L’ancien président malien Amadou Toumani Touré a été auditionné à Dakar dans le cadre de l’enquête sur le présumé financement par Kadhafi de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Et, en tant que témoin, Nicolas Sarkozy lui-même a été finalement entendu hier par la justice française dans cette affaire.
Mais la démarche de la justice française pose bien de questions étant donné que des relations tumultueuses ont existé entre le patron de l’UMP et l’ancien président malien.
Est-ce parce que ATT était un ami de l’ancien guide libyen qu’il a été auditionné par la justice française qui a dépêché des enquêteurs dans la capitale sénégalaise où il réside ? Une amitié que ATT a assumé jusqu’au bout et qui lui a valu le courroux de l’Elysée. Au cours des deux dernières décennies, Kadhafi a entretenu avec les autorités maliennes de très bonnes relations qui ont commencé sous Alpha Oumar Konaré, le prédécesseur d’ATT.
Au nom de cette amitié, les investissements libyens dans l’agriculture, l’hôtellerie et les hydrocarbures ont donné à l’économie malienne un coup de pousse. Très emblématique, le projet d’aménagement de 100 000 hectares dans l’Office du Niger entrait dans le cadre d’une coopération économique allant au-delà des intérêts personnels.
Les deux hommes étaient très proches, mais cette amitié prit fin avec l’assassinat du Guide libyen. La Libye subit encore les conséquences dramatiques de sa destruction par les forces de l’OTAN, sous l’instigation de Nicolas Sarkozy. Dans certains milieux à Bamako, on a du mal à suivre la justice française qui tente visiblement d’enfoncer l’ancien chef d’Etat français. Là, c’est une autre histoire! Cependant, les juges feraient mieux de foutre la paix à l’ancien président malien. Et certains de s’interroger: «Est-ce que les juges en charge du dossier imagineraient que ATT serait tenté de se venger?».
Par ailleurs, à Bamako, on se demande aussi pourquoi la justice française ne s’intéresserait pas aux nombreux proches et collaborateurs du Guide libyen dont son fils, Saïf Al Islam, qui a révélé le financement occulte de la campagne de Sarkozy par son père. La justice française aurait pu se concentrer sur Béchir Salah, ancien directeur de cabinet de Kadhafi qui est actuellement exilé en Afrique du Sud. Cet ancien dignitaire du régime libyen déchut avait pris ses quartiers en France, qu’il a quitté après la défaite de Sarkozy à la présidentielle française de 2012.
Cuisine interne franco-française
Autres possibles témoins négligés: Hannibal Kadhafi, l’autre fils de l’ancien guide libyen et Moussa Koussa, ancien chef des services secrets libyens. La signature de ce dernier apparait sur un document compromettant pour Sarkozy. Curieusement, aucune de ces sources n’a été interrogée par la justice française bien que leurs lieux de résidence ou de détention soient connus des services en charge de l’enquête. La justice française s’est jusqu’ici contentée d’enquêter sur une soi-disant piste malienne avec l’audition à Paris de Amadou Kanté dit Bany, ancien conseiller à la présidence de la République. Celui-ci réside actuellement à Paris et aucune charge n’a été retenue contre lui.
En fin de compte, ATT, tout comme Kadhafi, a été victime de Nicolas Sarkozy. Mais de là à imaginer que l’ancien président malien serait tenté de charger l’ex-locataire de l’Elysée, c’est mal le connaître. C’est mal connaître les Maliens qui, malgré les circonstances, gardent leur dignité. En fin, le présumé financement de la campagne de Sarkozy par Kadhafi est une cuisine interne franco-française. Aux juges français de faire la part des choses…
Soumaïla T. Diarra