Au-delà du doute raisonnable, elle serait sans aucun doute la mosquée la plus fréquentée par les fidèles de la corruption, de la concussion, de l’escroquerie et des délinquants financiers. Tous à col blanc. C’est la mosquée située à l’entrée de Kalabancoro Adékène.
Tôt le matin, de fait dès l’aube, ils prennent d’assaut ce lieu de culte. Pourquoi précisément cette mosquée ? Parce que c’est celle que fréquente le vérificateur général, le « King » Amadou Ousmane Touré, celle qu’il aurait construite sur fonds propres, en face de sa résidence. Au début des années 2000, ce bienfaiteur de l’islam s’était forgé une réputation de magistrat anticorruption tant il était actif dans beaucoup de dossiers judiciaires, certains sulfureux, d’autres explosifs. Il s’était tellement distingué qu’on lui a offert de succéder au tumultueux et controversé Sidi Sosso Diarra, le premier vérificateur général.
Dans la foulée de son prédécesseur, le « King » s’est emparé de plusieurs dossiers. Le plus remarquable, au cours de ces derniers mois, est celui relatif à l’acquisition de la troisième licence de téléphonie globale par un certain Appolinaire. Mais avant, il y a eu aussi le dossier de l’acquisition d’un second avion de commandement pour le président de la République et de matériels et fournitures au profit des forces armées et de sécurité. Il y a eu bien d’autres dossiers et chaque année le vérificateur adresse régulièrement un rapport circonstancié de ses vérifications. Et comme il est censé contribuer à lutter contre la délinquance financière et économique, les nouvelles autorités auraient envisagé un moment de fermer son bureau. Le Végal était-il devenu gênant pour les nouveaux maitres du pays si forts en montage financier ?
A première vue, on pourrait le croire, mais à l’analyse le vérificateur général actuel pas plus que le précédent ne dérange personne. Ces rapports n’ont aucun effet visible : pas d’arrestations ni d’interpellations spectaculaires. A peine si, quelques rares fois, la presse rapporte qu’un tel a été entendu par le pôle économique et financier. Sinon, rien. Comme si les rapports publiés étaient rangés dans des tiroirs poussiéreux où ils deviennent la proie des termites et des rats.
Pendant ce temps, le « King » suit un étrange rituel. Il fait sa prière matinale sous le regard vigilant d’une poignée de gendarmes attachés à son service -pour le protéger ou pour le surveiller ? On ne sait trop- qui ont toujours un gobelet à la main. Aux environs de 08H, le vérificateur général sort de son domicile et grimpe dans sa Mercédès, escorté ou précédent, c’est selon, par un véhicule 4×4 occupé par une toute petite poignée d’hommes censés être ses gardes du corps. Auparavant, quand on l’appelait magistrat anticorruption, Amadou Ousmane allait beaucoup plus tôt à son service. En ce moment il avait du pain sur la planche. Mais maintenant, depuis qu’il a compris que ses rapports n’effrayent plus personne, l’homme fait la grasse matinée et se préparerait à succéder à l’imam de « sa » mosquée. Les mauvaises langues affirment que c’est cela sa véritable vocation. Et elles ont sans doute raison parce que les prêches payent plus que les vérifications.
Cheick Tandina