Les députés François Loncle (PS) et Pierre Lellouche (UMP) ont effectué, le mois dernier, un déplacement dans trois pays de la bande sahélo-saharienne (BSS), qui plus est membre du G5 Sahel, à savoir le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Lors d’une séance de travail de la commission des Affaires étrangères, ils en ont fait le compte-rendu. Et le moins que l’on puisse dire est que les perspectives ne sont pas très encourageantes.
Classés parmi les pays les moins avancés, ces trois États sahéliens se caractérisent par une démographie importante (6 à 7 enfants par femme) et une faillite de leurs systèmes éducatifs, avec 70 à 80% d’analphabètes au sein de leurs populations respectives. Et cela, avec une « islamisation préoccupante des sociétés », selon les mots de François Loncle.
« Dans les trois pays, l’islam wahhabite progresse au détriment de l’islam local, traditionnellement tolérant et modéré », a souligné le député socialiste. « Les mosquées et écoles coraniques financées par des ONG qataries ou des fonds saoudiens prolifèrent », a-t-il ajouté, notant au passage que « le Niger porte déjà les stigmates d’une ‘République islamique’ ». Si l’on y ajoute les difficultés économiques, pour M. Lellouche, « toutes les conditions sont remplies pour qu’une jeunesse désespérée se trouve sans autre perspective d’emploi que d’être recrutée par des groupes terroristes ou des trafiquants ».
Là-dessus, la présence militaire française, dans le cadre de l’opération Barkhane, est mal vue par certaines populations. « Au Niger, il existe une croyance bien ancrée que la France est présente militairement dans le pays pour accaparer les ressources, en particulier le maigre filon d’or qui a été découvert dans le nord du pays. Pour certains Nigériens, ‘la France n’est pas l’alliée du Niger mais l’alliée d’Issouffou’ », a affirmé M. Loncle.
Quant à la situation sécuritaire, elle est évidemment compliquée. Cela est vrai dans le nord du Mali, où les indépendantistes touareg et Bamako peinent toujours à s’entendre. L’accord d’Alger, trouvé en mars, n’a toujours pas été signé par les deux parties [ndlr, il l’a été par les groupes armés proches des autorités maliennes]. Dans son compte-rendu, M. Loncle a expliqué que cela tenait en partie à l’influence d’Iyad Ag Ghali, le chef du groupe jihadiste Ansar Dine, allié d’al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
« D’après nos informations, il terroriserait les groupes tentés de signer l’accord, en menaçant d’égorger leurs familles », a déclaré le député à son sujet, après avoir indiqué qu’il s’était réfugié en Algérie.
Et il y aussi le jeu des voisins du Mali. « Le Maroc continue de jouer un rôle ambigu dans le processus de paix, notamment à travers ses relations avec le chef du MNLA, Bilal Ag-Cherif. Quant à l’Algérie, beaucoup continuent de se poser la question de sa réelle neutralité en tant que médiateur », a expliqué M. Loncle, qui a également pointé certains « ambiguités » sur la volonté de Bamako à trouver un accord avec les indépendantistes.
Outre la situation politique instable du Burkina Faso, celle du Niger préoccupe, d’autant plus que ce pays est le plus fragile de la zone et qu’il est situé au « centre d’un triangle de menaces : nord-Mali, sud-Libye et Boko Haram », avec des forces armées « surengagées au regard » de ses moyens.
« Le Niger consacre 10% de son PIB à sa défense, ce qui accentue les difficultés économiques et sociales du pays. Au total, 9000 à 10.000 Nigériens sont engagés en opération, soit la moitié des forces disponibles. Les forces nigériennes manquent de couverture aérienne, de moyens de renseignement, de transport. Toutes les troupes se déplacent par la route », a noté François Loncle. En outre, pour Niamey, AQMI est vue comme une menace extérieure alors que le groupe jihadiste nigérien Boko Haram est vu comme une « menace locale, à l’intérieur-même de la société nigérienne ».
Dans ces conditions, le rôle de la force Barkhane (avec 3.000 hommes) est essentiel. Et c’est la raison pour laquelle il va durer longtemps. « Les capacités des groupes armés terroristes ont été fortement diminuées grâce à l’action de Barkhane. A l’heure actuelle, sur l’ensemble des pays du Sahel, la menace terroriste est contenue et ne déstabilise pas les Etats en place », a relevé M. Loncle. Mais cette efficacité suppose aussi le maintien de ce dispositif militaire « sur le temps long ».
Le député a ainsi rapporté les propos du général Salaün, le commandant de la force Barkhane : « Dans toute la bande sahélo-saharienne, la France est assise sur le couvercle de la marmite. » En clair, si les forces françaises se retirent, « cela induira des risques de déstabilisation en cascade pour tous les pays de la sous-région » car, selon M. Loncle, « la menace terroriste n’a pas pu être éradiquée ». Et pour cause : il y aurait encore 300 à 500 jihadistes dans le nord du Mali et leurs « forces se régénèrent en dépit des opérations, en raison du chaos libyen ». Et le parlementaire d’ajouter : « Les forces spéciales nous ont dit qu’ils avaient du mal à capturer les grands chefs qui se réfugiaient souvent en Algérie ».
Et la mission des Nations unies au Mali dans tout ça? Elle aurait dû être notre « ticket de sortie »… Seulement, régulièrement prise à partie par les groupes armés, « elle ne peut pas se débrouiller sans Barkhane qui est son ‘assurance-vie’ ». En outre, elle ne dispose pas des capacités nécessaires pour mener des missions de contre-terrorisme. Pour compléter le tableau, « elle accuse de nombreuses faiblesses intrinsèques concernant le nombre et la formation des hommes, le manque d’équipements et le soutien structurellement défaillant ». Et, d’après M. Loncle, « ces faiblesses combinées à la forte mortalité ont induit une frustration voire une démotivation des troupes, certaines refusant d’obéir, à l’image du contingent sénégalais ».
Aussi, le député Pierre Lellouche s’est montré très pessimiste. « Autant il me semblait qu’il était nécessaire d’aller stopper les terroristes qui descendaient vers Bamako en janvier 2013, autant je suis très réservé sur la pérennisation de cette présence, qui nous conduit à nous mettre dans la main d’une classe politique locale dont le tropisme bien connu est d’attendre que les autres gèrent la situation pour elle. Grâce à nous, les Maliens ont l’ONU pour dix ans », a-t-il lancé.
« Aujourd’hui, le nord-Mali n’est pas stabilisé. Nos militaires continuent à y faire un travail qui s’apparente à de la dentellerie fine : en plusieurs mois, nous n’avons tué que quelques dizaines de terroristes, et capturé autant, avec tous les moyens de pointe que nous y mettons », a encore estimé le député UMP. « Nous sommes face à une population terroriste potentielle qui ne cesse de croître : ces pays regorgent de jeunes désœuvrés. Ils ont à leur disposition des stocks d’armes considérables en provenance de Libye. Autant dire que nous sommes là devant une mission sans fin prévisible! », a-t-il continué.
D’où sa conclusions : « De force d’intervention, nous risquons de devenir – et d’être perçus comme – une force d’occupation du Sahel. Il ne s’agit pas d’un jugement moral, simplement d’un constat. Nous sommes partis pour une présence durable, sur une zone qui mesure plus de deux à trois fois la France, avec les problèmes considérables de logistique, de communication, d’usure des matériels que cela suscite ».