Quelle est la légitimité des conclusions d’une assise nationale à laquelle l’écrasante majorité de la classe politique et de la société civile ne participera pas ? La question ne semble pas préoccuper le président de la commission d’organisation, directeur de cabinet du Premier ministre, qui entend y injecter plus de 78 millions de F CFA. Le document remis samedi à la presse, relatif aux concertations nationales, est plein de contradictions et d’insuffisances. Décryptage.
Après de multiples reports, les assises des fameuses concertations nationales se dérouleront, sauf report de dernière minute, les 26, 27 et 28 novembre prochains au Centre international de conférence de Bamako. L’annonce a été faite par le président de la commission nationale d’organisation, Oumar Kanouté, à la faveur d’une conférence de presse qui avait toute l’allure d’un meeting de propagande.
L’objectif de ces assises, explique M. Kanouté, est de « doter le pays d’organes capables de conduire le recouvrement de l’intégrité du territoire national afin d’assurer le retour et le fonctionnement régulier de l’administration publique et d’organiser des élections démocratiques, transparentes et crédibles sur l’ensemble du territoire ». Un objectif bien légitime et fortement partagé par l’ensemble du peuple malien.
Cependant, ce que le président de la commission d’organisation feint d’ignorer, c’est la mauvaise foi manifestée par le Premier ministre d’organiser ces assises depuis plusieurs mois. Longtemps exprimée par l’écrasante majorité des Maliens, l’organisation de ces assises avait butté au mépris de Cheick Modibo Diarra.
Ce qui fait dire à certains observateurs qu’il faut s’interroger sur les vraies motivations de cet intérêt brusque à aller aux concertations, à 6 mois de l’expiration du délai officiel de la transition décidé par la conférence des chefs d’Etat de la Cédéao.
Si le directeur de cabinet du Premier ministre semble s’en défendre en tentant sans succès de faire croire que leur organisation est une recommandation de cette même Cédéao, il ne dit pas pourtant que le choix des hommes pour diriger cette commission est fait en violation de l’éthique politique et des vertus de rassembleur que le peuple malien attend du Premier ministre.
Des bases noyautées
Le président de la commission n’est autre que le directeur de cabinet de Cheick Modibo Diarra, membre du comité directeur du MPR (Mouvement patriotique pour le renouveau, qui revendique l’héritage de l’ex-dictateur Moussa Traoré). Or, la situation que vit le Mali exige que le président de cette commission soit une personnalité neutre, de bonne moralité, écoutée et respectée des Forces vives de la nation.
Si M. Kanouté s’en défend, avec l’argument qu’il est élu par les autres membres, l’opinion se demande pourquoi sur les cinq membres de la commission, trois sont des cadres de la Primature et que le vice-président n’est autre que le directeur de cabinet adjoint du même Premier ministre. Il s’appelle Dr. Abdoulaye Alkadi. Il n’y a pas de doute, ce choix confirme l’avis de certains Maliens que les bases de ces concertations sont déjà noyautées et qu’on va tout droit à l’échec.
Parmi les objectifs assignés à ces concertations, figure l’adoption d’une feuille de route consensuelle pour la période de la transition. Le peuple malien s’interroge sur un tel objectif au moment où le Premier ministre a déjà adopté en juin dernier une feuille de route envoyée à l’Assemblée nationale. Sans doute, les présentes concertations visent à entériner ce document de Cheick Modibo Diarra et lui accorder une certaine légitimité au moment où plusieurs organisations demandent de plus en plus sa démission du fait de son bilan négatif des 6 derniers mois.
De nouvelles structures budgétivores
L’autre mission des assises de la concertation, c’est aussi « la fixation des modalités d’organisation et de fonctionnement de la transition, la mise en place d’organes de la transition ». Face à un tel objectif faut-il s’interroger sur la volonté de mettre en cause les institutions en place suite au retour à l’ordre constitutionnel ?
Au moment où les populations dénoncent le train de vie extravagant de l’Etat, la pléthore de ministres et des membres de leur cabinet, la création de nouveaux organes de la transition coûtera davantage plus chère au contribuable malien. C’est une décision irréfléchie quand on sait la tension de trésorerie de l’Etat, le Mali est au bord de la récession, comme annoncé la semaine dernière par le Fonds monétaire international (FMI). Il n’y pas de doute, les objectifs de ces concertations restent flous.
Le président de la commission d’organisation, sans vraiment convaincre, a mis à la disposition des journalistes un paquet de documents cousu d’insuffisances. D’abord dans le règlement intérieur des concertations, en son article 1er, en citant la lettre du président de la République par intérim, aucune référence précise n’est accordée à cette correspondance. Et le numéro et la date de cette lettre de Dioncounda Traoré sont indiqués par des points de suspension. Il faut le dire, il ne s’agit pas d’un document sérieux. Et pour des autorités qui veulent réussir la transition, on doit bannir une telle légèreté.
Notion de représentation ignorée
Au total 110 regroupements, représentés diversement, devront participer à ces concertations. Et malheureusement, ils sont tous de Bamako. Dans le processus d’organisation de ces concertations nationales, la notion de représentation est ignorée par Oumar Kanouté et ses hommes.
Car au moment où le FDR (qui ne participera pas) et la Copam (A et B) sont représentés chacun par 15 personnes, la CSTM et l’UNTM (le deux centrales syndicales) sont aussi représentées par cinq personnalités chacune. Une vraie mise en scène, quand on sait que déjà l’UNTM est incluse dans le FDR et que son président, Siaka Diakité est le secrétaire général du même syndicat. Aussi, la CSTM est une entité de la Copam (A) et son président Hammadoun Amion Guindo est le secrétaire général de cette centrale.
Pour ce qui concerne les organisations de la société civile, en plus du Conseil national (qui est l’organe représentatif de toutes ces structures), plusieurs dizaines d’entre elles sont encore convoquées à participer, dont la Cafo, l’AMDH, CNJ-Mali, etc.
Le hic est que parmi les 110 regroupements invités, nulle part on ne fait cas des élus. Les maires, les présidents des conseils de cercles et des Assemblée régionales (notamment des régions occupées) ne seront à ces concertations. Or, pour parler des difficultés des populations, notamment celles du Nord, le meilleur interlocuteur reste les élus qui sont directement concernés.
Il n’y a pas de doute : nous partons à ces assises avec le sentiment d’échec programmé du fait de l’amateurisme dans son organisation. Et dire que plus de 78 millions de F CFA (si ce n’est plus) y seront injectés, il y a de quoi être révolté.