Mardi 6 novembre 2012, lorsque Ndiaye Bah est convoqué chez le juge d’instruction du pôle économique de Bamako, Yaya Karambé, il ne se fait pas de souci. Auparavant, il avait été entendu comme simple témoin par la brigade financière du même pôle au sujet de présumées malversations commises à l’Office malien du tourisme et de l’hôtellerie (Omatho), un service rattaché au ministère.
Au grand étonnement de Ndiaye Bah, le juge fait son interrogatoire de première comparution (l’exercice consiste, en fait, à prendre l’identité du comparant et à lui annoncer son inculpation) et décide illico de le placer sous mandat de dépôt en attendant l’évolution de l’enquête ! Ceux qui ont rencontré le prisonnier à la Maison d’arrêt rapportent qu’il garde le moral haut et clame son innocence par rapport aux faits qui lui sont reprochés. Ces faits ont trait, selon nos sources, à des malversations présumées portant sur une centaine de millions de FCFA et Ndiaye doit répondre du crime de complicité d’atteinte aux biens publics et du délit de favoritisme.
Les griefs
D’un: il est reproché à Ndiaye Bah d’avoir usé de son influence ministérielle pour faire participer l’Omatho au financement de festivals nationaux comme le Festival annuel sur le Niger et celui d’Essakan. Les proches de l’intéressé répondent que le reproche n’est pas fondé. « L’Omatho est le seul service pourvoyeur de ressources du ministère du tourisme qui, en réalité, est une coquille vide; vu l’impact positif des festivals sur l’économie générale et la réputation du Mali, l’Omatho, sous tous les ministres successifs du tourisme, a toujours versé au département de tutelle une contribution financière à l’organisation de ces événements grandioses.Si des poursuites judiciaires doivent naître à ce sujet, elles devraient concerner tous les ministres qui se sont succédé depuis 1992 à la tête du département du tourisme. Alors, pourquoi poursuivre Ndiaye Bah seul ? Pourquoi, surtout, le poursuivre pour des dépenses effectuées à des fins publiques et non à des fins personnelles ? ».
De deux: il est reproché à Ndiaye Bah d’avoir fait contribuer l’Omatho à des bourses d’études délivrées, en France, à trois agents du service. Ses proches rétorquent que lesdits agents sont des agents publics au service de l’Omatho (l’actuel directeur-adjoint fait partie du lot) et qui, après leur formation, devenaient plus utiles au pays.« L’Omatho, au fond, n’a versé que la modique somme de 500 000 FCFA à chacun des 3 agents et l’on voit mal comment on poursuivrait un ministre pour ces peccadilles! », s’insurge un proche du dossier.
De trois: il est reproché à Ndiaye Bah d’avoir fait participer l’Omatho à des dépenses liées au séjour à l’étranger de journalistes comme Salif Sanogo de l‘ORTM, Daba Tounkara de Radio Jekafo, Birama Fall du journal Le Prétoire, et Tiémoko Traoré du journal Le Pouce. Les proches de l’inculpé répondent que ces journalistes ont assuré la couverture médiatique d’événements organisés par le département et méritaient, à cet égard, des perdiems.
Le plus gros reproche adressé à Ndiaye Bah a trait à de noires pratiques commises à l’Omatho. Ironie du sort, c’est Ndiaye Bah lui-même qui aurait éventé ces pratiques. En effet, ministre, il avait découvert des irrégularités dans la gestion de l’Omatho.Le service, sans justification, n’avait pas envoyé à temps les dotations financières de ses démembrements régionaux. Pis, l’Omatho avait contracté des dettes auprès de particuliers et les remboursait avec intérêt, ce qui défiait toutes les règles de comptabilité publique. Ayant demandé, en vain, des comptes au directeur de l’Omatho – à l’époque un certain Oumar Touré -, Ndiaye Bah, à défaut de pouvoir se subsituer au conseil d’administration pour sanctionner sa gestion, avait pris la seule mesure relevant de son ressort: limoger le directeur général. « Ndiaye Bah a signalé la faute de Touré au moment de passer le service à El-Moktar, son successeur à la tête du ministère, ajoute notre source. Aujourd’hui, Ndiaye Bah est poursuivi pour complicité des mêmes faits qu’il reprochait à Touré. Le comble, c’est que Touré reste toujours en liberté alors que son successeur, M.Kéita, qui ne semble être pour rien dans l’affaire, est jeté en prison en même temps que Ndiaye Bah! ».
Règlement de comptes ?
