Ce fut laborieux. Mais, désormais, le cap semble fixé. Résolument le Mali entame sa marche vers une certaine stabilité. La date du 15 mai 2015 a été finalement retenue par la médiation internationale et le gouvernement malien pour la signature de l’Accord de paix d’Alger après plus de huit mois de négociations. Une signature qui aura bel et bien lieu à Bamako avec ou sans la Coordination des Mouvements armés de l’Azawad (CMA). L’analyse de l’Accord révèle la mise en place d’une multitude de structures, institutions et autres commissions. Exigées par les Accords, ces initiatives innovatrices pour la plupart d’entre elles, sont détaillées dans les annexes. A son sommet, un Comité de Suivi de l’Accord (CSA) pour la paix et la réconciliation au Mali qui sera mis en place dès la signature entre les différentes parties et qui sera chargé de la bonne application des décisions et mesures adoptées. Il sera lui-même composé de plusieurs sous-commissions prenant pied dans tous les domaines.
La signature de l’Accord n’est pas une fin en soi et le plus difficile reste à venir. La signature n’est pas la finalité mais l’application des multiples engagements qu’il contient.
Au sommet de l’architecture se trouve le Comité de Suivi de l’Accord (CSA) qui est présidé par l’Algérie, Chef de file de la Médiation, assisté du Burkina Faso, de la Mauritanie, du Niger, et du Tchad, en tant que vice-présidents. Le Comité Siège à Bamako et il peut exceptionnellement se réunir ailleurs, s’il le juge nécessaire. Il se réunit en séance plénière, au moins, une fois par mois, et peut, en tant que de besoin, tenir des réunions extraordinaires. Le CSA mettra en place quatre sous-comités dans les thématiques des « questions politiques et institutionnelles », de la « Défense et de la Sécurité », du « développement économique, social et culturel et de la réconciliation », de la « Justice et des questions humanitaires ».
La médiation internationale, pour faciliter la mise en œuvre de l’Accord de paix, a prévu une période moratoire allant de 18 à 24 mois, prenant effet dès sa signature, le 15 mai 2015.
Questions politiques et institutionnelles :
L’architecture institutionnelle au Mali sera fortement bouleversée. C’est pour cela, l’Accord prévoit une période intérimaire ou moratoire avant l’application pure et simple des engagements.
La période moratoire sera mise à profit pour favoriser, dans un premier temps, le retour des réfugiés au bercail. Il est fort envisageable la mise en place de la 4ème République avec l’adoption d’une nouvelle Constitution qui intègre les nouveaux textes règlementaires et législatifs permettant la mise en place d’un nouveau cadre institutionnel global et politique.
Egalement, une nouvelle loi électorale sera adoptée de manière à assurer la tenue d’élections régionales au suffrage universel direct. Elections qui devront avoir lieu au cours de la période intérimaire en vue de l’application du document de l’Accord. Les institutions actuelles continueront leurs missions jusqu’à la mise en place des organes prévus par l’Accord de paix.
Défense et Sécurité
La Défense et la Sécurité peuvent être qualifiées comme la partie osseuse du futur accord de paix. Comment assurer la sécurité d’une zone si vaste et si hostile ? Comment aussi et surtout cantonner les désormais ex rebelles de l’Azawad sachant que la tentative a lamentablement échoué dans un passé si proche ? Comment également réintégrer les combattants de la Plateforme et surtout de la Coordination au sein de l’Administration malienne en général et des Forces Armées et de Sécurité en particulier ?
Il sera créé sous l’égide de la sous-commission Défense et Sécurité du Comité de Suivi de l’Accord (CSA) de paix, une Commission Technique de Sécurité (CTS) qui reprend les attributions de la Commission Technique Mixte de Sécurité (CTMS) issue de l’accord de Ouagadougou et élargie le 16 Septembre 2014 à Alger. La CTS sera composée de six représentants des Forces Armées et de Sécurité du Mali, de trois représentants de la CMA et de trois autres de la plateforme. Elle comprendra également deux représentants de la MINUSMA y compris son président et un représentant de chacun des membres de la médiation et des forces internationales en présence. Cette Commission sera chargée notamment d’observer le cessez-le-feu entre les parties, d’enquêter sur ses éventuelles violations, de procéder à l’identification et à la validation des sites de cantonnement et de soutenir techniquement l’intégration des ex combattants.
