La crise (puisque le ministre de la Sécurité intérieure et de la Protection civile et son Directeur général de la police ne veulent pas entendre le mot pénurie) a sans doute fini de convaincre l’opinion nationale que le mensonge est train de s’ériger en stratégie de gouvernance au Mali.
Pourquoi nos dirigeants n’ont plus honte de nous regarder dans les yeux pour nous mentir ? C’est la question que nous avons posée sur les réseaux sociaux la semaine dernière. Des réactions, nous en avons retenu deux éléments essentiels : la perte des valeurs cardinales comme la dignité et l’honneur et le déclin de la conviction et de la morale politique au Mali !
«Jadis, un dirigeant aurait préféré se démettre de ses fonctions, voire se suicider que de mentir d’une façon si éhontée», a même réagi un retraité de la police lorsque nous avons directement échangé avec lui sur la problématique de la délivrance des pièces d’identité maliennes. «Je suis estomaqué en lisant cet article. Je suis sûr que le Mali n’est pas à l’abri d’une révolution. Avec ces ministres incompétents, m’as-tu-vu et revanchards, les gaffes vont se multiplier au point de provoquer le soulèvement de la population», craint une jeune dame intervenant dans le débat. Nous savons que nos dirigeants nous ont le plus souvent bernés. Mais, ce qui se passe aujourd’hui est inacceptable. Comment accepter qu’un Premier ministre (DPG) et un ministre viennent mentir à l’Assemblée nationale devant des élus majoritairement complaisants parce que formant la sacrée Mouvance présidentielle ? Comment un Directeur général de la Police peut-il mentir face à la caméra et au micro de la télévision nationale ? Et surtout sur un fait que les Maliens vivent au quotidien ? Qui n’a pas vu ces longues files d’attente devant le service de passeport ces derniers jours ? Combien d’entre nous sont maintenant sûrs d’obtenir sa carte d’identité en une journée, sans se lever à 4h du matin ou passer par des chemins détournés ?
Les étrangers ont plus facilement accès à nos pièces d’identification que nous-mêmes
«Je suis en Algérie il y a de cela un an. Nous sommes là et complètement humiliés, car les pièces maliennes ne sont plus considérées ici. Et pour cause, nos pièces maliennes sont vendues comme de la cacahuète à n’importe qui et même à des étrangers qui ne comprennent aucune de nos langues nationales au Mali. Chaque jour, la police algérienne arrête des inconnus avec des pièces maliennes préalablement achetées», confiait récemment à un confrère de la place un compatriote depuis Alger. Ce dernier précisait que la carte d’identité nationale malienne est vendue contre 17.000 Fcfa, soit 3.400 dinars algériens et le passeport malien contre 40.000 Fcfa, soit 8.000 dinars algériens. Et pourtant, il y a une à deux décennies seulement, les pièces maliennes étaient parmi les plus respectées et les plus crédibles dans le monde. Comment en est-on arrivé là ? C’est là la première source d’insécurité au Mali ? Tout le monde est «Malien» parce qu’il faut juste avoir des espèces sonnantes et trébuchantes.
Des menteurs comme référence morale ?
Le ministre parle de moralisation ! Nous voudrions bien, si ce n’était pas de la démagogie. Au début, nous le soutenions personnellement dans son combat pour moraliser un corps comme la police nationale. Mais, Monsieur le ministre, pensez-vous qu’un Directeur général qui ment devant des millions de Maliens est une référence morale pour ses collaborateurs et subordonnés ? Et voilà pourquoi nous doutons aujourd’hui de votre volonté d’assainir. Comme la lutte contre la corruption, nous pensons que ce sont les «petits poissons» que votre filet ramène sur les berges, pardon, sur la touche. Le mensonge du Dg de la police était trop grossier pour que cela soit toléré. C’est pourquoi le lendemain, les Maliens ont démontré le contraire de ses allégations à travers les réseaux sociaux. Et même si ses amis d’une certaine presse ont tenté de le disculper avec une incroyable maladresse, nous avons découvert la vérité comme beaucoup d’autres compatriotes.
Nous avons été sur place pour voir ces rangs qui ne peuvent qu’humilier une Nation qui se respecte. Nous avons fait nous-mêmes le rang comme beaucoup de Maliens afin non seulement de vivre leur calvaire, mais aussi d’entendre leurs coups de gueule, leur colère, voire leur révolte ! Et ce que nous avons entendu et vu ne peut pas faire la fierté d’un régime. Nous pensons d’ailleurs qu’au lieu d’interpeller directement le ministre, les élus de la Nation auraient dû avoir la même réaction que nous, c’est-à-dire se glisser en anonymes dans les rangs pour mieux voir et mieux entendre !
