A Mopti, dernier verrou avant la capitale Bamako, une poignée d’hommes s’organise pour reconquérir la moitié nord du Mali, sous la coupe des islamistes depuis six mois.
En mars dernier, l’adjudant Ibrahim Maiga commandait encore la section de recherches de la gendarmerie de Tombouctou.
Aujourd’hui replié à Mopti, 350 kilomètres plus au sud, ce Songoï (une des ethnies du Nord-Mali) de 41 ans, sec comme un arbre du désert, mène deux vies en parallèle : gendarme à la brigade fluviale et, surtout, dirigeant de la milice d’autodéfense des habitants du Nord, Ganda Izo (Les Fils du terroir).
Sans doute une des rares forces qui ait encore envie d’en découdre avec les Touaregs d’Ansar Dine et du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), deux organisations satellites d’Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique), qui ont pris le contrôle du Nord du Mali.
L’offensive fondamentaliste a surpris l’adjudant Maiga à Gao, le 31 mars, alors qu’il était en mission. « Tout à coup, plusieurs dizaines de 4×4 ont investi le centre-ville. On s’est retranché dans la gendarmerie et on a commencé à tirer. » Submergés par les assaillants, les militaires de l’armée régulière, eux, s’enfuient après avoir épuisé leurs munitions.
Après quelques heures de résistance, les gendarmes sont à leur tour contraints de battre en retraite. Mais la ville est encerclée par les islamistes. Ibrahim Maiga se cache pendant cinq jours puis s’échappe déguisé en colporteur. A pied, il va gagner la frontière nigérienne. Après une escale à Bamako, la capitale du Mali, le voici de retour dans le Nord, à Mopti, dernier verrou entre le nord du pays et Bamako.
S’étalant paresseusement le long du fleuve Niger, Mopti, ancienne destination touristique aux portes du pays Dogon, n’accueille plus que des réfugiés. L’activité économique est au point mort.
Quant aux militaires, il faut les chercher : deux postes de contrôle gardés par des factionnaires plus soucieux de regagner l’ombre de leur cahute que de vérifier les chargements. Et l’on frémit en se disant que quelques 4×4 chargés de fanatiques pourraient s’emparer de la ville sans coup férir.
D’ailleurs, confie-t-on ici et là, ils sont déjà dans la ville. Chaque jour, en effet, des dizaines de pinasses, ces grandes pirogues qui transportent passagers et marchandises, relient Tombouctou, sous domination islamiste, à Mopti, encore contrôlée par Bamako. Rien de plus facile pour un espion que de monter à bord…
C’est précisément pour éviter un nouveau désastre militaire qu’Ibrahim Maiga a décidé, avec quelques amis, d’organiser la résistance. Depuis plusieurs années, il est membre du mouvement Ganda Izo.
Créée en 2008 pour protéger les populations non touaregs des exactions de ces derniers, la milice s’est radicalisée avec la guerre. Installée dans un ancien centre de jeunesse à Soufouroulaye, à une trentaine de kilomètres de Mopti, elle revendique un peu plus de 1 300 recrues.
Avec un peu plus de 1 300 recrues, Ganda Izo est, au propre comme au figuré, une armée de va-nu-pieds.
Ibrahim Maiga est aujourd’hui le numéro 3 du mouvement. Un destin inattendu pour ce fils d’agriculteurs qui a abandonné l’école à 11 ans. Autodidacte, il maîtrise aussi bien le manuel de discipline des armées que le code de procédure pénale.
« Nous ne laisserons pas une nouvelle fois les Arabes et les Touaregs faire de nous leurs esclaves, assure ce sub-saharien qui n’a pas oublié l’histoire de l’Afrique noire. L’islam dont se réclament ces bandits n’est qu’un camouflage. »
Même si les armes font cruellement défaut – il n’y a qu’une vingtaine de vieux fusils d’assaut kalachnikov pour instruire les recrues –, les miliciens de Ganda Izo témoignent d’une ferveur et d’un sens de la discipline qui tranchent avec la déliquescence de l’armée régulière.
On défile en cadence, on claque des talons, on court, on rampe… Entrain d’autant plus remarquable qu’aucun milicien ne touche de solde. Quant à la gamelle, elle se résume le plus souvent à une bouillie de riz. La troupe ne vit que des dons des déplacés du Nord…
« Nous pouvons être les yeux et les oreilles de l’aviation française »
L’instruction est assurée par des soldats et des sous-officiers de la garnison de Sévaré, à 15 kilomètres de là. La hiérarchie ferme les yeux. Après tout, il s’agit de défendre la nation.
A son actif, Ganda Izo a inscrit le seul fait d’armes enregistré par les forces loyalistes depuis l’offensive islamiste. L’installation d’un avant-poste, au début du mois d’août, dans la ville de Douentza, à 170 kilomètres de Mopti, non loin des premières lignes islamistes.
Hélas, le 1er septembre, les Touaregs ont pris la ville, faisant de nombreux prisonniers. Un coup dur pour la milice. Celle-ci entendait se servir de Douentza comme base arrière pour organiser un soulèvement à Tombouctou, 150 kilomètres plus au nord.
Infiltré dans la ville depuis une vingtaine de jours, Ibrahim Maiga coordonnait les différents réseaux de résistance. Les domiciles des principaux chefs islamistes avaient été localisés. Au signal, les résistants de Tombouctou devaient se soulever, assassiner les responsables jihadistes, tandis que des 4×4 chargés de miliciens de Douentza seraient venus épauler les insurgés.
« L’armée malienne aurait été contrainte à son tour de bouger, souligne avec malice le stratège de Ganda Izo. Ne serait-ce que pour éviter l’humiliation de laisser la victoire à notre seule milice. »
Ce revers militaire n’a pas découragé le mouvement. « Nous nous concentrons sur des missions d’infiltration, reprend Ibrahim Maiga. Personne ne connaît mieux le Nord que nous. Nous pouvons être les yeux et les oreilles de l’aviation française. »
Une offre de services qui, pour l’instant, n’a pas trouvé de réponse. Mais qui pourrait se révéler précieuse lorsque les avions Mirage et Rafale devront tirer leurs missiles…
FLN, les « pintades » qui veulent devenir des « lions »
A Sévaré, à une quinzaine de kilomètres de Mopti, une seconde milice a établi son quartier général : les Forces de libération des régions nord du Mali (FLN). Elles sont dirigées par le commandant Moussa Traoré, 43 ans, un ancien sergent de l’armée régulière. Au total, 794 hommes sont inscrits sur les registres de ce groupe d’autodéfense.
A la différence de Ganda Izo, qui recrute essentiellement parmi les populations déplacées du Nord, les FLN rassemblent des volontaires venus de tout le pays. Elles accueillent également quelques femmes, qui participent à tous les entraînements. La milice entend préparer les jeunes à rejoindre l’armée.
« Avant de devenir un lion, il faut accepter de n’être qu’une pintade cachée dans un buisson », philosophe le commandant Traoré. Plus prosaïquement, il explique que « la paresse est en train de manger le courage des jeunes ».
Faute de réels moyens militaires – et notamment d’armes individuelles –, l’instruction des jeunes recrues se résume à d’interminables séances de garde-à-vous entrecoupées d’un parcours du combattant plutôt bon enfant. Ce qui a découragé plus d’un volontaire de persister dans son engagement…