Les événements de la semaine passée ont proposé des vérités nouvelles et confirmé des diagnostics anciens. Sans cependant établir une vraie lisibilité du futur
Rien ne peut être désormais ni totalement prévisible, ni absolument logique. Cette rude vérité, nos compatriotes l’avaient d’abord niée en 2012. Puis, ils l’ont progressivement intégrée à force de cheminer dans la difficulté, de côtoyer l’incertain, de cohabiter avec l’exceptionnel et d’affronter les périls successifs. Tout au long de trois trop longues années d’épreuves, ils se sont trouvés confrontés à la fameuse alternative stendhalienne. Ils ont donc appris à se bronzer pour ne pas se briser, à s’endurcir pour ne pas se laisser balloter par le sort. Aujourd’hui au fond d’eux-mêmes, ce qu’ils souhaitent avec le plus d’ardeur, c’est d’acquérir un minimum de certitudes sur le proche devenir du pays. Ce vœu attendra encore d’être exaucé. Car les dernières configurations prises par les événements au Nord du pays, et plus particulièrement l’enchaînement des événements depuis le paraphe de l’Accord pour la paix et la réconciliation, ne permettent pour le moment que de formuler des hypothèses basées sur le triomphe final de la raison et du réalisme.
La raison qui ferait admettre aux différents protagonistes de la crise au Nord qu’il faut savoir terminer un conflit, surtout lorsque celui-ci menace déjà de désagréger une partie du territoire national. Le réalisme qui ferait comprendre aux radicaux (ou au moins à une partie de ceux-ci) que le renoncement à la politique de la tension ouvre la porte à une possibilité d’aménagements intelligents pour dégager ensemble le chemin de la normale. Tel est le sens du double pari engagé par la Médiation internationale avec la programmation de la signature de l’Accord pour le 15 mai prochain. Un pari qu’est venue ébranler la multiplication des affrontements la semaine dernière dans les Régions de Tombouctou et de Gao.
UN OBJECTIF LIMPIDE. Il est encore trop tôt pour dire si les accrochages qui se sont produits constituent une flambée circonstancielle et si l’on reviendra assez rapidement à la situation qui prévalait après la conclusion du dernier accord de cessation des hostilités signé le 19 février dernier à Alger. Ou si les radicaux de la CMA profiteront de l’occasion qui leur est donnée pour raviver une logique de l’affrontement en arguant du « manque de sincérité de Bamako », selon la phraséologie en usage dans les communiqués du MNLA.
La présence de la MINUSMA et de Barkhane ainsi que la vigilance déployée par la communauté internationale pour prévenir une dégradation irréversible de la situation rendent quasiment impossible le déclenchement d’hostilités d’une ampleur similaire à celle des attaques perpétrées en début 2012. Mais elles seraient objectivement insuffisantes pour empêcher la multiplication à basse intensité d’actes de violence dont les premières victimes seraient les populations déjà à bout de résistance. C’est pourquoi plutôt que de nous livrer à des suppositions que les faits pourraient infirmer assez vite, il nous semble préférable de recenser quelques vérités et constats qu’il faudra prendre en compte pour la gestion de l’avenir.
Tout d’abord, pour ceux (très rares, il est vrai) qui minimiseraient encore l’emprise du courant radical sur la prise de décisions au sein de la Coordination, l’importance de la riposte déclenchée juste après la prise de la ville de Ménaka le 27 avril dernier par les éléments du GATIA devraient lever les derniers doutes. En 48 heures, la CMA a initié une série de représailles qui ont montré aussi bien la profondeur de sa vindicte que sa volonté de faire la preuve de l’étendue de sa capacité de frappe. La hâte à agir des rebelles pour rétablir leur crédit militaire les a même amenés le 28 avril à ouvrir le feu par erreur dans les environs de Tombouctou sur des Casques bleus confondus avec des soldats maliens. Mais l’élément majeur à relever est que dans toutes ses ripostes, la Coalition a délibérément choisi comme cible les forces de défense du Mali. Alors que pendant toute la période de négociations d’Alger, elle s’est confrontée uniquement aux troupes de la Plate-forme.
La volonté d’exercer des représailles significatives contre le gouvernement malien était donc évidente. Tout comme était limpide l’objectif poursuivi. La Coordination en essayant de s’emparer d’importantes positions tenues par l’Armée malienne cherchait à réimplanter dans les esprits une conviction qu’elle-même avait acquise au lendemain des événements du 21 mai 2014 et qu’elle n’a cessé de proclamer tout au long du processus d’Alger, celle de sa supériorité militaire sur tout l’étendue du Septentrion malien. Il est donc important de souligner l’échec d’une opération dans laquelle le MNLA a déployé des effectifs relativement importants et qui s’est révélée totalement infructueuse pour lui.
Deuxième vérité à tirer donc des événements de la semaine passée, les FAMAs ont préservé leurs positions au terme d’accrochages très durs. La précision est essentielle à relever et elle constitue une vraie bonne nouvelle si on se souvient que profitant du désarroi causé par la déroute de nos troupes à Kidal, la rébellion avait procédé en mai de l’an passé, sans rencontrer de véritable opposition, à une occupation éclair des points tenus par l’Armée nationale. Le comportement déterminé des troupes à Léré et à Diré est aussi à mettre en totale opposition avec les graves négligences qui avaient facilité la meurtrière incursion des terroristes dans le camp militaire de Nampala le 5 janvier dernier.
