Deux cent quarante-deux millions de dollars ! C’est la modique somme que Foutanga Sissoko, dit Babani, aurait subtilisée à Mohamed Ayyoub, l’un des gestionnaires de la Dubai Islamic Bank (DIB), entre août 1995 et mars 1998. Telle est en tout cas l’accusation lancée par les juges de l’émirat pour justifier le mandat d’arrêt international qu’ils ont lancé, le 25 octobre, contre le richissime homme d’affaires malien.
Babani Sissoko
Deux plaintes ont déjà été déposées par les avocats de la DIB contre Babani. L’une, au mois d’avril, auprès du procureur général de Genève (Suisse), l’autre, au mois d’août, devant les tribunaux de Miami (Floride), où il résidait. Chef d’accusation : « blanchiment d’argent et défaut de vigilance dans diverses opérations financières ». Une partie des fonds détournés aurait, à en croire les avocats de la DIB, pris la direction des coffres de la Banque multi commerciale de Genève, de la filiale suisse de la Citibank et de plusieurs établissements de Miami.
Du coup, un coin de voile commence à se lever sur les origines passablement mystérieuses de sa fortune. « Connu pour ses extravagances et générosité, écrivait, en septembre 1997,le Miami New Times, l’un des principaux quotidiens de la ville, Sissoko a fait un don de 300 000 dollars au lycée central de Miami et offert des Mercedes neuves à trois de ses avocats. Un jour, il a laissé un pourboire de 10 000 dollars à une masseuse, et il distribue quotidiennement des billets de 100 dollars à des sans domicile-fixe ». Babani, poursuivait le journal, a poussé l’extravagance jusqu’à « offrir une Range Rover à une passante qui s’enquérait du prix du véhicule auprès du vendeur ».On comprend qu’un tel comportement ait pu éveiller quelque soupçons ! En Afrique, l’homme d’affaires possède une compagnie aérienne, Air Dabia, établie à Banjul, plusieurs hôtels de grand standing et diverses résidences en Gambie, au Mali, au Nigeria et en Angola.
Selon le très sérieux New York Times, Sissoko aurait fait fortune, en Inde, dans le commerce du textile. Pour sa part, le Miami Herald lui a découvert un passé de marchand de grumes au Gabon. Pour dérouter la justice américaine et les enquêteurs, Sissoko expliquait que sa fortune provenait, en fait, de mines de diamants qu’il posséderait au Liberia. Certains de ses collaborateurs américains lui prêtent des relations très étroites avec Mouammar Kadhafi, le chef de la Jamahiriya Libyenne. Aucune de ces explications n’a évidemment convaincu le procureur Général suisse, et encore moins les juges américains. Grâce à la police des Emirats arabes unis et des auditeurs du cabinet KPMG, ils vont enfin pouvoir élucider le « mystère Babani ».
Comment le Malien est-il parvenu à abuser le Banquier émirati ? Il se serait engagé à multiplier, grâce à des manipulations relevant de la magie noire, les dollars que celui-ci aurait eu la confondante naïveté de lui remettre ! Le plus surprenant est que Babani, hormis les noms des bénéficiaires des transferts, n’a laissé aucune trace écrite (reconnaissance de dette, contrat de prêt, etc.). En fait, personne, à commencer par la police des Emirats, qui l’a emprisonné pour escroquerie, ne croit plus à la sincérité d’Ayyoub lorsqu’il soutient qu’il était tombé sous le charme de Sissoko. Les deux hommes se sont rencontrés pour la première fois en 1995. D’après les aveux d’Ayyoub, Babani s’était d’abord présenté comme un homme d’affaires gambien à la recherche de financement pour des « projets prometteurs » dans les secteurs du pétrole, des mines, du bois et du textile. Petit à petit, ils se sont liés d’amitié. « Babani, se souvient l’ancien gestionnaire de la DIB, m’a souvent invité dans une luxueuse villa de DubaÏ. A chaque fois, il me faisait visiter une pièce où s’alignaient des coffres pleins de billets de banque et de lingots d’or. Dans sa chambre, une boule de cristal pendait au-dessus du lit. Elle lui permettait, disait-il, d’observer à distance la moindre de mes actions. »
A supposer même qu’Ayyoub se soit vraiment montré naïf, il a eu tout le temps de s’apercevoir de la supercherie, puisqu’il n’a jamais revu la couleur de l’argent remis à Babani en 1995 et 1996. Pourtant, au lieu d’arrêter les frais en suspendant les transferts, il a continué d’alimenter, en toute illégalité, les comptes de son « ami gambien ».Un ami qui coule aujourd’hui des jours tranquilles au Mali, son pays natal, à l’abri de toute décision d’extradition .Les juges suisses, américains et Dubaiis ont, certes, obtenu le gel de ses avoirs à l’étranger, mais l’essentiel des fonds déposés à Genève et à Miami a probablement déjà pris la direction des banques gambiennes et, pourquoi pas maliennes
*En juillet 1996, Babani a tenté d’exporter frauduleusement deux hélicoptères vers la Gambie. Dans cet objectif, il a pris contact avec Jeffrey Outlaw, un agent des douanes de Miami à qui il a proposé 30 000 dollars en échange de son aide. Celui-ci a feint d’accepter, avant de tout révéler à la police. La justice américaine a porté plainte contre lui pour « corruption ». En septembre 1996, il a été arrêté par Interpol et emprisonné à Genève. Au début de l’année suivante, il a été extradé en Floride. A l’issue de son procès, qui a duré de mars à septembre, il a écopé de quatre mois de détention, mais n’est resté que quarante-trois jours en prison compte tenu de la durée de son emprisonnement à Genève, dans l’attente de son extradition. Au début de la même année, il a été autorisé à regagner le Mali.