Nord du Mali aux mains des rebelles touaregs, d’Aqmi et autres mouvements islamistes, Guinée-Bissau secouée par une énième crise, Nigeria ensanglanté par Boko Haram, trafic de drogue en augmentation, piraterie, bref, l’Afrique de l’Ouest est menacée.
Pauvre Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Elle donne l’impression de se battre contre des moulins à vent. Elle a beau multiplier les sommets extraordinaires, rien n’y fait. Plus les jours passent et plus sa tâche se complique.
Certes, elle a réussi à faire plier la junte militaire qui a renversé le 22 mars le président malien Amadou Toumani Touré, l’obligeant à retourner dans ses casernes de Kati et à accepter une transition conduite par des autorités civiles.
La Cédéao entre avancées et reculs
Mais en opposant le 28 avril, une fin de non recevoir aux dernières décisions de la principale instance sous régionale, qui prévoyait notamment l’envoi de soldats ouest-africains au Mali et l’extension de la période de transition à douze mois jusqu’à la tenue d’élections législatives et présidentielle, le capitaine Amadou Sanogo et ses hommes montrent qu’ils n’ont pas dit leur dernier mot.
L’offensive lancée le 30 avril par les éléments du Régiment de commandos parachutistes (RCP) restés fidèles à Amadou Toumani Touré, repoussée par les ex-putschistes et qui a semé la panique dans Bamako et fait des dizaines de morts et de blessés, prouve à suffisance que le médiateur Djibril Bassolé, n’est pas au bout de ses peines. Ce qu’a d’ailleurs reconnu le ministre burkinabé des Affaires étrangères, le 1er mai sur les antennes de RFI:
«tous nos efforts doivent être consacrés à normaliser la situation, à réconcilier l’armée et à asseoir définitivement des institutions civiles fortes».
En Guinée-Bissau, la tâche des chefs d’Etat de l’Afrique de l’Ouest est tout aussi ardue. Comme ils l’exigeaient, la junte militaire qui a pris le pouvoir le 12 avril, a fini par céder à leurs injonctions. Elle a libéré Raimundo Pereira, le président par intérim et l’ancien Premier ministre Carlos Gomes Junior, arrêtés lors du coup d’Etat. Et accepté le principe d’une transition d’une durée de douze mois, réclamée par la Cédéao le 28 avril, lors d’un sommet extraordinaire à Abidjan. Mais refuse obstinément que Raimundo Pereira soit réintégré dans ses fonctions de chef d’Etat.
La stabilité n’a jamais été autant menacée
L’Afrique de l’Ouest a déjà traversé des périodes extrêmement tourmentées. Notamment pendant les années 90 avec les guerres civiles au Liberia et en Sierra Leone. Avec leurs cortèges d’atrocités et de barbaries orchestrées par les hommes de l’inénarrable Charles Taylor et de l’illuminé Foday Sankoh, l’ancien chef du tristement RUF (Front révolutionnaire uni). Elle a également été très rudement ébranlée par l’interminable crise ivoirienne.
Mais jamais sa stabilité n’a été autant menacée qu’aujourd’hui. La Guinée-Bissau et le Mali font partie des maillons faibles de la sous région. Minée par une instabilité chronique, la Guinée-Bissau n’a plus d’Etat que le nom. Elle est devenue ces dernières années, la plaque tournante du trafic de cocaïne entre l’Amérique du Sud et l’Europe, avec la complicité de la haute hiérarchie militaire et de responsables politiques.
En apparence plus stable, le Mali donnait depuis quelque temps déjà des signes inquiétants. Notamment dans sa partie nord. L’Etat malien n’y contrôlait plus grand chose. Ce sont les salafistes d’Aqmi chassés d’Algérie et repliés dans l’immense désert du pays et les trafiquants en tous genres qui y faisaient la loi depuis longtemps.
La journaliste franco-togolaise Emmanuelle Sodji a séjourné à Tombouctou et dans ses environnements, peu avant la déclaration d’indépendance de l’Azawad par les rebelles touaregs. Ce qu’elle raconte à Slate Afrique est édifiant:
«dans ces régions, les populations vivent la peur au ventre. En réalité, Aqmi contrôle une bonne partie de ces étendues pas forcément par sa présence physique, mais par sa capacité à mener des représailles à n’importe quel moment grâce à un maillage de complicités dans une bonne partie des communautés.
Kadhafi jouait un rôle de régulateur
Même les chefs de patrouille des milices privées censées protéger leurs propres populations ont des liens directs non seulement avec le mouvement salafiste, mais aussi avec les trafiquants en tous genres qui sévissent dans la région.»
Pire, Amadou Toumani Touré est soupçonné d’avoir pactisé avec le diable Aqmi, histoire d’obtenir une sorte de paix armée. Un semblant d’équilibre de la terreur s’était ainsi instauré et tenait vaille que vaille, tant que le régime de Mouammar Kadhafi était en place. Ce que sous-entendent les déclarations d’Alain Juppé, le ministre français des Affaires étrangères, le 5 avril sur France 24:
«nous avons envoyé des messages répétés au président depuis des mois et des mois. Henri de Raincourt -le secrétaire d’Etat à la Coopération, ndlr- est allé à Bamako. J’y suis allé aussi pour lui dire, attention, il faut vous battre contre Aqmi, il ne faut pas compter sur une sorte de complaisance d’Aqmi à l’égard de votre régime. Mais en pure perte.»
«Kadhafi jouait un rôle de régulateur qui servait à contenir diverses revendication ethnico-régionales qui se sont exacerbées avec sa chute et qui éclatent aujourd’hui, comme la récurrente problématique touareg», analyse pour Slate Afrique Anne Giudicelli, journaliste spécialiste du monde arabe et musulman.
