Un moment, l’idée d’une éventuelle plainte, suivie de la comparution devant la Haute Cour de Justice (HCJ) de l’ancien président de la République, Amadou Toumani Touré, aujourd’hui refugié à Dakar, avait commencé à germer. Mais, pour des raisons non encore élucidées, l’Assemblée nationale qui avait mis en place une commission ad hoc pour examiner les conditions de recevabilité de cette plainte traine les pieds, sans pourtant écarter l’hypothèse d’une éventuelle poursuite contre lui. A cet effet, l’utilisation faite des centaines de milliards destinés à l’équipement des forces armées sera sans doute le premier gros os dans la ‘’gueule’’ de la haute Cour de justice chargée de juger les Institutions.
Nos confrères du journal ‘’L’Indépendant’’ ont, le mardi dernier, publié un rapport confidentiel portant sur le budget du Ministère de la Défense et des Anciens Combattants concernant la décennie (2002 – 2012) de la gouvernance ATT. Cela a permis encore une fois, aux Maliens de découvrir la gabegie financière qui a caractérisée cet épisode sombre de notre histoire. On n’a pas besoin d’être spécialiste pour débusquer l’hémorragie financière au niveau de la Défense. Il suffit d’établir un parallèle entre les chiffres annoncés comme investissements réalisés et l’état lamentable dans lequel ATT et sa bande ont légué notre armée nationale et nos forces de sécurité. Inutile de rappeler que la banalisation du braquage avec arme à feu à Bamako a commencé sous son règne.
Il ressort donc de l’analyse des chiffres contenus dans cet article, un accroissement continu du budget pour atteindre la coquette somme de 663 milliards de Fcfa, durant la période indiquée. Rappelons que l’accroissement du budget de la Défense et de la sécurité était annoncé dans la loi de la programmation militaire, votée et promulguée par Alpha Oumar Konaré vers la fin de son 2ème et dernier mandat. Cette loi visait à reconstruire notre armée nationale pour l’adapter au besoin nouveau. Il s’agissait de doter les FAMa des capacités opérationnelles plus modernes après la réforme entamée quelques années plus tôt. Notons qu’AOK avait procédé au démantèlement de notre arsenal de guerre, composé d’armes de fabrication russe pour la plupart. Des armes acquises sous les régimes de Modibo Kéita et de Moussa Traoré. Ainsi, tous les blindés légers destinés au transport des troupes de marque russe ont été réformés et vendus aux ferrailleurs de Médina Coura, qui les ont découpés en morceaux exportables. Les militaires, qui maitrisaient ces engins ont été mis à la retraite sans une relève conséquente. C’est ainsi que l’espoir était fondé sur ATT en tant qu’ancien militaire de réparer cette erreur du rêveur de son prédécesseur au pouvoir, qui voulait faire du Mali la Suisse d’Afrique avec l’esprit que l’époque des conflits armés tant au Mali qu’en Afrique était révolue à jamais.
Un Général sans armes !
Mais hélas, c’était mal connaître l’homme et son entourage. Nous allons faire économie de la reprise de cet article de nos confrères de l’Indépendant dans son intégralité pour nous en tenir à l’usage fait de la manne financière destinée à l’équipement des FAMa. Une préoccupation déjà effleurée dans le chapeau du doyen Saouti Haidara, qui émet des réserves sur l’utilisation faite de cette importante somme d’argent. Et, c’est effectivement toute la problématique de la question qui nous intéresse dans ce commentaire. Car, nul n’ignore que le régime d’ATT s’était empêtré dans un déficit de gouvernance, jamais égalé au Mali.
Dans le secteur de la défense et de la sécurité, l’incurie était encore plus profonde. Au nom du secret militaire, les marchés étaient passés dans la plus grande obscurité. En dix ans des généraux milliardaires se sont multipliés tant au niveau de l’Armée qu’au sein des forces de sécurité. Pendant la transition de 2012 de folles rumeurs faisaient état de la découverte d’une grande quantité d’or au domicile de l’inspecteur général Yaya Sangaré, alors conseiller technique au Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile, en charge des chantiers de construction et/ou la réhabilitation des casernes de la Garde nationale, des commissariats de Police, de la Direction générale de Police nationale et des Camps des gendarmes.
