« On peut même fumer et écouter Bob Marley chez soi plus impunément qu’il y a deux mois » , se réjouit Mohamed, élu municipal. Mais il prévient « ça reste toujours dangereux de violer les règles des islamistes quand on se trouve sur l’artère principale de Tombouctou. Soit trois ou quatre kilomètres de route goudronnées reliant l’aéroport au centre ville. La police islamique arpente encore l’artère plusieurs fois par jour. Y compris, assurent les résidents de Tombouctou, Abuzeid dont presque personne n’avait vu ici le visage avant avril quand Tombouctou est tombé aux mains de ses occupants. Il a même passé la fête du mouton dans la ville sainte.
La peur au ventre ?
Maintenant, à moins que les Tombouctiens aient décidé de bluffer ensemble le monde, la silhouette frêle et la barbichette de l’impitoyable salafiste leur sont devenues familières. De même que sa Toyota tout terrain de couleur blanche que, selon Mohamed, on peut apercevoir sur ladite route vers le crépuscule, avec au volant la bête noire des chancelleries occidentale qui tua l’otage britannique Edwin Dyier puis le Français Michel Germaneau. A-t-il peur à son tour de l’intervention militaire au Nord-Mali qui se discute présentement à Bamako sous l’égide de la communauté internationale ?
Sanda Ould Boumama s’en défend. A 40 ans, ce Berrabich de la tribu des Oulad Ich tient la communication d’Aqmi à Tombouctou et s’il s’affiche Ansardine, la raison est bien simple : c’est pour mettre en avant « l’identité malienne de la rébellion de janvier 2012 ». En tout cas, il se dit prêt à donner au « croisés une bonne leçon ». Tout comme le flamboyant porte parole du Mujao Ould Amaha qui assure avoir les moyens de prendre Bamako en quelques heures et depuis Gao où il paye son allégeance à Belmoktar de pouvoir cueillir le président français comme un poussin.
La police islamique tourne moins
« N’en croyez pas un mot, lance Mohamed. Ici, les islamistes ont la peur au ventre ». Quelques signes de cette panique intérieure ? « Ils se font plus rares en ville, les arrières de leurs pick-up sont couvertes de bâches et bien attachées comme s’ils s’apprêtaient à partir à tout instant. Et puis la surveillance policière s’est quelque peu relâchée ». Pourtant, on la disait jusque-là tenue d’une main de fer par Mamadou Kassé dit Abou Zohor. De cet homme, on sait très peu de chose. On le sait seulement Malien, venu avec Abuzeid et Belmoktar en avril avec la chute de Tombouctou. Il est assisté du Mauritanien Abdel Adam qui cultive lui aussi le mystère sur son parcours. Lui aussi est un ancien d’Aqmi contrairement à leurs deux inspecteurs Alhassane et Moulaye recrutés après avril.
Le premier, Kel Antessar bon teint a 44 ans et vient de Zohor dans la commune de Ber. Le second est un Arabe de la commune de Salem. Les deux cadres s’appuient sur des patrouilleurs au parcours parfois déroutant. Il y a bien sûr Al Yazid, ce wahabite promoteur de médersa à Bellafarandi, 35 ans dont la « radicalisation » ne choque pas grand monde. Mais il y a aussi et surtout : Mahamane El Idiya, alias Demba Demba, 25 ans, manœuvre et rappeur avant avril ; Younoussa Inssoudiaye : 48 ans, un aventurier revenu du Niger et de la Côte d’Ivoire, avec une escale à l’Hôpital Gabriel Touré de Bamako pour une opération chirurgicale avant de revenir en avril à Tombouctou ; Alhouseini alias Bolo : 30 ans, puisatier local avec l’entreprise Betka et qui ne passe pas pour avoir de solides connaissances coraniques ; Aboubacrine Cissé : 29 ans, menuisier métallique jusqu’en avril à Tombouctou dans le quartier Bellafarandi ; Alhousseyi Ag Atou, Akhou-kamba, 34 ans charretier jusqu’en avril et résidant lui aussi à Bellafrandi.
Même la section des mœurs de cette police, connaît quelque ralentissement. Mais son chef Mohamed Mossa, n’aurait rien perdu de son zèle. S’il avait de la matière première, il aurait volontiers rempli son contrat de « père fouettard » d’Aqmi qui sortait lui-même la cravache. Dans les maisons, dans les rues comme au marché. Ce Kel Essouk, de 52 ans, vient d’ Aglal. Devenu en quelques mois la terreur de la ville, ce tâcheron avait, toutes ces années, le monopole de la construction des mosquées wahabites de la Région. Le tribunal islamique a aussi moins ouvert ses portes ces trois dernières semaines. Il ne désemplissait pourtant pas, entre le jugement des affaires de mœurs et des cas de meurtres dont le plus retentissant dit « Affaire de Sakoira » avait fini, après moult péripéties, par l’exécution du jeune Touareg Moussa le 3 octobre dernier.