Les déclarations du ministre de la Sécurité intérieure et de la Protection civile ainsi que de ses collaborateurs sont surtout renversantes. Le ministre a-t-il par exemple dit toute la vérité sur les raisons de la résiliation du contrat liant le Mali à la société canadienne qui a toujours été chargée de la confection de nos passeports au profit d’une entreprise française, en partenariat avec un commerçant malien ? Et pourtant, c’est là la vraie explication de la pénurie de ce précieux document de voyage !
Le seuil de l’incompétence
Dans la gouvernance, le mensonge cache deux choses graves pour être toléré par un régime qui a promis aux Maliens les changements longtemps attendus en termes d’intégrité, de justice sociale, de mérite et de compétence : la corruption et l’incompétence ! Et dans le cas de la crise des passeports, ce sont malheureusement les deux maux réunis ! Le «Ta-gninin» (avoir sa part du gâteau qu’est devenu la République) a détruit toutes nos valeurs morales. Il faut que les conseillers de nos dirigeants leur apprennent que le mensonge est non seulement un délit de gouvernance, mais aussi une très mauvaise stratégie de communication. Puisque l’Assemblée nationale semble vouloir se contenter des promesses creuses et des déclarations du ministre de la Sécurité intérieure et de la Protection civile (cela ne surprend pas parce que la majorité du Parlement est de son camp), il faut que les Maliens s’assument.
Les sanctions prises contre des «boucs émissaires» ne nous suffisent pas. Que chacun d’entre eux ait le courage de s’assumer en prenant personnellement la décision qui s’impose, avant qu’on leur impose la conduite à suivre. Le président de la République doit sévir pour l’exemple. Ceux qui ont menti à la télévision à des millions de Maliens, de l’intérieur comme de l’extérieur, doivent être démis de leurs fonctions, s’ils ne démissionnent pas d’eux-mêmes.
En effet, selon nos propres investigations, ce sont les seconds couteaux qui ont été épinglés et sacrifiés pour sauver la tête à leur hiérarchie. Si le régime ne s’assume pas, il faut que le peuple le fasse et que nos leaders religieux fassent comprendre aux fidèles ce que le mensonge peut provoquer comme malheur dans une cité, dans un pays.
Indignons-nous contre le mensonge d’Etat
C’est le moment de nous indigner, de protester et d’agir contre ceux qui ont élevé la pratique du mensonge au rang de politique d’Etat. Cela est d’autant nécessaire pour aboutir au changement escompté que l’art du mensonge est de plus en plus manié avec dextérité au sommet de l’Etat. On l’avait noté pendant la série noire de scandales auxquels le pouvoir a eu à faire face en 2014. Par rapport par exemple à l’avion présidentiel, le président de la République avait déclaré au Maroc que l’aéronef avait coûté 17 milliards de Fcfa. Le Premier ministre, dans sa Déclaration de politique générale (DPG) à l’Assemblée, avait déclaré 20 milliards de Fcfa à l’opinion nationale. Tandis que le Trésor évoquait 18 milliards de Fcfa, certaines sources 13 milliards et d’autres 8 milliards… Qui disait la vérité ?
Le mensonge d’Etat était en tout cas palpable. On avait noté la même cacophonie mensongère dans l’affaire «Tomi, le Corse» (Michel Tomi). Le chef d’Etat avait commencé à nier connaître le «Parrain des Parrains» (face aux Maliens à Abidjan) avant, progressivement, de l’admettre et de déclarer que Tomi était comme «un frère» pour lui. Même s’il n’aurait jamais été question d’affaires ou d’argent entre eux.
Dans les pays démocratiques, défend Marguerite Hoxie Sullivan dans son ouvrage, «Un service de presse responsable à l’ère du numérique», la mise en œuvre d’une «communication publique transparente et fonctionnelle est vitale». L’auteure et beaucoup de spécialistes comme Eduardo Cue déconseillent vivement le mensonge comme stratégie de communication. Que peut-on espérer de dirigeants qui mentent pour cacher leur incompétence ou leurs business aux dépens de l’intérêt national ? Indignons-nous et démontrons que nous ne sommes plus prêts à nous laisser faire !
*«Ta-gninin» : Avoir sa part du gâteau qu’est devenu la République. C’est l’un des fondements de la gangrène de la corruption au Mali !
Dan FONDIO