Les clients font des efforts et les commerçants lâchent du lest pour parvenir à une entente dans un contexte d’argent rare. La Tabaski, c’est demain. Et les chefs de famille se démènent encore, sollicités qu’ils sont sur plusieurs fronts : d’abord l’achat du mouton, ensuite les vêtements des enfants (chaussures et coiffures aussi), les frais de condiments pour le festin de la fête et les habits de fête de ou des épouses.
Ainsi, depuis une semaine, le Grand marché de Bamako renoue avec l’ambiance propre aux fêtes de Tabaski. Une atmosphère que les acteurs du marché jugent moins enflammée que les années antérieures en raison de la crise politique et sécuritaire que connaît le pays
Néanmoins, le Grand marché connaît un engouement évident ces derniers jours même si le cœur du Bamakois est beaucoup moins à la joie qu’à l’accoutumée. Mais on n’échappe pas à la Tabaski : les voies menant au marché ont renoué avec les éternels embouteillages des jours d’avant-fête. Au marché et dans les rues adjacentes, les bousculades et autres tiraillements reprennent de plus belle.
Les étalagistes qui ont envahis le bitume font battre du tam-tam pour attirer la clientèle. Les « coxeurs » (les intermédiaires) sont bien décidés à obtenir leur part de l’énorme gâteau du jour et tentent d’attirer les clients en leur proposant des produits à des prix défiant toute concurrence.
La priorité aux tout-petits. Dans le Grand marché, les commerçants délivrent un diagnostic unanime : les rayons sont bien achalandés, les prix sont relativement raisonnables, mais les grandes ventes ne sont pas au rendez-vous.
Et pourtant, tout le monde ne fait pas grise mine. Ainsi Cheick Oumar Sylla, spécialisé dans la vente d’habillement pour tout-petit, Sylla se contente de la maigre affluence. « Vous savez, compte tenu de la situation critique de notre pays cette année, on ne s’attendait vraiment pas à des ventes records. Cependant, les mamans viennent avec leurs enfants. On discute très longuement sur les prix, mais elles finissent par acheter », témoigne le commerçant.
Les prix, de son point de vue, ont plutôt baissé cette année. Tenez, explique-t-il, on peut se procurer un ensemble pour jeune garçon de 10 à 15 ans, selon le modèle, à 4000, 5000 et même 2500 Fcfa. La robe pour jeune fille du même âge coûte de 5000 à 1500 Fcfa. « Les habits et les chaussures pour enfant sont vraiment moins chers cette année. La plupart des commerçants évoluant dans ce domaine, ont importé leurs marchandises de Chine ». « En plus, les commerçants chinois ont commencé à ouvrir des succursales au Grand marché de Bamako, beaucoup de détaillants s’approvisionnent maintenant sur place avec ces Chinois », indique notre interlocuteur.
Mme Awa Sanogo, accompagnée de ces trois filles, s’affaire à leur trouver de belles robes pour la fête. « Avec moins de 21.000 Fcfa, j’ai pu avoir une ensemble jupe pour ma première fille, les deux autres ont eu chacune une belle robe. Pour moi, les habits sont abordables. D’ailleurs je pense que le prix des habits n’est pas en cause mais plutôt la situation économique difficile du pays qui se répercute sur le portefeuille des gens et l’enchaînement des événements. Il y a eu d’abord la rentrée scolaire avec son corollaire de dépenses. A cela s’est greffée la non-orientation de nos enfants que nous avons inscrits par la force des choses dans des lycées privés », témoigne cette mère de famille.
Mme Sitan Dramé, une autre mère de famille, pense que la priorité doit être accordée aux tout-petits. « Depuis deux jours mes enfants viennent me dire que leurs camarades ont déjà eu leurs habits de fête. Une manière de mettre la pression sur leur papa dont la priorité est surtout d’acheter un mouton et de la nourriture. Je suis donc obligée mettre la main dans la poche pour les satisfaire. Il faut reconnaître que de façon générale, le prix des habits est abordable. Cependant, j’ai opté pour les robes en bazin localement cousus pour petite fille », indique la jeune maman.
L’engouement autour des boutiques chinoises. Il faut reconnaître que les tout-petits sont vraiment la priorité aussi bien des parents que des commerçants. Et l’ambiance du marché le prouve à suffisance. Devant la boutique de Mme Li, une ressortissante chinois installée à l’immeuble Babou Yara, les mamans et leurs rejetons se bousculent aux portes. Des robes, des ensembles jupes, des pantalons, des bodies et autres corsages (pour tous les âges, toutes les couleurs, avec diverses coupes) et des chaussures pour garçons et filles de tout âge sont joliment exposés. « Ici, c’est la maison des enfants », nous lance Mme Li dans un Bambara à fort accent oriental.
Elle explique que tous les articles pour tout-petits sont importés de Chine sans intermédiaires. « Les prix sont vraiment sans commentaire. Nous en avons pour toutes les bourses. Même avec 1000 Fcfa on peut habiller son enfant. Nous sommes des Chinois pas chers », assure la commerçante très occupée à satisfaire les nombreuses clientes.
Beaucoup d’autres boutiques ouvertes dans la même ruelle, regorgent d’autres petits articles comme des ceintures, des lunettes, des montres, des barrettes et autres babioles pour fillettes. « Les boutiques chinoises règnent en maître sur des articles pour enfant dans le marché. Elles proposent des effets d’habillement à des prix défiant toute concurrence. Beaucoup de détaillants qui s’approvisionnaient chez nous, se sont tous tournés vers eux », confie un commerçant local.
A côté des boutiques chinoises, les vendeuses de vêtements localement cousus font également de bonnes affaires. En effet, les robes et jupes « industrielles » sont reprises en bazin, wax et autres tissus par les couturiers locaux. De nombreuses mamans et leurs filles sont séduites. « Ces robes sont en bazin riche, bien cousues. Nous les cédons entre 3000 et 7500 Fcfa selon les tailles et les modèles. En raison du manque d’argent dû à la crise économique que traverse notre pays, les parents n’ont pas eu le temps de faire coudre des habits pour leurs rejetons. Ici, on leur proposent des habits et à moindre coût », lance cette commerçante.
La situation du marché reflète bien la conjoncture du pays mais aussi l’ingéniosité des mères et l’intelligence des commerçants face à un argent rare et la nécessité pour les premières de satisfaire leur famille et pour les seconds d’écouler leurs marchandises. Au bout du compte, tout le monde s’accorde pour passer sinon une bonne fête, du moins la Tabaski la moins mauvaise possible.