables au bon peuple.
C’est dans ce douillet climat que messieurs les Conseillers Nationaux se vautrent depuis 2002 ! Un simple calcul mental permet d’évaluer les sommes astronomiques investies depuis 10 ans par l’Etat – en pure perte – dans l’entretien de cette petite foule de mangeurs impénitents: 5, 8 milliards en salaires; 1,1 milliard en primes de session; 1,3 milliard en tickets de carburant (bonjours, Princes du Golfe !), soit environ 8 milliards et demi. Sans compter les frais de fonctionnement et d’équipement, les voyages, les marchés de fournitures et patati et patata! Avec une pareille fortune, l’Etat aurait pu construire au bas mot 200 écoles ou creuser 10 000 forages au nord-Mali, ce qui nous aurait peut-être évité d’avoir à y faire la guerre aujourd’hui.Le plus cocasse, c’est que les Conseillers Nationaux trouvaient leur traitement trop misérable par rapport à leurs lourdes occupations (ne riez pas, s’il vous plaît !) et avaient obtenu du « Vieux Commando » qu’après les élections générales de 2012, ledit traitement soit porté au double, c’est-à-dire à quelque 17 milliards de nos francs ! L’élection qui devait renouveler le Haut Conseil et doubler ses revenus était prévue pour le 25 mars 2012: elle a été renvoyée aux calendes…maliennes après le putsch du 22 mars. Vous parlez d’un festin gâché ? Eh bien, pas pour longtemps : voyant que son collègue du parlement prorogeait, sans élection, son mandat pour cause d’Etat d’exception, le Haut Conseil a lui aussi obtenu, en août 2012, que le mandat des Conseillers Nationaux soit prorogé. Le gouvernement, qui ne voulait surtout pas s’aliéner l’ardent amour de Conseillers censés avoir une base populaire dans les communes, s’est hâté de faire voter la loi de prorogation. Une loi qui autorise 75 citoyens à bouffer tranquillement 8 milliards et demi sans que le peuple soit consulté. Décidément, les Conseillers Nationaux ne connaissent pas la crise et n’ont point émis d’« avis » contre la prorogation de leur festin ! Comme quoi, les « avis », on ne les émet que pour amuser la galerie…