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Art et Culture

Metteur en scène Ousmane Sow : «Le Kotéba n’a pas répondu aux aspirations des créateurs»
Publié le samedi 2 mai 2015  |  Le Reporter




Comédien, metteur en scène et auteur des œuvres telles que Bogodjeninen kan, Wari, Bougouniéré, Féréké Niamibougou, Dougouba, Ousmane Sow porte un jugement critique sur le théâtre malien. «On ne peut pas dire que ce théâtre est à l’avant-garde, qu’il est en train de jouer sa fonction sociale au Mali. C’est dommage». Pour lui, la formation de base en théâtre est désuète alors qu’avec l’art, la formation de masse n’a pas sa place. Se prononçant sur la crise que traverse le Mali, Ousmane Sow soutient, qu’en tant qu’adepte d’un théâtre de la prémonition, il ne croit pas que le théâtre puisse apporter des solutions pour la sortie de crise.

On dit de vous, metteur en scène, enseignant, chercheur et critique de théâtre. Cette description vous sied-il ?

Ousmane Sow : Pas tout à fait. Auteur, metteur en scène, oui je le suis. Même si vous ne le soulignez pas je fus comédien parce que sorti de l’Institut national des arts (INA). Critique de théâtre, non ! Même si j’ai eu à écrire quelques articles sur le théâtre. Un critique est quelqu’un qui réagit aux créations, aux pièces de théâtres. Critique, non. Chercheur ? Non, pas du tout. J’ai été toujours un artisan du théâtre. Toujours orienté vers la création artistique, la scène, les comédiens, les directions d’acteurs, mais pas chercheur en tant que tel.

Comment le monument du théâtre que vous êtes à embrasser ce métier ?

Oh, c’est trop dur ! Monument du théâtre. Il ne faudrait pas que je tombe dans ce narcissisme. Une référence peut-être, de la notoriété certes, avec tout le temps que j’ai vécu sur la planche. Comment je suis venu au théâtre ? Je pense que j’ai été choisi par le théâtre, car je n’avais, à aucun moment de ma vie, pensé que je serai un homme du théâtre. C’est par le hasard que je suis arrivé à l’INA que d’ailleurs, je n’ai même pas choisi après le DEF.

Votre carrière s’étale sur plusieurs années, ce qui vous permet de mieux apprécier l’évolution du théâtre. D’aucuns disent à tort ou à raison que le théâtre malien se meurt. Votre réaction…

C’est vrai que depuis une trentaine d’années, je suis témoin d’une bonne étape de ce théâtre malien. C’est justement le titre d’un livre que je suis en train d’écrire : «Trente petites années du théâtre malien». Dire que le théâtre malien se meurt, peut-être, c’est un peu trop pessimiste. Disons que la crise frappe un peu aux portes du théâtre malien. D’abord par la rareté des spectacles, nous en importons par le canal du centre culturel français, toute chose qui n’augure pas d’un vrai épanouissement du théâtre malien. Donc, on ne peut pas dire que ce théâtre est à l’avant-garde, qu’il est en train de jouer sa fonction sociale au Mali. C’est dommage !

Qu’est-ce qui peut faire prospérer le théâtre aujourd’hui ?

J’espère que les hommes du sérail, il y’en a beaucoup qui viendront à la rescousse et que le pays va donner un espace propice à la création dramaturgique, à la promotion du théâtre. Parce qu’en fait, une politique culturelle aujourd’hui est nécessaire. Le théâtre est laissé pour compte. Le théâtre n’est plus pris en charge par la culture, par les décideurs afin de lui donner l’impulsion nécessaire. Le théâtre se meurt. Vous avez raison de le dire.

Le Kotéba bien qu’original comme forme traditionnelle du théâtre populaire est considéré par certains puristes du théâtre comme une imposture des véritables actes de créations théâtrales ; trouvez-vous cela justifié ou fantaisiste ?

Justifié en partie, mais euh !…Moi, je ne me réclame pas du Kotéba, mais je ne le rejette pas non plus. On s’en est rendu compte au bout de quelques années quand on a joué tous les grands classiques, quand on a joué «La mort de Chaka» de Seydou Badian Kouyaté, quand on a joué «Nègres, qu’avez-vous fait ? de Alkaly Kaba, «Les Hommes de Backchich», «Une si belle leçon de patience» de Massa Makan Diabaté.

À cette époque le théâtre était véhiculé par la langue française, de ce fait, il était un théâtre d’élite. Il fallait aller vers autre chose. C’est comme ça qu’on a rencontré sur notre chemin le Kotéba, un théâtre traditionnel qui gisait dans le tréfonds de notre culture. Et le Kotéba a fait revenir le public qui, pour une fois, comprenait ce que nous disions. C’était un succès, les salles étaient pleines. Avec le Kotéba, la danse, le chant et la musique sont congénitalement liés au texte, ce qu’on ne verra pas dans le théâtre occidental. Mais par la suite, il n’a pas répondu aux aspirations des créateurs dont je suis.

Parce que la langue qui est le Bambara a attiré des apprentis sorciers, des gens qui ne sont pas du théâtre. On n’avait pas pris la langue comme un matériau dramaturgique. On n’a pas découvert que le Kotéba pouvait dépasser la langue pour aller à la métalangue, à l’écriture, à la métaphore qui sont quand même le propre de notre langue. C’est ce qui a fait que des années après, quand le Kotéba est resté lui-même, du village à la scène contemporaine, quand le Kotéba a ignoré le nouveau public, il est tombé en désuétude.

