Pour la première fois, Yahya Abou Hamame, le nouveau chef d’Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique), prend la parole. Il a accordé une interview à l’Agence Nouakchott Information. Ely Ould Maghlah est un des journalistes qui a réalisé cette interview exclusive. Un entretien qui nous apprend que Yahya Abou Hamame a désavoué un proche de Mokhtar Belmokhtar. Que la menace concernant les otages est à prendre au sérieux, mais aussi, que cette organisation terroriste craint une intervention armée dans le Nord du Mali.
Ely Ould Maghlah bonjour. Vous êtes l’un des journalistes de la rédaction, qui a interviewé samedi dernier le nouveau chef d’Aqmi, Yahya Abou Hamame. Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il est vraiment devenu le chef de cette organisation jihadiste ?
Notre rédaction suit de près les questions liées à l’activité d’Aqmi dans la sous-région, et par-delà on est au courant du changement qui arrive parfois dans cette organisation.
Yahya Abou Hamame est Algérien, il est né il y a trente-quatre ans près d’Alger. Il sillonne le Nord du Mali depuis 2004, aux côtés de Mokhtar Belmokhtar. Dans la hiérarchie d’Aqmi, il vient de succéder à Nabil Makhloufi, à la tête de la zone Sud d’Aqmi. Pourquoi est-ce lui qui s’est imposé ?
Yahya Abou Hamame a à son actif plusieurs opérations qui ont visé des armées dans la sous-région. Il a fait état de services qui justifient bien cette nomination.
Et quels sont ces fameux états de service ?
Ce sont des attaques qui ont visé, par exemple, l’armée mauritanienne à Tourine en 2009, et avant ça d’autres attaques. Il a même parrainé ces attaques de kamikazes ayant visé l’ambassade de France à Nouakchott et celle ayant visé la caserne de Mema à l’est du pays.
Dans la structure d’Aqmi, Yahya Abou Hamame est le supérieur des deux chefs les plus connus, Abou Zaid et Mokhtar Belmokhtar, mais est-ce qu’en réalité, ces deux émirs ne font pas un peu ce qu’ils veulent, sur le terrain ?
Oui, surtout Mokhtar Belmokhtar dont l’influence est grandissante depuis des années, dans la sous-région, parce qu’il a eu des relations sociales avec les populations locales. C’est surtout Belmokhtar qui fait un peu le contrepoids.
Parce que Mokhtar Belmokhtar a pris femme dans la région de Tombouctou ?
Oui, oui.
Dans votre interview, Yahya Abou Hamame désavoue un proche de Mokhtar Belmokhtar, le dénommé Oumar Ould Hamaha. Est-ce le signe que Mokhtar Belmokhtar serait tombé en disgrâce ?
Oui, c’est bien un signe que Mokhtar Belmokhtar est tombé en disgrâce, parce que Abou Hamane a bien dit que ses déclarations n’engagent que leur auteur. Donc, c’est clair. Il faut comprendre par là, que Mokhtar Belmokhtar n’est plus le chef de la katiba de Moulathamoune. Moulathamoune, en arabe qui signifie « les enturbannés ». C’est l’appellation de guerre de cette katiba.
Le fait marquant dans cette interview, c’est la menace que profère le chef d’Aqmi contre les otages français. « Si François Hollande choisit l’option de la guerre, dit-il, cela signera l’arrêt de mort des otages français ». Pour vous, est-ce une menace sérieuse, ou du bluff ?
Je pense que c’est une menace sérieuse (…), étant donné que l’organisation détient aujourd’hui six Français, donc c’est une carte valable dans le jeu actuel d’Al-Qaïda. C’est une pression sur François Hollande, qui a déjà pris l’engagement de libérer ces otages.
Depuis plusieurs semaines, François Hollande dit que la France n’enverra pas de troupes au nord du Mali, et que ce sont les Africains eux-mêmes, qui libèreront le Nord du Mali. Alors pourquoi le chef d’Aqmi s’en prend-il à la France ?
Il sait peut-être que l’engagement de la France est très important dans le déroulement des opérations. La France, qui disposerait de certaines forces spéciales qui sont déjà sur place, et la France qui dispose d’assistance militaire technique.
Et il affirme, je crois, dans votre interview, que la France va se battre au nord du Mali par procuration. C’est ça ?
Il veut dire que les Occidentaux ont échoué dans des interventions directes, et ils sont en train d’adopter un nouveau mode d’action par procuration qui consiste envoyer des troupes des armées des pays concernés, au lieu d’envoyer des troupes occidentales.
Parce que les forces occidentales ont échoué dans les interventions directes.
Oui, notamment en Afghanistan.
Cette menace est tombée au lendemain du sommet de Bamako, sur la mise en place d’une force internationale au Mali. Est-ce le signe que les jihadistes d’Al-Qaïda commencent à redouter cette offensive militaire sur Gao et sur Tombouctou ?
Oui, ils ne peuvent que la redouter, parce que c’est sous la bannière de la communauté internationale. Il y a les états-majors qui travaillent déjà, et ils sont informés sur le déroulement de toute cette préparation.
Ce n’est pas la première fois, Ely Ould Maghlah, que votre agence, Nouakchott Information, obtient l’interview d’un chef d’Al-Qaïda. Pourquoi cette organisation jihadiste préfère-t-elle parler avec vous ?
Notre rédaction a peut-être de la crédibilité. Et c’est tout ! Ce n’est rien d’autre !
Le gouvernement mauritanien a fait savoir qu’il n’enverrait pas de troupes contre Aqmi. De son côté, Aqmi choisit votre agence d’information pour s’exprimer. Est-ce qu’on peut parler d’un pacte de non-agression, entre Nouakchott et Aqmi ?
La question a été posée à Abou Hamame au cours de l’interview. On lui a dit : on sait qu’il y a une trêve depuis quelque temps. Il n’y a plus d’attaque contre la Mauritanie. Est-ce qu’il y a une trêve tacite ? Est-ce qu’il y a un accord tacite entre eux et le gouvernement mauritanien sur ce dossier ? Et il a répondu tout simplement : nous avons déjà appelé ce régime au repentir. Ils savent où aller.
Ce qui est frappant, en effet, dans ce que dit ce chef d’Al-Qaïda sur la Mauritanie, c’est que pour lui, le front mauritanien n’est pas prioritaire.
Oui, il a estimé que les Etats-Unis avec leurs alliés, qu’il décrit comme païens croisés, sont des ennemis principaux d’Al-Qaïda, et que l’action d’Al-Qaïda vise en premier lieu ces pays-là.
C’est-à-dire les Etats-Unis, la France et l’Occident ?