Au niveau de l’Armée, l’ancien chef d’Etat major, le général Seydou Traoré, s’est illustré dans la contestation des hommes, accusés dans la plupart des cas de détournement des droits (les PGAS payées aux hommes sur les théâtres d’opérations). En son temps, l’affaire a fait de grands bruits dans les casernes. Au point qu’à Kati, des hommes en treillis se sont révoltés en prenant le contrôle du rond point à la sortie du camp Soundiata, perturbant la circulation sur ce tronçon. Il a fallu l’intervention du général Gabriel Podiougou, alors chef d’Etat major de l’Armée de terre pour calmer les esprits. C’est d’ailleurs cette affaire qui précipitera le départ de celui qui était à la tête de l’Etat major des armées.
Depuis cette époque, outre la gestion des PGAS, l’équipement de l’armée s’est aussi posé avec acuité. Surtout après les attaques contre les deux camps militaires et celui de la garde nationale à Kidal, le 23 mai 2006. A cette occasion, les hommes ont réitéré leur demande d’équipements devant ATT lui-même dans les deux camps qu’il a visité après les événements. Ce jour-là, c’était pitoyable de voir les quelques armes obsolètes restées après le passage d’Iyad Ag Aghali et sa bande. La seule vue de la porte du magasin d’armement suffisait pour comprendre le niveau de décrépitude dans lequel gisait notre armée nationale, surtout dans ces casernes très éloignées, où le minimum vital est compromis par l’hostilité de la nature et l’insécurité permanente dans la zone. Depuis la rébellion des années 90, le septentrion malien ne s’est jamais stabilisé. L’insécurité est résiduelle. ATT et ses collaborateurs, qui faisaient semblant de prendre bonne note. Mais, aucune décision concrète n’a été prise pour mettre les hommes en état de se défendre d’abord avant de défendre la population et ses biens. Le mal est demeuré intact. Il s’est d’ailleurs aggravé entre temps. Dans un entretien réalisé sous le couvert de l’anonymat, un jeune garde, qui servait dans l’Unité Méhariste de la Garde nationale stationnée à Ber, dans la région de Tombouctou, avant la rébellion de janvier 2012, est revenu sur les déboires qu’ils vivaient. « Au même moment où, nous manquions des armes individuelles pour tous les hommes de l’unité, des milices arabes et tamasheks étaient dotées en pistolets mitrailleurs (PM) et des véhicules de combats neufs. La hiérarchie assistait impuissante à cette montée en flèche des milices. L’armée régulière, que nous représentions, était laissée dans le dénouement total. Le hic est que, non seulement il n’y avait pas d’armes pour tout le monde, mais pas suffisamment de munitions en bon état pour les armes qui marchaient. Elles étaient presqu’abîmées. Pour s’en rendre compte, il a fallu obliger le commandant d’unité à organiser une séance d’entrainement, pour tester la capacité opérationnelle de nos armes (quelques AK, de fabrication russe, totalement dépassées et des carabines chinoises). Sur la trentaine d’armes existant pour plus d’une soixantaine d’hommes, il n’y avait pas plus d’une dizaine qui marchait réellement. Sans parler des balles, qui étaient défectueuses pour la plupart. Dès lors, les hommes ont compris qu’ils avaient leur sort lié à la pointe de leurs pieds. En cas d’attaque, ils n’avaient le salut que dans ‘’le repli stratégique’’ en détalant à la moindre occasion. Ce qui fut le cas. « Surtout que nous avons appris à notre dépens l’affiliation de notre commandant d’unité à la rébellion, avec toutes les « peaux blanches » qui composaient l’unité avec le peu d’armes en bon état et à bord du véhicule de commandement qu’il détenait. Laissant les éléments noirs à leur triste sort. », a expliqué notre interlocuteur.
