Si les groupes armés refusent obstinément de signer le texte, c’est pour des raisons que vous ne soupçonnez pas…
Savez-vous ce qui pousse vraiment les bandits armés à ne pas signer l’Accord d’Alger ? Vous avez certainement entendu les raisons officielles puisque tant au micro que sur les écrans, les compères, à défaut de l’indépendance (mot incongru en droit international), exigent la pleine autonomie de l’Azawad à travers sa « reconnaissance officielle comme réalité géographique, juridique et politique ». Mais ce que les rebelles ne crient pas sur les toits et qui sous-tend, au fond, leur refus catégorique de signer le texte, c’est que celui-ci prévoit la création d’une « commission d’enquête internationale sur tous les crimes de guerre et violations graves des droits de l’homme » commis au nord du Mali de 2012 à 2015. Rien que ça ! Nul besoin de posséder un diplôme en latin-grec ni de savoir conjuguer les verbes au subjonctif pour déviner le travail d’une telle commission. Elle va vite se rendre à Aguelhok (où des soldats maliens ont été égorgés par le MNLA), à Gao (où des Maliens ont été amputés des mains par les jihadistes du MUJAO), à Tombouctou (où des couples maliens ont été lapidés à mort par Ançar Dine) et à Kidal (où des préfets et sous-préfets ont été froidement assassinés en 2014 par une coalition rebelle). Résultat des courses : MNLA, HCUA, MAA et consorts se verront mis à l’index par la commision et traduits devant la Cour Pénale Internationale. Vu la forte dose de nivaquine que les juges de la CPI ont fait avaler à un ancien demi-dieu comme Charles Taylor, il y a de quoi frémir du turban à leur seul nom. Or, à côté d’Iyad Ag Ghali, de Bilal Ag Chérif et de leurs acolytes, Charles Taylor a plutôt l’air d’un inoffensif planteur de patates. Voilà pourquoi la main des groupes armés tremble furieusement quand on leur demande de signer l’Accord d’Alger. Il est vrai qu’à leur place, tout le monde tremblerait de peur et, surtout, d’amertume : personne n’a envie de gagner une guerre pour finir devant la CPI en lieu et place du vaincu, n’est-ce pas ? Tout près de nous, en Côte d’Ivoire, ce sont les vaincus de la guerre post-électorale (Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé et autres) qui ont goûté aux geôles de la CPI. Pas les vainqueurs ! Du coup, messieurs les rebelles, qui font déjà la loi au nord, préfèrent jouer les prolongations armées que de signer leur propre mise aux arrêts, qu’elle s’appelle Accord d’Alger ou Accord de Sébénicoro. Ils n’en restent pas moins dans l’embarras car il leur est difficile, eux qui se disent démocrates, de demander la renonciation du Mali à l’exercice de la justice.
Faut-il alors inscrire dans l’Accord une déclaration d’aministie générale des crimes commis au nord ? La question arrache, on l’imagine, des sueurs de sang aux organisations de défense des droits humains. Une réponse positive suppose, en effet, que Ladji Bourama s’engage à passer par pertes et profits le triste sort de ses concitoyens égorgés, fusillés, amputés, pillés ou violés. C’est là, sans doute, un chapitre absent du programme présidentiel « Mali d’abord, Inch Allah ». Même si, dans une autre vie, Ladji a dû fermer les yeux et les oreilles sur ses convictions antiterroristes pour échanger le prisonnier Wadoussène contre l’otage français Serge Lazarevitch. Mais de là à lui faire répéter sans cesse le même cinéma… Au reste, comment aministier les bandits égorgeurs au moment où la justice malienne détient les généraux Sanogo, Yamoussa Camara, Sidi Touré et compagnie ? A crime égal, un porteur de turban vaudrait-il mieux qu’un porteur de képi ? Et puis, s’il faut amnistier à la fois les égorgeurs de Kidal et les putschistes de Kati, de quel droit continuerait-on de garder en prison les voleurs de pintades et les trafiquants de parcelles ? Pour trouver une solution à ce casse-tête chinois, il va falloir, à mon avis, vendre aux enchères le Boeing 737 de Ladji Bourama pour louer les services d’une équipe de …juristes chinois. Ils ne risqueront rien sous nos tropiques puisque des casques bleus chinois participent à la MINUSMA. Les Chinois étant peu regardants aux droits de l’homme, ils trouveront peut-être un compromis juridique : par exemple, requalifier en simples contraventions des faits que les Euro-Américains considèrent comme crimes contre l’humanité. Qu’en dites-vous, hein ?
En tout état de cause, que les bandits le signent le 15 mai 2015 ou non, l’Accord d’Alger est mort avant de naître. Il faut avoir le crâne rempli d’eau de javel pour croire qu’un bandit contraint de signer un document respectera sa signature ! Depuis 1962, nos amis de Kidal ont-ils honoré un seul de leurs engagements les plus volontaires ? Par ailleurs, le Mali lui-même ne pourra pas tenir ses engagements car rien ne dit qu’il réussira à convaincre le peuple malien d’approuver, par référendum, les profonds bouleversements juridiques et politiques que nécessitera la mise en oeuvre de l’Accord. Bien entendu, le petit jeu du Mali ne peut sauter aux yeux que si le groupes armés signent, ce qui, à ce jour, relève de la chimère. En revanche, le Mali risque de tomber pieds joints dans le piège des rebelles. Aux dernières nouvelles, ces derniers, malins comme des lièvres, ont résolu de laisser certains d’entre eux signer l’Accord et de tenir les autres à l’écart. Ainsi, quand les récalcitrants se révolteront plus tard, ils seront rejoints en douce par ceux qui ont signé. Le Mali n’y comprendra rien puisque les groupes armés sont des vases communicants et que ni Ladji Bourama, ni aucun de ses ministres ne peut distinguer ni Ould d’un Ag. Un vrai marché de dupes, je vous le dis !
Tiékorobani
Source : Procès Verbal