DAKAR — Le feu vert des chefs d’Etat ouest-africains à l’envoi de milliers de soldats dans le nord du Mali pour en chasser les islamistes, est un pas décisif dix mois après le début de l’offensive des groupes armés dans cette région où ils ont laminé l’armée et l’Etat malien.
En approuvant les recommandations de leurs chefs d’état-major d’envoyer 3.300 hommes au Mali, les dirigeants ouest-africains réunis dimanche à Abuja ont réussi à surmonter leurs divergences de départ sur une telle intervention, mais ils se passera encore plusieurs mois avant qu’elle commence, selon des experts.
Les dirigeants de la transition à Bamako ont attendu septembre pour demander une intervention, et des chefs d’Etat comme le Burkinabé Blaise Compaoré, médiateur de l’Afrique de l’Ouest dans la crise malienne, ont toujours privilégié le dialogue, d’autres, dont le Nigérien Mahamadou Issoufou, l’usage de la force.
"Il y a eu beaucoup de progrès ces dernières semaines en terme de cohérence internationale", souligne Gilles Yabi, d’International Crisis group (ICG) à Dakar, "mais nous ne sommes cependant pas à la veille d’une intervention qui se décline dans la durée", même après accord de l’ONU associée à sa préparation.
Si, sur "le plan politique et des principes il n’y a plus de divergences majeures", il doute "que tous les détails de l’intervention aient été finalisés".
Le nombre précis d’hommes envoyés par les pays de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), leur niveau de formation, les moyens et capacités militaires de la force, son financement, restent encore flous.
Or, estime Jean-Charles Brisard, spécialiste des questions de terrorisme, "il faut mettre en place une offensive massive et rapide car le principal risque, c’est l’enlisement".
Gilles Yabi table sur une intervention "au deuxième semestre 2013", soit un an et demi après le lancement de l’offensive dans le nord du Mali, en janvier, de la rébellion touareg du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), à la faveur du retour de Libye d’ex-rebelles touareg des années 90, lourdement armés.
Le MNLA était alors allié aux groupes islamistes armés, Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Ansar Dine (Défenseurs de l’islam) et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) qui l’ont rapidement chassé de cette vaste région qui occupe les deux-tiers du territoire malien.
"Remise sur pied de l’armée malienne"
Depuis juin, ils y imposent avec rigueur la charia (loi islamique), en procédant à des exécutions par lapidation, des amputations de présumés voleurs, des coups de fouet aux buveurs d’alcool, aux fumeurs et autres "déviants".
L’armée malienne a été humiliée dans le Nord et l’Etat y a disparu.
La chute de cette région a été précipitée par un coup d’Etat militaire qui a renversé le 22 mars le président Amadou Toumani Touré, accusé d’avoir laissé Aqmi s’installer et prospérer dans le Nord sans donner à son armée les moyens nécessaires pour combattre ces jihadistes venus d’Algérie.
Les putschistes, dirigés par un obscur officier, le capitaine Amadou Haya Sanogo, ont rendu le pouvoir à des autorités civiles de transition, sous pression internationale, en particulier de la Cédéao.
Mais le capitaine Sanogo reste influent à Bamako où il a été nommé à la tête d’une structure chargée de réformer ce qui reste d’une armée bafouée, composée d’environ 5.000 hommes sous-équipés, censés participer à la reconquête du Nord.
"Un axe important est la remise sur pied de l’armée malienne", estime Gilles Yabi et "cela aussi prendra du temps".
La décision du sommet d’Abuja de ne pas confier au Mali le commandement de la force, risque de froisser une partie de l’armée et les organisations "patriotiques" opposées à toute intervention étrangère, compliquant encore un peu plus la tâche des autorités de transition.
Le sommet a rappelé que, parallèlement à la force armée, le dialogue avec des groupes du Nord rejetant le terrorisme et la partition du Mali devait se poursuivre. Il est actuellement en cours, via la médiation burkinabé, avec un des groupes islamistes, Ansar Dine.
Une perte de temps, selon Jean-Charles Brisard : "Ansar Dine est un point de focalisation aujourd’hui. Mais en réalité c’est un leurre d’Aqmi, la solution politique est un leurre. Il y a une problématique sécuritaire qui doit être résolue sans préalable politique. C’est aux jihadistes de déposer les armes".