ASSISTANCE ET PROTECTION. Après l’échec de ses actions sur le terrain, la CMA a notablement durci le ton dans ses communiqués. Elle a notamment exigé du GATIA un « retrait intégral, immédiat et sans conditions en vertu des accords de cessez-le-feu ». L’un des ses porte-paroles, Assarid Ag Mohamed, a été plus loin dans une interview à la BBC dimanche dernier en assurant que la Coordination ne se jugeait plus liée par aucune des dispositions édictée par le cessez-le-feu. Au journaliste qui l’interrogeait à propos de la disponibilité de la CMA à parapher l’Accord au cas où ses exigences seraient satisfaites, le responsable s’est montré délibérément flou en lançant un lapidaire « Une chose après l’autre ».
Troisième constat, la disponibilité de la Coordination à reprendre les discussions sur la forme et le calendrier de son adhésion à l’Accord d’Alger n’est donc pas encore clairement établie. Pour le moment, le groupement des mouvements armés se dédouane de toute prise de décision en ce sens en affirmant que les événements de Ménaka sont convenus contrarier l’ « engagement définitif » qu’il avait donné pour « parapher l’Accord dans les plus brefs délais », engagement exprimé le 26 avril à Nouakchott au patron de la MINUSMA.
Effectivement Bilal Ag Chérif avait remis un document en ce sens à Monghi Hamdi qui lui avait assuré que des discussions seraient ouvertes entre la CMA et le gouvernement malien après le paraphe et avant la signature. Mais connaissant le mode de fonctionnement de la Coordination et le rapport actuel des forces en son sein, le terme « définitif » était à prendre avec la plus extrême précaution. Le médiateur algérien peut en témoigner, lui qui avait aussi reçu une assurance officielle écrite de la CMA acceptant le paraphe de l’Accord le 15 avril à Alger.
Quatrième constat, la gestion de la situation actuelle est d’autant plus complexe qu’il faut y intégrer l’équation que représente le sort des populations de Ménaka. Des témoignages concordants avaient été fournis sur la manière dont les éléments du MNLA avaient mis la localité en coupe réglée, intimidant les habitants, réprimant toute manifestation d’appartenance au Mali, rançonnant sans état d’âme les transporteurs et les forains. Les manifestations de liesse des Ménakois après l’entrée du GATIA n’avaient absolument rien d’un événement téléguidé. Par leur ampleur, elles témoignaient éloquemment du soulagement des simples citoyens qui avaient littéralement vécu sous occupation. Faut-il alors remettre sur ces compatriotes, qui demandent à l’Etat malien assistance et protection, la chape de plomb dont ils viennent à peine d’être libérés ?
Il n’est pas superflu de rappeler que Ménaka n’est pas un bastion acquis au MNLA. C’était l’une des positions (avec Djebock, Ansongo et Bourem – les deux dernières localités ayant été ensuite abandonnés) qu’avait préemptées le mouvement rebelle à la faveur des événements de Kidal de mai 2014. Le MNLA avait affirmé son emprise sur la ville et sur ses environnants en profitant du casernement de fait imposé aux FAMAs par le cessez-le-feu et de la neutralité très poussée de la MINUSMA.
L’INVITE A LA COORDINATION. La solution la plus évidente serait certes que les forces internationales assurent la sécurité des lieux et y fassent régner l’ordre. Cela conformément à leur mandat qui leur impute la protection des populations civiles. Mais l’expérience sur le terrain a largement démontré qu’une telle mission est bien au-dessus du degré d’implication qu’accepteraient les Casques bleus. Ces derniers – sans doute en raison de leur équipement insuffisant – ne se risqueront jamais à engager un bras de fer au quotidien avec un groupe armé qui manifesterait la volonté de se réinstaller en maître des lieux. La seule vraie alternative, qui est d’ailleurs réclamée par les habitants de Ménaka, est de mettre fin à la passivité forcée de l’Armée malienne. Mais il y a peu de chances que la communauté internationale envisage ce palliatif avant la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali.
Car – et c’est cela la cinquième vérité -, la Médiation n’a d’autre choix que celui de maintenir le compte à rebours vers la date butoir du 15 mai. Si jamais elle fléchissait, elle enverrait un mauvais signal qui ne profiterait qu’aux extrémistes de la CMA. En effet, ces derniers en tentant d’appliquer une réponse militaire musclée et à reconquérir un avantage militaire significatif sur le terrain espèrent se donner la capacité de faire passer en force les exigences contenues dans la « Déclaration finale » du 15 mars élaborée au terme de la « consultation » avec les populations, exigences qui instaurent de fait un Etat fédéral. Devant la réapparition des tensions, le Conseil de sécurité des Nations unies a lui aussi tout particulièrement insisté sur le respect de l’échéance fixée par la Médiation. Il a de surcroit adressé une invite toute particulière à la CMA pour que celle-ci adhère à la démarche préconisée pour le retour à la paix.
En outre, la communauté internationale ne peut pas ne pas prendre en compte le fait que dans la séquence actuelle, hormis l’épisode de Ménaka (sur lequel le gouvernement a catégoriquement affirmé sa non implication), ce sont des positions de l’Armée malienne qui ont été attaquées et que des victimes civiles sont également à déplorer. S’il y a donc légitime défense à invoquer, les FAMAs seraient en droit de le faire beaucoup plus que le MNLA.
Le cheminement vers la paix est inévitablement cahoteux, car il se fait en dépit de contradictions non résolues entre les différents protagonistes. Nos compatriotes en sont conscients comme ils pressentent les complications qu’amènera inévitablement cette particularité. Mais dans le même temps, ils acceptent sans enthousiasme qu’il n’est d’autre voie de sortie de crise objectivement envisageable que celle actuellement proposée. L’Accord représente, comme nous l’avons dit, un double pari sur la raison et sur le réalisme. Pari dans lequel beaucoup s’aventurent précautionneusement. Pari cependant tenable si la progressivité et un minimum de bonne foi gouvernent son exécution. Mais cela est déjà une autre vérité qu’il faudra faire triompher.
G. DRABO