Dans les 60 jours suivants la signature de l’Accord, le Mécanisme Opérationnel de Coordination (MOC) devra voir le jour, sous l’égide du CTS et qui travaillera en étroite collaboration avec les forces internationales en présence. Il sera chargé de planifier et de conduire les patrouilles mixtes composées des éléments des FAMA, des combattants de la Coordination et de la Plateforme et des soldats de la MINUSMA. Extrêmement difficile lorsque l’on connait les rivalités quasi meurtrières entre rebelles et soldats maliens. A noter que la première patrouille mixte devra s’effectuer au plus tard 60 jours toujours suivant la date de signature. Il sera également chargé de planifier et coordonner toutes les actions et mouvements des groupes armés pour toute la durée du cantonnement.
Intégration des rebelles au sein de l’Administration malienne
L’intégration tant décriée des combattants rebelles au sein de l’Armée malienne sera assurée par une Commission créée uniquement pour l’effet. Un Décret définira la composition, les missions, et le mode de fonctionnement de la Commission d’Intégration sous l’autorité du Président de la République, qui désignera une personnalité compétente et consensuelle qui en assurera la présidence. Les quotas, les critères et les modalités de l’intégration des combattants dans les corps constitués de l’Etat y compris dans les Forces Armées seront définis 90 jours à partir de la date de signature de l’Accord.
Sur cette base, les groupes rebelles transmettront une liste de leurs combattants désireux de revenir dans le giron de l’Etat malien. Une liste qui devra dans un délai de six mois prendre les mesures à cet effet sous la supervision de la Commission d’intégration. Elle devra formuler des propositions sur les modalités d’attribution des grades et de reclassement. La médiation internationale propose que les membres des mouvements armés anciennement officiers des FAMA soient réintégrés au moins aux mêmes grades. Quant à ceux-là qui ne remplissent pas les critères ou qui ne veulent tout simplement pas être intégrés, ils bénéficieront d’une pension de retraite ou de tout autre arrangement. En ce qui concerne les combattants qui ne voudront pas de l’Accord de paix, rien n’est mentionné. La version définitive devra prendre cela en considération en les traitant eu même pied d’égalité que les terroristes jihadistes.
Désarmement, Démobilisation et Remobilisation (DDR)
Une mesure d’une importance vitale pour la pacification du nord malien, c’est le processus Désarmement, Démobilisation et Remobilisation (DDR). Une Commission nationale chargée de sa mise en œuvre devra voir le jour dans les 60 jours suivants la signature de l’Accord de paix. Le président de la République devra désigner une personnalité compétente et consensuelle pour en assurer la présidence.
Elle comprendra un organe politique, des sous-commissions ainsi que des antennes dans toutes les régions qui serviront de relai d’application des mesures prises. Les sous-commissions seront composées d’experts et de représentants des forces armées de la Coordination et de la plateforme ainsi que des ministères compétents et des communautés locales. Un programme national de DDR devra être adopté dans les 120 jours suivant la signature de l’Accord. Il devra être accepté par tous. Les frais de fonctionnement de la Commission DDR et de ses antennes régionales seront pris en charge par l’Etat malien en collaboration avec les partenaires. En ces périodes de vaches maigres, l’appui de ces partenaires doit être conséquent au risque de freiner considérablement le processus. Tous les démembrements de l’Etat devront être impliqués pour la bonne marche de l’Institution.
Redéploiement de l’Armée malienne au nord et la refondation du secteur de la Défense et de la Sécurité
Deux réformes qui raviront les maliens sont le redéploiement de l’Armée malienne au nord et la refondation du secteur de la Défense et de la Sécurité. Le MOC proposera au Comité de suivi de l’Accord de paix un calendrier détaillé des Forces Armées et de Sécurité reformées au nord malien.