A Gao, aussi ce sont les milices tamasheks qui étaient dotés en armes neuves pour contrer la rébellion. Tout comme à Tombouctou, ce sont elles, qui ont facilité l’occupation de la ville par les mouvements rebelles.
Les rebelles mieux armés que l’armée régulière !
Un autre jeune militaire, qui combattait à Kidal, nous témoignait la même histoire, presqu’à l’identique.
« Nous étions dans une position avancée à Tessalit, lorsque notre base a été attaquée par les rebelles. Nous avons épuisé nos munitions, dans les échanges de tirs. Nous y sommes restés pendant des jours, cachés dans les grottes, attendant des secours en vain. Finalement notre commandement d’unité, un jeune lieutenant, a été obligé d’organiser la retraite la troisième nuit. Notre opérateur radio a été touché d’une balle dans une jambe. Un des nôtres l’a transporté jusqu’au flanc d’une colline. Par pitié, l’élément s’est débrouillé à le transporter, jusqu’au sommet de la colline. Arrivé à ce niveau, celui-là s’est extenué. Malheureusement, il n’a pas eu de volontaire pour le remplacer. Le lieutenant et sa troupe ont ainsi été obligés de s’y séparer de lui. Car, la descente de la montagne débouchait sur une position ennemie. Et, il fallait passer très vite sans se faire repérer. Abandonné à son sort, le jeune militaire, blessé, affamé et assoiffé n’avait pas d’autres alternatives que de se rendre pour se sauver. La situation ne lui lassait pas de marge de manœuvre. Car, il était condamné. Il s’agissait pour lui de mourir dignement. Finalement, il a pris son courage à deux mains pour descendre la montagne et se rendre aux rebelles. Arrivé à la porte du camp rebelle au crépuscule, très épuisé, il fit appel à la sentinelle, un jeune rebelle, a failli l’achever. Mais, celui-ci a été empêché d’accomplir ce forfait par un ancien, plus mûr. Lequel a pris soin de lui en le donnant à manger avant de le transférer aux autorités algériennes trois jours plus tard, lorsqu’il a retrouvé ses esprits. Celles-ci l’ont transporté à bord d’un hélico jusqu’à Tamanrasset, où il a été admis dans un hôpital militaire pendant des mois, où la balle qui était logée dans sa jambe a été extraite. Lorsque la plaie a commencé à se cicatriser, il a été remis aux autorités maliennes pendant la Transition ». Comme pour dire que nos hommes ont cédé le terrain à l’ennemi par manque d’équipements adéquats pour mener le combat.
En clair, en voulant faire de la publicité sur les mannes financières injectées dans l’équipement de nos forces armées équivaut à jeter du discrédit sur nos hommes de rang qui se battent dans des conditions lamentables avec pour seule motivation « sauver le Mali ». Alpha a démantelé notre arsenal militaire par mépris pour la tenue, et du coup exposé notre pays à la pire humiliation, qu’il n’a jamais connue de toute son histoire, ATT et sa bande se sont rendus maîtres dans l’art du détournement des fonds publics via des marchés sulfureux passés sous les manteaux, achevant le peu d’âme qui lui restait. Est-il besoin de rappeler que juste avant et même après le coup d’Etat une affaire de marché obscur portant sur l’acquisition d’un avion de combat (un hélicoptère) a défrayé la chronique. Elle impliquait presque toute la crème de la hiérarchie militaire, Mabo, la fille du président ATT, ainsi que celle d’un officier général, bien placé dans le commandement à l’Etat major des Armées. Cette affaire suffisait à comprendre toute l’incurie du système. Si aujourd’hui, un proche ou ATT lui-même fait des révélations de cette nature, il fait preuve d’un aveu de taille, qui ne doit pas passer sous silence. Un véritable linge sale sur la place publique.
Il appartient aux autorités de tirer tous les enseignements de cette publication pour finalement mettre ATT devant la HCJ.
Mohamed A. Diakité