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Le charnier de Doungoura
Publié le lundi 20 avril 2015  |  L’aube
Découverte
© AFP par Habibou Kouyaté
Découverte d`un charnier près du camp de Kati
Bamako, le 4 décembre 2013. Un charnier de 21 cadavres de bérets rouges a été découvert dans les environs du camp militaire Soundjata Keita de Kati




Le cas le plus plausible, c’est l’affaire dite de Doungoura où, au moment où nous écrivons cet article, 25 corps de victimes gisent au fond d’un puits-charnier. Plusieurs fois démarchées, les
autorités refusent toujours d’être témoin de cette horreur, alors que les parents ne demandent, ni plus, ni moins, qu’à donner une sépulture aux leurs.

A titre de rappel, Doungoura est une bourgade de la commune rurale de Toguéré Coumbé, dans le cercle de Ténenkou. C’est à quelque 7 kms de là, précisément à un lieu appelé Neenga, qu’a été opéré le massacre de civils le plus horrible de la rébellion 2012. C’était le 18 mars 2013. Ce jour-là, des bandits armés ont intercepté des véhicules de forains sur l’axe Léré-Dioura. Une vingtaine de passagers sont ligotés, les yeux bandés, puis égorgés ou fusillés, et jetés dans un puits.

Depuis, malgré les multiples démarches entreprises par Tabital Pulaaku-Mali, aucune autorité
politique ou administrative, aucun organisme de défense des droits de l’Homme, aucun média,
n’a rendu compte de ce qui s’est passé à Doungoura.

Pire, il n’y a eu aucun signe de sympathie et de compassion des autorités pour les orphelins et les veuves. Pas plus qu’aucune vraie enquête n’a été diligentée jusque-là pour situer les
responsabilités. Alors que, en mars 2014, il a fallu que 30 touaregs soient tués dans des
violences intercommunautaires à Tamkoutat (80 km au nord de Gao), pour mettre en alerte toute la République et la communauté internationale et dépêcher deux membres du gouvernement pour les « condoléances de la nation et la compassion ». Y-a-t-il dès lors deux poids, deux mesures selon qu’il s’agisse de Touaregs ou de peuls ?

Un autre exemple dramatique s’est produit le jeudi 27 février 2014. Ce jour-là, un camion appartenant à un certain Touré, en partance pour la foire de Léré (cercle de Niafunké), a été
bloqué à 30 km de là par des éléments du Mnla. Les bandits font descendre la cinquantaine de
passagers sous la menace d’armes à feu, les ligotent et procèdent à leur fouille systématique.
Ils les dépouillent de tout : argent, téléphones, parures, marchandises et tous objets de valeur.

Pire, ils mettent le feu au véhicule et s’en vont sans crainte, laissant derrière eux des victimes
impuissantes, toujours ligotées.Les forces de l’ordre et de sécurité de Léré (commandées par un capitaine à la peau blanche), alertées, n’ont même pas daigné aller faire les constats, « faute de moyens », arguent-elles. Les volontaires peuls qui ont franchi ce pas pour venir faire le compte rendu au capitaine, ont vu tous leurs parents du Mema chassés avec leur cheptel.

Cette embuscade du 27 février entre Dioura et Léré est le énième acte de banditisme dont les
populations de Mopti sont quotidiennement victimes de la part des touaregs, maures et arabes.
Leurs cheptels sont enlevés comme des poulets, quasiment à tous les levers du soleil. Les
peuls sont dépouillés de leur argent, biens et marchandises suite à des embuscades tendues par
les rebelles, à l’image de cette autre attaque d’un camion entre Dioura et Léré, le 19 janvier 2014.

Ils sont braqués et soulagés de leurs motos ou assassinés, comme ce peul tué pour son engin
entre Nampala et Dioura, le 20 janvier 2014.« Plus grave encore, pendant les années 2012, 2013 et 2014, la transhumance n’a pas eu lieu. Or, si les animaux ne sillonnent pas le Delta intérieur du Niger, c’est tout le cheptel du Macina, du Farimaké, du Mema, du Kounari, du Guimballa jusqu’à Goundam etc. qui sera décimé, et les peuls moralement assassinés et réduits à la survie économique. L’administration est constamment mise au courant (si elle n’est pas témoin) de tous ces dangers, exactions, sévices et injustices, mais elle ne pipe pas ; pas plus que les autorités
centrales », témoigne une notabilité de la région.