Le problème, c’est que les rebelles touaregs du MNLA ont en l’occurrence ouvert une boîte de Pandore.
Menaces islamistes multiples
Les islamistes de la nébuleuse intégriste Ansar Dine, Aqmi et le Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao, une dissidence d’Aqmi) qui les ont aidé à mettre en déroute la faible armée malienne, leur disputent désormais le contrôle de la région.
«Chacun marque son territoire. Aujourd’hui, les principales villes du nord sont aux mains des rebelles touaregs, mais aussi de groupes d’islamistes radicaux parmi lesquels Ansar Dine, le Mujao, des Nigérians de Boko Haram ou encore d’Aqmi», a écrit le 27 avril, le site malien Maliweb, rapportant un témoignage de l’un de ses observateurs touareg qui sillonne la région.
Chaque groupe a son propre agenda. Le MNLA se bat uniquement pour l’indépendance de l’Azawad qui deviendrait une «République laïque». Les ambitions d’Aqmi, d’Ansar Dine, du Mujao et de Boko Haram sont toutes autres: instaurer une République islamique et la Charia non seulement sur le tout le Mali, mais aussi dans toute la sous-région.
Plus préoccupant, des actes de vandalisme et de violence ont été signalés à Gao, Tombouctou et dans d’autres villes du nord. Des bars ont été détruits. Des églises vandalisées. Human Rights Watch a répertorié des viols de femmes et des enrôlements d’enfants soldats par le MNLA, des exécutions sommaires, des mains de combattants du MNLA et de femmes trop court vêtues à leur goût, coupées par des membres d’Ansar Dine, ainsi que d’autres exactions commises par les uns et les autres.
«Ces islamistes sont des spécialistes de lavage de cerveau. Ils sont entrain d’endoctriner nos populations. De plus en plus de personnes se rallient à eux parce qu’elles ont peur. Il faut que notre armée, la Cédéao et la communauté internationale nous aident à nous débarrasser d’eux au plus vite. Car plus le temps passe, plus il sera difficile de le faire», s’est alarmé Sadou Diallo, le maire de Gao le 30 avril sur RFI.
Un scénario afghan en cours dans le nord du Mali
Le président de la Mauritanie Mohamed Ould Abdel Aziz tire aussi la sonnette d’alarme. Pour lui, un scénario afghan est en cours dans le nord du Mali:
«Il y a longtemps que j’ai manifesté mon inquiétude sur cette situation. J’en ai souvent discuté avec les autres chefs d’Etat des pays concernés. Les militants de Boko Haram qui sèment actuellement la terreur au nord Nigeria y ont été pour la plupart, formés.
Si la communauté internationale ne nous aide pas à agir vite et fort, on court droit à la catastrophe. Car le phénomène pourrait toucher d’autres pays», a-t-il prévenu dans une interview accordée à France 24.
Mis à part le Nigeria qui a déjà maille à partir avec le Mend dans le delta du Niger, et qui est aujourd’hui confronté au terroristes de Boko Haram, tous les pays, ne sont pas concernés, notamment les pays côtiers comme le Sénégal, tempère Philippe Hugon, spécialiste de l’Afrique et directeur de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Non sans reconnaître qu’il est incontestable qu’un risque de «somalisation» plane sur toute la zone qui va de la Mauritanie à la Somalie en passant par le Soudan. «Je l’ai évoqué il y a un an», confie-t-il à Slate Afrique.
Un risque qui selon lui, s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs: un absence totale de l’Etat, une explosion démographique conjuguée à une dramatique pénurie de perspectives d’emplois pour les jeunes, une apparition de mouvements islamiques radicaux dont certains veulent instaurer la charia et un khalifat qui irait en gros de la Mauritanie à la Somalie et un développement exponentiel de trafics en tous genres: trafic d’otages qui se font essentiellement pour des raisons financières, d’autos, d’armes et de drogues.
Trafic de drogue et piraterie
Le trafic de drogue, c’est l’autre arme de déstabilisation massive qui menace la région. Car si les barons sud-américains ont déjà fait de la Guinée-Bissau un narco-état, ils n’ont eu de cesse d’étendre leur funeste commerce sur le reste de l’Afrique en général et de l’Afrique de l’ouest en particulier.
Selon l’expert David Guletis qui s’exprimait en novembre 2011 devant un groupe de sénateurs américains de la sous-commission des Affaires étrangères pour l’Afrique, le trafic de drogue entre l’Amérique latine et l’Europe menace la stabilité des pays d’Afrique par lesquels il transite.
«Depuis cinq ans, les cartels de la drogue d’Amérique latine utilisent de plus en plus l’Afrique comme plaque tournante de leur trafic de cocaïne vers l’Europe. La demande européenne et l’efficacité assez grande des cartels sud-américains pour transporter la drogue vers et à travers les ports d’Afrique de l’Ouest, ont eu pour résultat une croissance exponentielle des flux, en valeur et en volume», souligne cet expert de la société de consultants Ishirtrak.
Et d’ajouter: «ce trafic constitue la menace la plus importante contre la stabilité régionale, davantage qu’Aqmi»
Et pour ne rien arranger, la piraterie qui sévit depuis plusieurs années en Somalie a gagné les côtes d’Afrique occidentale. Avec une différence de taille. Si en Somalie, les navires et les équipages sont relâchés une fois une rançon payée aux pirates, en Afrique de l’ouest, les navires sont détournés, attaqués et dévalisés. Le violent détournement d’un cargo néerlandais au large du Nigeria en février dernier, prouve que le phénomène prend de l’ampleur.
Au point qu’un groupe de coordination d’assureurs estime que les eaux du littoral du Bénin et du Nigeria constituent désormais une zone de danger, au même titre que celles de la Somalie.