Les spécialistes engagés dans la défense de Ndiaye Bah pointent du doigt la faiblesse des charges retenues contre lui. Ils rappellent que la majeure partie des poursuites ont lieu sur la base d’un rapport du Contrôle général des services publics qui, en aucun moment, ne cite Ndiaye Bah parmi d’éventuels auteurs ou complices de malversations. Un de ses avocats nous explique: « Ndiaye Bah, techniquement, ne peut être poursuivi pour les faits qu’on lui reproche. En effet, l’Omatho est un établissement public à caractère administratif (EPA), doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière. Il est dirigé par un directeur général coiffé, à son tour, par un Conseil d’administration dont les membres sont issus de l’Etat mais aussi de structures privées liées à l’hôtellerie et au tourisme.Les dépenses et bilans sont approuvés par le Conseil d’aministration et non par le ministre de tutelle. Le contrôle financier de l’Omatho, comme celui de tous les EPA, est assuré, non par le ministère du tourisme, mais plutôt par celui des finances. Comment, dans ces conditions, retenir la responsabilité de Ndiaye Bah dans d’éventuelles malversations alors qu’il n’ordonne pas de dépenses ni ne les contrôle?« .
Du coup, l’entourage de Ndiaye Bah justifie son incarcération par des motifs purement politiques. « En quittant le CNID, Ndiaye Bah a mécontenté Me Mountaga Tall qui a juré de se venger et dont la proximité avec l’actuel Premier ministre est connue », souligne un proche du dossier. Un autre croit savoir que le Premier ministre de la transition, pour déblayer le terrain à sa future candidature présidentielle, a engagé une chasse aux sorcières contre ceux qui ont géré le pays sous ATT et qui sont susceptibles de lui couper l’herbe sous les pieds. « Ndiaye n’est que le premier d’une longue liste de responsables politiques promis à la prison s’ils ne se rallient pas aux ambitions de Cheick Modibo Diarra. Les politiciens les plus dangereux (Soumaila Cissé, Dioncounda Traoré, Modibo Sidibé, Hamé Diane Semega) étant exilés ou réduits au silence, il s’agit à présent d’effrayer leurs lieutenants les plus actifs, ceux-là qui seraient capables de prendre la relève. Or Ndiaye Bah a le malheur de figurer parmi ces actifs lieutenants. 3ème vice-président du PDES, le parti des héritiers d’ATT, il milite fortement au sein du FDR – le front anti-putsch – et il est le principal auteur des résolutions tendant à faire boycotter par le FDR les concertations nationales projetées par le gouvernement.En arrêtant Ndiaye Bah, le pouvoir teste la capacité de réaction du camp d’en face ». Un autre de nos interlocuteurs fait le parallèle avec Oumar Ibrahim Touré, ex-ministre de la santé qui, malgré l’incarcération de ses plus proches collaborateurs dans l’affaire dite du Fonds Mondial, n’a jamais été placé sous mandat: « Vous savez pourquoi ? Parce qu’il ne gêne plus personne et peut même être utilisé politiquement contre Soumaila Cissé! ». Les mêmes interlocuteurs se moquent de l’idée, qu’ils trouvent farfélue, que Ndiaye Bah ait pu utiliser des ressources publiques pour financer le PDES : « Ndiaye Bah avait, sous ATT, le département ministériel le plus maigrelet en termes de ressources; nul militant ne recevait le moindre rotin de lui, encore moins le parti qui avait bien d’autres bailleurs. Et vous devinez lesquels ! ».
La détention préventive ne préjuge pas du fond
En attendant un éventuel procès de Ndiaye Bah, des sources proches du ministère de la justice nous font savoir que la justice agit librement et ne reçoit pas d’injonction du gouvernement en place. Les mêmes sources rappellent que le placement sous mandat de dépôt ne préjuge pas de la culpabilité de Ndiaye Bah qui reste présumé innocent jusqu’au moment où il sera condamné par un tribunal. « S’il est laissé en liberté alors qu’il est poursuivi pour des faits aussi graves que l’atteinte aux biens publics, il peut facilement détruire des preuves, suborner des témoins, voire disparaître tout bonnement dans la nature comme d’autres l’ont fait avant lui », souligne une source. De plus, nous dit-on, un juge d’instruction n’a pas besoin de « preuves » pour placer un inculpé sous mandat de dépôt; de simples « charges » (reproches graves et troublants) lui suffisent; par contre, après l’information, le tribunal chargé de juger l’affaire aura besoin de preuves certaines pour condamner le justiciable. Explications d’un haut cadre du département de la justice: « A ce stade de la procédure, il est malvenu de prétendre que les faits ne sont pas suffisamment prouvés; si le juge d’instruction ne trouve rien pour soutenir l’accusation, il prononcera un non lieu, ce qui mettra l’inculpé hors de cause. Le juge instruit le dossier àcharge ainsi qu’à décharge: il a le devoir de tirer les conséquences juridiques de tout fait qu’il découvre, que ledit fait soit favorable ou défavorable à la personne poursuivie. Enfin, à tout moment, il peut ordonner la remise en liberté de l’inculpé s’il estime que sa détention n’est plus nécessaire à la manifestation de la vérité.« .
Espérons, pour le pauvre Ndiaye Bah, qu’il obtienne un non lieu car le crime d’atteinte aux biens publics est sanctionné au Mali par la peine de mort. Peine afflictive et infamante susceptible de mettre un terme précoce à sa carrière politique. En attendant, il a constitué pour sa défense son camarade de parti Maître Mamadou Camara, l’ancien bâtonnier Kassoum Tapo et le député de Kita Maître Hamidou Diabaté