La révolte des peuls
En réaction à ce silence coupable des autorités, les communautés des secteurs concernés, meurtries dans leur chair et dans leurs âmes, décident de plancher sur leur destin.
Le mercredi 26 février 2014, une rencontre se tient dans le village de Doungoura en présence de grandes familles venues de 46 villages. Un seul point à l’ordre du jour : Que faut-il faire face à la situation ?

Les communautés peules ont été contraintes d’en arriver là parce qu’elles sont convaincues de trois choses : les rebelles ne cesseront jamais de les attaquer ; l’Etat a clairement prouvé qu’il ne viendra pas à leur secours ; et qu’elles sont abandonnées à leur sort. C’est pourquoi, la réponse à l’objet de la rencontre du jour (Que faut-il faire face à la situation ?) fut, à l’unanimité, la création de brigades d’autodéfense, partout et par tous les moyens, pour défendre les forains, préserver le cheptel, sécuriser les propriétaires de véhicules et d’engins à deux roues ainsi que les biens et marchandises.

Une grande association de 120 membres a été formée sur place pour suivre, encadrer et veiller à l’exécution de l’instruction distillée. Cette instruction, la voici : « Défendez-vous ! Financez-vous ! Préservez votre cheptel, vos biens, vos vies ! Usez de tous les moyens de défense possibles. C’est au prix de votre existence ». En un mot, les populations se disent prêtes à verser leur sang et « laisser leur vie » sur le champ de l’honneur. Et cette décision devait rentrer à exécution immédiatement.

Mais, l’Association « Tabital Pulaaku » parvient in extremis à désamorcer cette bombe armée par les communautés victimes des rebelles du Mnla qui leur font subir toutes sortes d’exactions. C’était au cours d’une rencontre tenue le lundi 10 mars 2014, où les membres de Tabital ont pu convaincre leurs parents de revenir sur leur décision de riposte systématique aux attaques des rebelles, en attendant de trouver une solution avec les autorités maliennes. Dès le lendemain, mardi 11 mars, le Premier ministre Oumar Tatam Ly qui avait reçu en audience les membres de l’association, avait pris plusieurs engagements de nature à baisser la tension. Mais depuis, plus rien.

Lors de cette rencontre de Bamako, nous avions échangé avec le président de la société coopérative des éleveurs du Méma-Farimaké, Boubou Bara Cissé, qui nous a décrit un récit pathétique de la situation que les communautés peules et leurs voisins vivent dans leurs zones respectives: « Depuis que les rebelles, réfugiés et déplacés, sont revenus de Mauritanie, nous n’avons pas eu la quiétude. Ils font des embuscades pour dépouiller les passagers de leur argent et de leurs marchandises ; ils mettent le feu aux véhicules ; ils braquent les motocyclistes pour enlever leurs engins, ils tirent à bout portant sur d’autres ; ils ligotent, fusillent, mutilent, égorgent et jettent dans les puits des forains ; ils pendent des personnes pour ensuite les dépecer comme des moutons, sans oublier tous ces portés disparus dont on n’a plus de nouvelles. Ils enlèvent notre cheptel pour aller le vendre en territoire mauritanien.

Un exemple concret : dans un coin de pâturage vers Nampala, les jeunes rebelles ont tiré sur des bergers pour voler leur bétail. Bilan lourd : un mort et deux blessés, l’un a été admis à l’hôpital de Ségou et l’autre transporté à Bamako. Le dossier des animaux volés est toujours pendant du côté de la Mauritanie. Au début de l’hivernage dernier, ils ont tué un jeune de Kendé, et un autre de dôgo. Personne n’a aujourd’hui l’inventaire des animaux que les rebelles ont enlevés, parce qu’ils le font tous les jours et à différents endroits.

Le charnier dit de Doungoura marque encore les esprits des populations de la localité, plus particulièrement de tous ceux qui y ont des parents, amis ou connaissances.
Voilà une infime partie de ce que nous souffrons chez nous, dans le Méma, le Farimaké et le Macina ».

Quelle est l’identité des bandits ? Le vieux du Farimaké nous révélait ceci : « Ce sont nos voisins, nous partageons tout ensemble : le territoire, le repas, le thé, la boisson, l’élevage etc. Ceux qui nous fatiguent réellement, ces sont les maures des hameaux de Sourabèlè et de N’guiri N’guara. Leurs zones d’attaque sont bien ciblées ; ils ne viennent jamais là où il y a un poste militaire ou de sécurité, tels que Gatchi et Léré.

