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Le Mali s’enfonce inexorablement dans la crise
Publié le vendredi 11 mai 2012   |  Nouvel Observateur


Marche
© AP par DR
Marche de soutient au CNRDRE: Les populations pour un Mali indivisible.
11 avril 2012.Bamako,Mali.Des milliers de personnes témoignent leur soutient aux institutions en place pour lutter contre les bandes armées du nord du pays.


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Junte contre pouvoir civil au sud, touaregs contre Al-Quaïda au nord... Le pays est au bord du chaos. Et pas la moindre solution en vue.

"On touche le fond". Ce constat atterré d’un diplomate européen en dit long sur la situation au Mali. Crise au nord, crise au sud : le pays semble s`enfoncer inexorablement dans le chaos sur fond de rumeurs, propagandes, complots et intérêts plus ou moins avoués des différents acteurs qui rendent la situation extrêmement confuse.

Au sud, le processus de transition enclenché après le coup d’Etat du 22 mars patine. Au nord, depuis que la rébellion targui, profitant du vide politique à Bamako, a déclaré le 6 avril l’indépendance de son berceau historique, l’Azawad, des groupes armés rivaux se disputent le gâteau : rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), touaregs islamistes du mouvement Ansar Dine, Al-Quaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et milices arabes.

C’est la quadrature du cercle : "On est forcé de traiter en parallèle les questions du nord et du sud", explique notre diplomate qui veut garder l’anonymat. "Mais on sait qu’il faut consolider le sud pour traiter le nord, tout en sachant que le problème du nord pèse sur la situation au sud."

La junte indéboulonnable

A Bamako, la junte, menée par un capitaine, Amadou Sanogo, s’avère beaucoup plus coriace que prévu. En dépit d’un accord signé début avril sous l’égide de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) qui a officiellement confié les rênes du pays à un président et un gouvernement de transition, les putschistes s’accrochent. "La réalité du pouvoir reste entre les mains de Sanogo", observe un proche du président renversé Amadou Toumani Touré (dit "ATT"). Un pouvoir que le contre-coup d’Etat raté, dans la nuit du 30 avril au 1er mai, des bérets rouges restés fidèles à l’ancien chef d’Etat a paradoxalement renforcé : la junte, qui y a vu une preuve de plus de sa raison d’être, a procédé à une véritable purge en arrêtant les proches avérés ou présumés d’ATT.

Barrages, balles perdues, arrestations... la nervosité est palpable dans les rues de Bamako, où toutes les rumeurs sont bonnes à entendre. Rumeurs sur une démission prochaine du président Dioncounda Traoré et du Premier ministre Cheikh Modibo Diarra, réduits à jeter l’éponge de dépit. Rumeurs aussi sur une intervention militaire de la Cédéao, incapable jusqu’ici de dénouer la crise via la médiation dont elle a chargé le Burkina Faso, à laquelle personne ne croit en fait vraiment : non seulement elle n’en a pas les moyens logistiques ni financiers, mais elle a accepté de conditionner l’envoi de ses troupes à un feu vert de Bamako, qui refuse toute opération étrangère. Rumeurs enfin sur la junte elle-même : Quelle autorité Sanogo a-t-il sur les militaires ?

Jeux d’alliance

"Empêtré dans la crise à Bamako, tout le monde semble oublier le Nord", s’alarme notre diplomate. Que se trame-t-il exactement dans les déserts septentrionaux du Mali ? Seule certitude, la situation est aussi instable qu’au sud du pays. L’heure semble être à la recomposition des jeux d’alliance entre les différents groupes armés. Avant la guerre fratricide ? Personne ne l’exclut.

Les deux mouvements touaregs rivaux, le MNLA, présenté comme laïque et indépendantiste, et Ansar Dine, dont le leader, Iyad ag Ghaly, a épousé l’idéologie salafiste, consultent tous azimuts, chacun essayant de s’attirer les soutiens des notables locaux pour asseoir sa légitimité, tout en discutant l’un avec l’autre.

A ce jeu, le MNLA, qui prétend être en position de force, n’est peut-être pas aussi puissant qu’il le dit. Alors que qu’il a vu son image sacrément écornée depuis qu’il a été accusé, à tort ou à raison, dans un rapport de Human Rights Watch, d’exactions sur des civils, Ansar Dine pourrait être en train de gagner du terrain dans cette guerre psychologique en se présentant, auprès des populations locales, comme le garant de l’ordre.

Le MNLA à court de financement

"L’islam tel qu’il est prôné par Iyad ag Ghaly ne fait pas forcément dresser les cheveux sur la tête de tout le monde dans la société touarègue, explique Yvan Guichaoua, enseignant-chercheur à l’université d’East Anglia. Certains, notamment chez les plus pauvres, peuvent voir dans la charia une forme de justice face à cet Etat totalement corrompu". Ansar Dine, fort de ses alliances locales, à commencer par celle qu’il aurait noué avec les djihadistes d’Aqmi, parviendrait même à débaucher des combattants du MNLA, grâce à l’argent du narcotrafic et des rançons tirées des prises d’otages, alors que le MNLA serait à court de financement.

Ansar Dine est-il pour autant en passe de prendre le dessus ? A-t-il intérêt à maintenir son alliance avec Aqmi ? "On a l’impression que le MNLA a involontairement déroulé le tapis rouge pour Ansar Dine, qui l’a lui-même déroulé pour Aqmi," résume Yvan Guichaoua.

Le mystère Aqmi

Mais un certain mystère continue d’entourer la capacité de nuisance d’Aqmi. A en croire Moussa ag Assarid, l’un des porte-parole du MNLA, ce n`est "[qu`]une tempête dans un verre d’eau. Les djihadistes étrangers cherchent à profiter de la situation en se rendant plus visibles, en hissant le drapeau noir salafiste sur leurs jeeps, mais ils ne sont pas pour autant plus forts qu’avant".

D`autres sources signalent pourtant que les djihadistes auraient été rejoints par des combattants tunisiens, libyens et algériens et qu`ils seraient désormais en position de force. Des rumeurs font état de "manpads", ces systèmes portatifs de défense aérienne, disparus des arsenaux libyens qui seraient réapparus dans le nord du Mali aux mains d’Aqmi.

Les pays voisins vont-ils rester longtemps les bras croisés ? Entre intérêts divergents et méfiances réciproques, incapables de s`entendre sur la stratégie à adopter, ils semblent désormais vouloir s`en remettre aux Nations-Unies. Puissent-elles faire bouger les choses...

Par Sarah Halifa-Legrand

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