Vous disiez que le théâtre souffre de la disparition d’auteurs, de grands metteurs en scène. Comment expliquez-vous cela ?

Je suis toujours dans la même logique du Kotéba. Il est resté dans l’improvisation. Vous savez, dans les villages, il était joué par des comédiens qui improvisaient le texte. Or quand un acteur n’a pas de texte qu’il doit s’approprier, où il doit jouer avec les tripes, on tombe facilement dans une certaine facilité.

Avec le Kotéba qui continue à miner notre théâtre, l’auteur a été chassé. Et quand l’auteur est chassé, les comédiens ne peuvent plus jouer quoi que ce soit. Par rapport aux metteurs en scène, je dirais plutôt que cette discipline est un peu obsolète dans notre paysage théâtral. La mise en scène est restée un peu grabataire, elle est restée dans le dilettantisme, il n’y a pas beaucoup de professionnels dans la discipline. La mise en scène est un parent pauvre du théâtre malien.

Pourtant ce ne sont pas les écoles et les structures d’encadrement qui manquent, en cela au Mali, L’INA, le Centre multimédia Balla Fasséké?

Je suis en terrain connu pour parler de la formation. Elle est un peu désuète, il y a un relâchement. Ça ne fait plus l’objet d’une sélection méticuleuse. On a ouvert les portes grandes à tout le monde. Et l’esprit sélectif de la formation n’a pas été sauvegardé depuis quelques années. Alors que l’art, ce n’est pas la formation de masse.

Parlons des salles de spectacle. Elles sont rares ou quand elles existent, elles sont dans un état déplorable. Quelles conséquences cela peut avoir sur la qualité de l’art ?

Les salles de spectacle, leur rareté vous l’avez déplorée déjà. Et c’est vrai, j’en conviens, mais est-ce que c’est ça le spectacle ? Est-ce que ces salles peuvent nous permettre de nous épanouir en tant que créateurs africains ? Des salles conçues depuis le 17e siècle en France, même pas chez nous, qui ont été combattues par toute une génération de metteurs en scène en Europe, en Occident.

Je pense à Jean Villard, Peter Brooks et autres qui ont essayé d’aller vers l’éclatement de l’espace. Le plein air. Est-ce que ces scénographies ne sont pas plus proches de nous que les salles que nous avons aujourd’hui ? Malheureusement est-ce que nous aurons assez de moyens pour créer des formes de scénographies qui conviennent au Kotéba ou à toute autre forme théâtrale ? C’est en ces termes que je vois la question non pas en nombre de salles mais qu’il nous faut des salles appropriées.

Quelqu’un m’a dit à propos de vous et je le cite : «Ah ! Ousmane Sow est ‘un grand’ de par ses pièces théâtrales. Il fait de nos vies ordinaires une grande fresque sociale». Quel contenu donnez-vous à ce commentaire ?

Quand il s’agit de parler de moi-même, je perds toujours la faconde par humilité ou par modestie, je ne sais pas. Je suis le premier surpris par le succès que mes pièces peuvent avoir. Même si je prends du recul par rapport à mes œuvres, il m’est difficile de les encenser. Je vais laisser le public les apprécier, de dire ce qu’il en pense. Moi, je ne pourrais pas dire que je suis un grand, mais si les autres le disent, eh bien, c’est parce qu’ils ont une certaine idée de mon travail, de mon œuvre. Un créateur ne sait pas ce qu’il est, ce qu’il vaut, je suis très sûr de cette argumentation. Franchement.

Le Mali traverse une période difficile de sa vie. Quel peut être l’apport du théâtre dans la sortie de crise ?

Ecoutez-moi, je vais vous dire tout de suite la vérité. L’art c’est un peu dans la sphère de l’esprit, dans la sphère de la création. Je suis convaincu que l’art ne peut pas sauver un peuple. L’art peut être dans la prémonition, peut prévenir. J’ai bien peur qu’un auteur puisse dire que je suis la voix du peuple. Comme on le dit vox populi. Quelqu’un qui va seul prétendre parler au nom du peuple, sauver le peuple, je ne crois pas à ça. Moi chaque fois que j’ai écrit un texte, je parle de moi-même. C’est à dire que je parle de mes propres problèmes. Tout ce que je dis dans la pièce c’est moi. Mais c’est après que quand mes problèmes individuels vont rencontrer ceux du peuple qu’il y a le déclic.

C’est en ce moment-là seulement qu’on devient la voix du peuple parce qu’on va parler, en ce moment-là, en son nom. Par contre, chaque fois qu’on est le premier à dire «je vais parler au nom du peuple», on fait fausse route. Donc pour moi, l’art ne peut pas sauver. Pour vous dire que je ne crois pas que le théâtre peut travailler dans la sortie de crise. Peut donner des solutions à la sortie de crise. Moi je suis pour un théâtre de la prémonition qui dénonce, qui voit plus loin parce que l’auteur est un visionnaire. Mais aujourd’hui, quand je vois tout le monde se lever monter des sketches, des pièces sur la sortie de crise, je me dis : «ça, c’est de la photographie». Ils disent tous ce que tout le monde sait, jamais ce dont on ne sait pas de la situation. Ils ne peuvent pas nourrir le peuple.

Merci Ousmane Sow, vous nous avez révélé des vérités impensables sur le théâtre malien dans sa banalité et sa brutalité quotidiennes. Il nous reste à espérer que votre interview fasse bouger les choses. Votre mot pour la fin ?

Mon mot, c’est de vous remercier pour votre effort d’aller vers les gens afin qu’ils puissent donner leurs points de vue sur la création théâtrale.

Ange De VILLIER
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