Par contre, dans le Macina, ce sont les ex intégrés qui ont servi là. Ils reviennent avec d’autres rebelles pour commettre les attaques de toutes sortes et repartir tranquillement, ayant une parfaite connaissance du milieu qu’ils ont eu à sillonner en tant que gardes ou gendarmes avant la rébellion. Dans cette zone, ils opèrent pendant la décrue et la saison sèche », poursuit-il.

Les germes d’une rébellion ?
L’année 2014 s’est terminée sur cette baisse de tension. Mais celle-ci couve toujours.
Malheureusement, 2015 a commencé de la pire des manières pour les populations de la région Mopti, et celle de Ségou ainsi que pour les agents civils de l’Etat et les forces armées et de sécurité qui y sont affectés, à cause de la recrudescence des attaques des groupes armés. En effet, depuis janvier, des attaques croisées perpétrées par des rebelles et/ou terroristes ou djihadistes dans des localités situées dans ces deux régions ont fait plus de dix morts, d’importants dégâts matériels et de nombreux forains dépouillés de tous leurs biens.
Concrètement le tableau chronologique se présente comme suit : Nampala, le 5 janvier, bilan : 8 morts.

Dioura, dans la nuit du 6 au 7 janvier, bilan : 2 morts et d’importants dégâts matériels. Ténenkou, le 8 janvier, bilan : les réseaux téléphoniques Malitel et Orange endommagés. Dogo, le 15 janvier, bilan : des dizaines de forains dépouillés. Ténenkou à nouveau, le 16 janvier, bilan : 5 morts. Avec plusieurs blessés à chaque fois. Tel est le lourd bilan d’une série d’attaques et de braquages perpétrées par les rebelles en dix jours dans les cercles de Niono (région de Ségou) et de Ténenkou et Youwarou (région de Mopti).

Dans l’un ou l’autre cas, ce sont les mêmes assaillants qui avaient annexé le nord du Mali entre le 30 mars 2012 et le 29 janvier 2013 qui se reconstituent et se retrouvent au sud où ils terrorisent les populations, s’attaquent aux symboles publics et mettent à mal l’autorité de l’Etat.
Mais, un fait nouveau va entrer en ligne de compte, à savoir l’apparition des peuls dans les attaques, et par conséquent, l’avènement d’une nouvelle forme d’insécurité qui pousse les germes d’une rébellion. Il convient à ce niveau de revenir sur l’attaque de Ténenkou du jeudi 8 janvier, jour de la foire hebdomadaire de la ville.

En effet, au moment où le gouverneur et sa délégation tenaient une réunion avec la population, vers 15 h, des tirs d’armes retentissent dans la ville. C’est une attaque armée.
A propos, notre confrère L’Essor écrivait, dans sa parution du 9 avril, un témoignage édifiant: « Des témoins indiquent que le groupe qui a attaqué Ténenkou était composé d’une dizaine d’hommes armés. Des individus à la peau noire, portant des tenues militaires, enturbannés et s’exprimant en peulh. Ils seraient arrivés du côté Est de la ville, à bord d’un véhicule aux couleurs de la Garde nationale et se sont infiltrés dans la population».

Cette forme d’insécurité qui implique des autochtones dans les attaques a été à nouveau remarquée lors de l’attaque, le 5 avril, à Diafarabé (cercle de Ténenkou, région de Mopti) où le chef du poste forestier a été froidement assassiné par quatre individus sur des motos. Avant de quitter la ville, les assassins (supposés être de la contrée) ont fait passer aux populations un message fort : « Notre acte ne se dirige pas contre vous, mais contre tous ces fonctionnaires qui vous oppriment… ».

D’ailleurs, dès le lendemain lundi 06 avril, cette menace se confirmait avec une embuscade tendue entre Dialloubé et Saba (toujours dans le cercle de Mopti) à deux gardes républicains en partance pour Mopti après la traversée de Dialloubé plus connue sous le nom de « Dègal Dialli », classée patrimoine immatériel de l’humanité.

Les deux gardes, qui ont essuyé des coups de feu, ont eu la vie sauve grâce à l’agilité de leurs jambes, abandonnant leur moto et leurs armes.
Ces messages forts à l’endroit des autorités traduisent le ras-le-bol des communautés vis-vis des agents et des symboles de l’Etat, un Etat incapable d’assurer leur sécurité, à fortiori le développement de leurs zones.

Alors, elles-mêmes le feront. Quoi que cela puisse coûter ?
Un conseil utile : les germes d’une rébellion partent toujours d’un constat de l’impuissance des pouvoirs public doublé du ras-le-bol des populations. Que Dieu nous en garde !

Sékou Tamboura
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