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Chronique D’IBA : Un étonnant vent violent sur Bamako
Publié le mardi 15 mai 2012   |  Les Echos




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Ce n’est pas possible. Ma langue, ma plume, mon génie créateur, tous m’ont trahi quand le ciel s’est effondré sur la terre Mali. Le vent poussiéreux du Sahel, s’est répandu sur ma capitale. Et j’ai tout perdu. L’expression « ce n’est pas possible« , reste bloquée dans ma gorge.

Totale incompréhension que dans un pays, dans une famille qui lutte depuis la nuit des temps (occupation coloniale, famine, corruption, santé, éducation…) et qui, aujourd’hui vit un putsch, un terrible conflit armé au nord, les populations s’entredéchirent.

Les mots font défaut tant je suis miné par les maux. Nous voilà donc pris au piège, dans la nation que nous appelions terre d’hospitalité, entre des rebelles, des islamistes, des groupes fratricides au sein de l’armée et dans la classe politique. Pays où l’on ne se lassait jamais de rappeler au visiteur, à l’étranger à quel point nous étions chaleureux, allant jusqu’à nous différencier malicieusement des Zoulous, des Tutsis, des Hutus, et autres Banyamulenge…

Bamako prend des airs inquiétants. Que dis-je, tragiques ! Et que dire de ces pick-up remplis de militaires qui vadrouillent en ville, mitraillettes fièrement pointées vers les quatre points cardinaux. Et tous ces corps de soldats, suite à la tentative de contre putsch du 30 avril 2012, bérets rouges, restés fidèles au président déchu ATT, et bérets verts soutiens de la junte. Ces corps que l’on découvre dans les amas de fleurs, ces cadavres qui sont restés des heures dans les rues de Bamako à la vue des populations, des enfants, des âmes sensibles. Quelle tristesse, Bamako!

Bamako, cette douce bourgade qui se réveillait avec la senteur huileuse des beignets de mil ! Bamako la coquette avec ses interminables dimanches de mariage, ses cortèges de femmes insouciantes maquillées et tressées avec un goût raffiné, dégageant de tous leurs pores la senteur envoûtante de l’encens, mon passé désormais nostalgique.

Bamako ma cité aujourd’hui devenue nauséabonde. Plus audibles que le vent, les rumeurs les plus folles circulent, les dénonciations lâches pleuvent. Sont patents les règlements de comptes et les arrestations arbitraires. La haine se lit sur les visages. Un sale air ici ! Qu’allons-nous devenir dans ce tourbillon ? Serons-nous poussière comme ce sale vent de l’harmattan ? La junte militaire rendra-t-elle jamais le pouvoir aux civils sans effusion de sang ?

Une donne est certaine, elle est valable pour Bamako, mais aussi pour toutes les villes prises dans le monde, les peuples reprennent toujours leur liberté quel qu’en soit le prix. Ma grand-mère m’aurait dit « que Dieu ne n’entende pas !« Je lui aurai répondu « oui qu’il ne n’entende pas mais comme on le dit, la chèvre opprimée finit par mordre« . Ensemble, nous aurions tous deux fini par dire : que s’installent dans nos cœurs le pardon, la paix, l’esprit de justice, l’humanisme et que Dieu nous rende notre liberté sans effusion de sang.

Il n’y a rien de plus affligeant pour un homme que de perdre ses droits, de surcroît acquis par le prix du sang, le sang de nos martyrs tombés en mars 1991. Jadis, nous humions le doux parfum de la liberté. Après 23 ans de dictature, nous avions pu relever la tête partout à travers le monde et chanter sur tous les toits que nous étions les champions de la démocratie. C’était avant. C’était le Mali. Rien, plus rien ne sera jamais pareil. Par un terrible revers de fortune, nous avons éhontément tout perdu. Nos emplois, nos biens, notre armée, les villes du Nord… Bien plus que du matériel, sous ce vent, des familles sont divisées peut-être à tout jamais et les valeurs glissent irrémédiablement.

Quant à moi, j’y suis, j’y reste contre vents et marées. Je tiens. Le cœur lourd je me réveille, j’essaye de garder le moral, de participer aux opérations humanitaires destinées aux populations du Nord, de militer au sein du « Collectif Plus jamais ça » pour éviter à mon pays d’autres dérives.

La nuit tombée, mon ventre creux de faim, je n’ai plus d’appétit, cohabite douloureusement avec le vent sifflotant à travers les grilles de ma fenêtre. Je m’adosse et ferme un œil. Rêver m’est interdit. Je croise les doigts et me mets à méditer sur mes certitudes. L’on me dit qu’il faut être courageux. Evidemment. Un jour, le grand vent de la violence s’en ira. Ceux qui auraient suivi les maximes de Rudyard Kippling « Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie, Et sans dire un mot te mettre à rebâtir, Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties, Sans un geste et sans un soupir… Tu seras un homme mon fils » seront là à nouveau pour reconstruire un Mali fort et stable et ouvrir les portes de l’espérance aux milliers de Maliens souhaitant rentrer chez eux, aux milliers d’amis, de touristes soucieux de découvrir le fascinant Mali, d’Est en ouest, du Nord au sud.

Birama Konaré

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