L’emploi du qualificatif « reformées » a certainement un sens. S’agit-il des soldats formés par la Mission Européenne pour la formation militaire dans notre pays ? Une formation qui faut-il le rappeler à fait du respect des droits de l’Homme et du droit de la guerre une de ses modules principales. Il s’agit là d’une volonté de la médiation internationale d’éviter autant que possible les velléités vengeresses que pourraient nourrir les soldats maliens envers les rebelles coupables de l’assassinat de sang-froid d’une certaine de leurs frères d’armes. Les unités reconstituées et redéployées seront entièrement équipées par l’Etat.
La sécurisation des frontières et la lutte contre le terrorisme seront entre autres missions qui leur seront confiées. Quant à la réforme du secteur de la Sécurité et de la Défense, elle commencera dans les 90 jours suivants la signature de l’Accord. En vue de déterminer les axes prioritaires du secteur, une évaluation détaillée de tout le système sera réalisée.
En tenant compte de la diversité géographique du nord et suivant les objectifs visés, les responsabilités et missions des acteurs de la défense et de la sécurité seront définies. Une police territoriale verra également le jour. Mais ses modalités de fonctionnement et de recrutement ainsi que d’autres points à préciser seront définis dans une loi. Une disposition légale qui devra voir le jour dans les 12 mois suivants la signature de l’Accord. En plus de cela, des Comités Consultatifs Locaux de Sécurité (CCLS) seront créés dans chaque région et commune.
Leurs missions, des avis et recommandations à l’endroit de l’exécutif local et des acteurs de la sécurité, et contribueront à l’échange d’information, à la sensibilisation et à une meilleure prise en compte des préoccupations de ces populations. Ces comités se réuniront une fois par mois sur la situation sécuritaire globale et formuleront des recommandations.
3 Actions et projets de développement économique, social et culturel
Le projet d’accord contient en sa troisième et dernière annexe une série de projets et mesures en vue de créer un cadre de vie viable et propice à une vie normalisée. La Sous-commission « Questions Développement Socioéconomique et Culturel » du Comité de Suivi sera chargée du suivi et de l’évaluation périodique de la mise en œuvre de ces actions et projets. Voici quelques-unes des mesures phares :
Educations et formations
Organiser la rentrée scolaire 2014‐2015 sur l’ensemble des régions de Gao, Tombouctou et Kidal.
Actualiser l’état des lieux dans tous les établissements scolaires des régions.
Construire et équiper un centre de formation professionnelle agropastoral à Kidal et à Tombouctou.
Réhabiliter le centre de formation professionnelle pour la promotion de l’agriculture au Sahel de Gao.
Santé
Renforcer la fonctionnalité des formations sanitaires (CSCom, CSRef., et hôpitaux régionaux)
Organiser le retour du personnel sociosanitaire déplacé dans les zones en mettant en place des mesures incitatives (primes, aide à l’installation,…) et sécuritaires;
Lancer les travaux de construction et d’équipement de trois centres de santé de proximité et d’assistance sociale respectivement à Kidal, Gao et Tombouctou.
Hydraulique
Réhabilitation des points d’eau (forages, puits pastoraux);
Réalisation d’un forage à Kidal ;
Réalisation d’un forage à Gao
Réalisation d’un puits citerne à Tombouctou.
Relance de l’économie locale
La relance des activités agricoles familiales et communautaires
L’organisation des campagnes de vaccination et traitement du bétail
La mise en place des activités génératrices de revenus pour les femmes et les jeunes dans les domaines de l’agriculture, l’élevage, le petit commerce, la pêche et l’artisanat.
Egalement, sont prévus des projets pour améliorer la qualité des services de base et dans le domaine de la Culture.
Justice et des questions humanitaires
Cette thématique est détaillée dans le titre V de l’Accord de paix, de l’article 46 à 49. La concernant, nous pouvons globalement dire qu’il s’agit de la mise en œuvre des grandes lignes de la Justice transitionnelle, bel et bien déjà en vigueur au Mali. C’est un processus de longue haleine partant de la réconciliation nationale, au rapatriement des réfugiés en passant pas la poursuite des auteurs des crimes graves. Difficile jeu d’équilibriste puisque bon nombre d’entre eux se retrouveront hors du champ d’application de toute action judiciaire du fait du nouveau statut qu’ils acquerront avec la mise en œuvre de l’Accord de paix. La bonne foi des différents belligérants sera mise à rude épreuve.
Ahmed M. Thiam