Malaise dans la justice islamique
La balle mortelle était tirée par un jeune islamiste de 22 ans pendant que le condamné à mort finissait sa dernière prière. Moussa avait tiré deux semaines plus tôt sur un jeune pêcheur. Devant témoins. Il avait reconnu les faits devant le tribunal présidé par le juge principal, Daoud Ag Mohamed, 55 ans Bellah, Imam de Bellafarandi. Ce wahabite discret jusqu’en avril a ses assesseurs dont : Houka-Houka, 59 ans, Kel Antessar, maître d’arabe à Belafarandi et qui jusqu’en fin octobre courait derrière ses arriérés de salaire d’enseignant malien ; Daouda Maiga, 55 ans, originaire de Rharhouss et imam de la mosque wahabite entre Bellefarandi et Hamabangu ; et Mohamed ag Alfaki, 45 ans, Kel Antessar de Ber.
C’est lui qui aurait donné le premier coup de burin contre les mausolées dont la vue lui donnait des urticaires. Surtout après avril, car avant cette date il s’en accommodait bien. Si l’affaire Moussa passe pour avoir été bien instruite, – la sanction infligée a été demandée par la mère du pêcheur assassiné-, il y en d’autres qui ont fait douter la population de l’exemplarité d’Aqmi. L’affaire Ouedrago par exemple. Ce jeune homme convaincu de viol n’aurait reçu que quelques coups de cravaches indolores, selon Mohamed. L’affaire du neveu de Daouda Maiga a également fait bruit et surtout poussé certains à penser à une justice sélective, sensible à l’argent et à la couleur de peau, selon notre élu municipal.
A Tombouctou, on n’oublie pas que dans cette affaire, le meurtrier, un Touareg, est libre, alors que ses parents avaient proposé un dédommagement de 30 millions Cfa rejetés par la famille du défunt qui demandait la loi du talion. Que dire des multiples allégations de mariage collectif avec plusieurs salafistes épousant la même femme ? Le dernier cas connu a été porté devant le tribunal islamique en mi-octobre par la jeune Fatma qui subissait le joug de cinq militants islamistes revendiquant chacun d’avoir légalement épousée leur esclave sexuelle. « La dot collégiale » n’existe pas en islam, avait tranché le juge principal, semble t-il. Mais le trauma de Fatma, lui, existe bel et bien. Seule consolation : « les islamistes voulaient prêcher par l’exemple, ils n’ont pas réussi ».
Divergences tactiques
Reste qu’Aqmi est le vrai maître de Tombouctou, en attendant l’assaut de la Cedeao. Le collège des décideurs est là. Si Yehiya Abou Haman est mis devant depuis sa nomination comme Emir du Sahel à la place de Nabil Makhloufi décédé dans des circonstances non élucidées le 9 septembre dernier, le vrai patron de la région c’est Abuzeid dont il était l’adjoint. Abuzeid est entouré de plusieurs officiels du mouvement. Un Afghan et un Pakistanais dont personne ne sait rien, mais également Talha, un Malien né en Libye d’une mère tombouctienne et d’un père mauritanien et qui est venu pour la première fois à Tombouctou en juin dernier ; Boubacar Jafar, Sénégalais, Mamadou Kassé, le flic ; Abou Sayaf, Tunisien contrôlant Edm ; Abou Dardar, Algérien, patron de la radio Bouctou, Ibrahim Ould Hadag, Malien parmi les premiers cadres connus d’Aqmi et chef de l’unité militaire basé là où il y avait la gendarmerie nationale; Abdel Adam le Mauritanien ; Sanda Ould Boumama qu’on ne présente plus.
Belmoktar, le salafiste le plus connu de la région a été évincé au profit du camp Abuzeid. Il se serait replié à Gao avant de disparaître de cette ville quelques jours plus tard. Pour la deuxième fois, ses divergences tactiques avec d’autres officiels de la nébuleuse sont commentées à Tombouctou. La première, c’était il y a quelques années à propos de la formation des kamikazes. L’ex Gspc avait trouvé totalement contre-productive la méthode, lui opposant le coût élevé de la formation des moujahidines. Depuis quelques mois, disent des résidents de Tombouctou, Belmoktar voyait d’un mauvais œil-sic- la manière dont la charia était appliquée. Il a perdu une fois de plus. Mais ici personne ne pense qu’il a dit son dernier mot. Car l’arsenal hi-tech d’Aqmi y compris les fameux missiles manquants au stock libyen, les réseaux sur le monde et une grande partie de l’argent de la nébuleuse, c’est lui qui passe pour les contrôler.