Au Mali, la situation sécuritaire se dégrade à un rythme effréné qu’il faut craindre le pire. Du banditisme résiduel dans les métropoles aux attaques rebelles dans les zones géographiques des régions du nord, de Ségou et de Mopti, en passant par les attentats, les kamikazes et les tirs d’obus, on en arrive aujourd’hui aux règlements de compte avec les agents de l’Etat.
Cette nouvelle forme d’insécurité a été perpétrée dimanche dernier à Diafarabé (cercle de Ténenkou, région de Mopti) où le chef du poste forestier a été froidement assassiné par deux individus sur une moto. Avant de quitter la ville, les deux assassins (supposés être de la contrée) ont fait passer aux populations un message fort : « Notre acte ne se dirige pas contre vous, mais contre tous ces fonctionnaires qui vous oppriment. Nous les tuerons tous… ». Message livré en langue peule, pure et limpide.
Le dimanche 05 avril dernier, les populations de la commune rurale de Diafarabé ont vécu une journée inédite. Elles ont été témoins oculaires d’un meurtre. Dans l’après-midi ce jour-là, deux hommes sur une moto entrent dans le village. Ils tirent en l’air. Les gens, apeurés, se terrent dans les domiciles tout en ayant un œil dehors. Les visiteurs turbulents se dirigent directement chez l’agent des eaux et forêts qui était dans son bureau. Ils tirent à bout portant sur lui, le tuant sur le coup. Mais avant, ses assassins lui auraient notifié le motif : « Vous, et tous ceux qui symbolisent le pouvoir, nous vous tuerons jusqu’au dernier… ».
En sortant du village, ils auraient répété le même message aux habitants : « Nous n’en voulons pas à vous chers parents, mais à ces animaux venus d’ailleurs et qui nous empêchent de respirer l’air chez nous. Nous allons mettre fin à cette chienlit des fonctionnaires qui nous fatiguent pour rien… ».
L’assassinat du forestier de Diafarabé ouvre, comme le laisse voir clairement le message des tueurs, le bal de la chasse aux sorcières contre les agents publics, accusés de tous les péchés d’Israël.
D’ailleurs, dès le lendemain lundi 06 avril, cette menace se confirmait avec une embuscade tendue entre Dialloubé et Saba (toujours dans le cercle de Mopti) à deux gardes républicains en partance pour Mopti après la traversée de Dialloubé plus connue sous le nom de « Dègal Dialli », classée patrimoine immatériel de l’humanité. Les deux gardes, qui ont essuyé des coups de feu aux environs de 15 heures, ont eu la vie sauve grâce à l’agilité de leurs jambes, abandonnant leur moto et leurs armes.
Fait important à signaler : Dègal Dialli est la plus grande fête traditionnelle du Macina. Les présidents Modibo Kéïta et Amadou Toumani Touré y ont assisté. La traversée enregistre aussi la présence régulière de ministres de la Républiques et de plusieurs hautes personnalités peules. Mais cette année, Dègal Dialli n’a vu la participation d’aucune autorité, ni politique, ni administrative.
Même le Sous-préfet et le maire (censé résider dans le village) ont brillé par leur absence. Certes, une partie des raisons, c’est la crise actuelle du pays. Mais, c’est surtout parce qu’il y a eu une sérieuse menace de milices peules qui ont juré de gâcher la fête dans le sang. Ces groupes disent qu’ils ne veulent pas sentir « ces grands fonctionnaires » venir engendrer des dépenses inutiles dans leur terroir.
La même menace avait été lancée concernant la Ziara de Sékou Salah à Wourô Boubou. Les milices auraient brandi la lame de la mort sur la tête des invités. Elles ont demandé que la fête soit célébrée le plus simplement possible, comme aux temps anciens.
Insécurité dans les grandes villes
Ces messages forts à l’endroit des autorités traduisent le ras-le-bol des communautés vis-vis des tracasseries dont elles font preuve de la part des porteurs d’uniforme et de tenues civiles et toges. Elles en veulent fondamentalement aux agents des eaux et forêts, aux gardes et aux gendarmes. Les populations sont amendées pour un oui ou pour un non : ramassage de bois (mort), port de couteau (par les bergers), port d’armes (même autorisé), incendie (provoqué par les paysans pour faire disparaître des ordures) etc.
Les véhicules des forains sont systématiquement immobilisés contre paiement de fortes sommes d’argent. Les citoyens sont convoqués aux bureaux administratifs ou interpellés sans mandat, exposés au soleil ou jetés en prison. Autant de griefs dont se plaignent les populations contre des agents qui fuient au premier coup de feu, les laissant à leur propre sort. Alors, elles ont décidé de sévir contre « les persécuteurs ».
L’Etat, qui doit pourtant prendre cette menace très au sérieux, semble être complètement hors sujet, à en croire le communiqué du gouvernement dans lequel il associe l’attentat de Diafarabé à un acte terroriste. Or, tous les témoignages confirment que ce sont des autochtones qui ont commis le forfait avant de faire passer le message que l’on sait.
Au-delà de cette nouvelle forme d’insécurité, les attaques des camps et postes militaires par les rebelles reprennent un regain d’intensité.
Ainsi, 48 heures avant l’attentat de Diafarabé, donc mercredi 1er avril, le poste militaire de M’Boullikessi (commune rurale de Boni, cercle de Douentza) a été attaqué par des individus armés. Les assaillants cherchaient sans doute des armes et munitions, et à faire des victimes parmi les soldats maliens. Mais, ils ont été repoussés par les militaires. Ils ont néanmoins brûlé un véhicule du poste de Boni. Dans les échanges de tirs, trois assaillants ont trouvé la mort.
Deux jours plus tard, le vendredi 3 avril, c’est Boni qui est attaqué. Là aussi, c’est le poste de la Brigade territoriale de gendarmerie qui a été visé. Bilan : deux civils (un homme et une femme) morts et un gendarme blessé.
A des centaines de kilomètres de là, dans l’extrême nord, il n’y a pas de trêve. Le lundi 06 avril, la ville de Gao essuie des tirs d’obus. Des dégâts matériels importants et une jeune étudiante tuée dans cet acte qui prouve que les rebelles et/ou terroristes et djihadistes ne visent plus seulement les agents et symboles de l’Etat, mais aussi les innocentes populations civiles.
M’Boullikessi, Boni, Gao, Diafarabé et Dialloubé ont tous été attaqués en l’espace d’une semaine (entre le 1er et le 7 avril) avec un lourd bilan de 8 morts, 4 blessés, une moto et des armes emportées et un véhicule incendié.
Si l’on y ajoute l’insécurité résiduelle dans les grandes villes, notamment à Bamako et sur les axes routiers, les menaces d’attentats terroristes et les combats entre groupes armés rebelles et mouvements d’autodéfense, ainsi que la perte de Kidal, on en conclut à l’évidence que le Mali nage en eaux troubles.
Sékou Tamboura
Source: L'Aube